Chine : ces mégapoles qui sortent de nulle part

25 Novembre 2013



Dans une Chine à l’urbanisation galopante, des nouvelles villes sortent de terre chaque année. Mais comment faire vivre des centaines de milliers de personnes du jour au lendemain, là où il n’y avait rien ? Découverte de Hangzhou Bay Century City, l’une de ces villes-champignons.


Crédits photo -- Hugo Ruiz/Le Journal International
Crédits photo -- Hugo Ruiz/Le Journal International
Zhaoling a 36 ans. Avec son mari et son fils de 9 ans, elle a décidé de déménager. Le 1er juin dernier, elle est devenue propriétaire d’un petit appartement. Aujourd’hui, son fils et elle vont voir où en est la construction… de la ville.

Dans le pays le plus peuplé du monde, la population urbaine s’est accrue de près de 380 millions d’habitants au cours des vingt dernières années. Les démographes s’attendent même à ce qu’un milliard de Chinois habitent en ville en 2030 ! Si l’observateur occidental peut aisément citer les exemples de Shanghai, Pékin ou Hong-Kong, il ignore sans doute que 60 villes chinoises dépassent aujourd’hui le million d’habitants, et que ce nombre est amené à quadrupler dans les cinq à dix prochaines années. À titre de comparaison, l’Union européenne en compte moins de vingt. Que ce soit sur les plans économique, écologique ou social, l’ampleur des changements induits par cette urbanisation dépasse presque l’entendement.

L’une des raisons principales est la migration des travailleurs ruraux. On estime en effet à près de 200 millions le nombre d’individus ayant quitté les zones rurales pour les grandes agglomérations afin de fuir la pauvreté. Ils se retrouvent dans une situation de flou et de précarité juridiques – les systèmes d’état-civil et de protection sociale étant différents pour les populations urbaine et rurale.

CENT NOUVELLES VILLES D’ICI 2020

Aussi, malgré la politique de l’enfant unique, les villes chinoises frisent-elles le surpeuplement : certains quartiers atteignent une densité de population de près de 100 000 hab/km², à l’instar du district de Huangpu à Shanghai - un chiffre près de quatre fois supérieur à celui de Manhattan. Dès lors, le cœur des villes devient peu désirable pour certaines tranches de la population, qui ne souhaitent plus fonder une famille dans le bruit, la foule, et la pollution. La classe moyenne émergente et les « super-riches » exigent une superficie par tête de plus en plus grande pour leur résidence principale. Une nouvelle dynamique se met en place : la suburbanisation. Il faut alors de construire de nouvelles villes.

La fondation et la construction de nouvelles villes est évidemment un phénomène que l’on peut retracer jusqu’à l’Antiquité dans bon nombre de civilisations, Chine incluse. Mais en Chine, ce phénomène semble atteindre des proportions inédites dans l’histoire : on estime que plus de 500 nouvelles villes auraient été construites depuis 1978 (année du début des réformes entreprises par Deng Xiaoping après le décès de Mao), et une centaine d’autres devraient voir le jour d’ici 2020.

La ville dans laquelle se préparent à habiter Zhaoling et sa famille est l’une d’entre elles : Hangzhou Bay Century City devrait accueillir ses premiers habitants en 2015. Située dans le Zhejiang, province prospère au sud de Shanghai, son implantation s’établit dans le cadre d’une nouvelle zone de développement économique : la Hangzhou Bay New Zone. Dans le delta du fleuve Yangzi, les autorités ont l’ambition de créer le « nouveau Pudong », ce district de Shanghai qui, de village de riziculteurs en 1990, est devenu un quartier d’affaires d’ampleur mondiale, et dont le PIB est aujourd’hui égal à celui de la Slovénie ou du Sultanat d’Oman. Hangzhou Bay Century City n’est donc en somme que le volet résidentiel de ce projet. Développée par le promoteur immobilier Century Golden Resources Group, spécialiste de ce genre d’initiatives, elle devrait inclure quartiers d’habitation, centres commerciaux, hôtels 5 étoiles, ainsi qu’un groupe scolaire.

L'une des neuf villes du projet "One city 9 towns" | Crédits photo -- Huai-Chun Hsu
L'une des neuf villes du projet "One city 9 towns" | Crédits photo -- Huai-Chun Hsu


VILLES-CHAMPIGNONS OU VILLES FANTÔMES ?

Actuellement, Hangzhou Bay Century City est encore en travaux. Si les immeubles d’habitation sont terminés, ce sont désormais les équipements qui sont en construction. Une promenade sur les lieux laisse assez vite une impression de malaise. Les panneaux de circulation ne s’adressent à personne et des immeubles vides se dressent sur 25 étages. D’ici deux ans, ce sont près de 100 000 individus qui devraient emménager simultanément. À long terme, la population devrait même s’élever à plusieurs millions d’habitants…

C’est du moins l’ambition affichée par le groupe Century Golden Resources, qui ne lésine pas sur la promotion autour de son nouveau projet : parking ultramoderne, fontaines musicales, ascenseurs transparents avec vue sur la baie, espaces verts, rue commerçante à l’ « architecture française »… Tout semble bon pour attirer population et investissements. Ces dernières années, toutes les tentatives de nouvelles villes en Chine n’ont pas été couronnées de succès : certaines se sont même soldées par des échecs cuisants, les villes-champignons s’avérant plutôt être des villes fantômes.

L’exemple le plus parlant est sans doute celui du projet « One city, nine towns », visant au début des années 2000 à créer neuf nouvelles villes dans la banlieue de Shanghai, dans un souci de décentralisation. Chacune d’entre elles devait avoir un style particulier, correspondant à un pays : Angleterre, Suède, Pays-Bas, Allemagne… Seulement, la construction et le développement de ces villes sont tombés dans de nombreux écueils : aménagement du territoire non-conforme aux desiderata et coutumes des Chinois, prix trop élevés… Les objectifs n’ont pas du tout été atteints, et les quelques propriétés qui ont effectivement été actées sont plus des objets de spéculation que des lieux d’habitation. Ces villes sont vides, à l’exception peut-être des couples venant y faire leurs photos de mariage.

L’ÉCOLE EN RENFORT

Pour contrer ce risque, Hangzhou Bay Century City présente un argument de taille, et qui fait mouche auprès des parents chinois : son école. Les développeurs de la zone ont signé un partenariat avec un des meilleurs groupes scolaires du pays, Hubei Huanggang. Celui-ci aura donc un campus dans la nouvelle ville, dont il fournira ou formera les professeurs. Dans un pays où la pression scolaire est considérable et où la stratégie règne dès le plus jeune âge pour avoir une chance d’intégrer une bonne université, le lycée de Huanggang (province du Hubei, dans le centre de la Chine) se distingue nationalement par sa qualité et ses statistiques. Le taux de réussite au très redouté Gaokao (concours national d’entrée dans l’enseignement supérieur) y est de 23 points supérieur à la moyenne nationale, et les trois quarts des élèves intègrent une des « universités-clés » du pays, parmi lesquelles les universités Tsinghua ou Fudan.

C’est dans le but de voir son fils étudier un jour dans ces prestigieux établissements que Zhaoling a pris la décision de déménager, et c’est selon elle la motivation essentielle de toutes les familles qui peupleront bientôt la ville. Migrations, développement économique, pression scolaire… Hangzhou Bay Century City concentre à elle seule une grande partie des enjeux de la Chine contemporaine. Pourtant, ce n’est que dans deux ans qu’elle prendra vie…

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