"Chinoises" : histoires de femmes sur le continent du silence

30 Mai 2012



"Chinoises" est le premier roman de la journaliste Xinran. Ce livre a permis à cette auteure chinoise de se faire connaître du monde entier. Ce que l’on sait d'elle : son pseudonyme et les quelques éléments de sa vie qu’elle veut bien nous transmettre dans son roman aux traits autobiographiques. L’animatrice de "Mots sur la brise nocturne", une station de radio de Nankin, a fait un bout de chemin depuis la parution de ce premier roman bouleversant. S'érigeant en porte-parole des femmes chinoises et, finalement, de toutes les autres, elle nous livre les témoignages de celles qu’elle a interrogées au cours de sa carrière, dans une ébauche de journal intime.


"Chinoises" : histoires de femmes sur le continent du silence
La journée de la femme a été célébrée pour la cent unième fois le 8 mars dernier. Nombreux considèrent cette journée comme inutile puisque c'est au quotidien qu'il faudrait se consacrer aux droits et à la dignité des femmes. Ceci étant dit, Chinoises est un livre particulier qui nous conduit à penser à chaque femme, chaque jour et à chaque heure qui passe. Ce livre est écrit lui-même par une femme, une nouvelle héroïne qui se fait une place au sein des grandes dames car celle-ci ne se cache pas, son nom est Xinran. Le récit de cette journaliste est poignant. Orchestrant en un roman les pensées et les témoignages des femmes chinoises, il nous permet de nous intéresser à cette population exploitée. En effet, la Chine a peut-être rejoint le 2e rang des pays les plus riches du monde avec un PIB de 5 700 milliards de dollars mais elle est aussi l'un des pays où la condition féminine est la plus déplorable. Le roman en lui-même est facile à lire, souvent naïf, mais touchant. Les histoires, sortent du cœur de femmes qui ont vécu le pire. Chaque confidence nous amène à découvrir une facette de la Chine souvent méconnue. La révolution culturelle est encore très présente aujourd’hui en République populaire de Chine. Femmes exploitées, femmes abusées, femmes battues, femmes trahies et femmes violées, ce sont elles, les premières victimes des débordements du pays. Sous Mao, ce sont elles qui ont tout subi silencieusement et vécu la torture dans le secret le mieux gardé. Ces mêmes femmes qui voulaient que leurs secrets ne soient jamais dévoilés ont trouvé en Xinran l'une des porte-paroles les plus écoutées. Elles ont leur voix. Une voix pouvant porter et transmettre leurs traumatismes, l’adulant jusqu’à parfois en tomber amoureuse pour certaines. Au fil des pages, on s’étonnera de la confiance aveugle qu’éprouvent ces chinoises pour cette inconnue qui s’invite dans leurs vies pour quelques jours, voire quelques heures. Celle-ci n’est finalement qu’une étrangère dont la voix est radiodiffusée. L’auteur fait l’effort de ne pas stigmatiser ces femmes, elle les traite d’égale à égale, et c'est sans doute pour cela que Xinran fait de leurs histoires une affaire personnelle. Ayant elle-même vécu sous la tutelle de l'étoile rouge, elle arrive comme par télépathie à comprendre les évènements. Elle les retranscrit comme elle les a entendus et les complète par son propre ressenti.

En constatant la réelle censure pendant ces années de torture, Xinran révèle aussi au monde ce qui est trop difficile à écrire dans les livres d’Histoire, ce que la Chine ne veut pas entendre. Chinoises met en avant que les femmes sont les héroïnes de la Chine. Confrontées à des hommes cruels qui les ont alors traité comme des bêtes de foire, qui leur ont fait découvrir le monde cru de la sexualité, ces femmes ont vécu le pire suite à la violence qu'inspirait Mao, aux hommes qui les entouraient. Ces derniers, sans leur expliquer de quoi il s’agissait vraiment, leur ont fait découvrir ce qu'ils cachaient sous le terme d’ « amour » pour les abuser et les corrompre aisément. Inexpérimentées, ces femmes étaient formées dans la crédulité, dupées par le manque de moyens, par le manque de savoir. Il existait en effet des livres interdits auxquels elles ne purent accéder ou dont elles ne connaissaient même pas l’existence. La cruauté de ce système résidait surtout dans cette absence car « les gens ne peuvent pas se passer de livres. Sans livres, nous ne pourrions pas comprendre le monde ; sans livres, nous ne pourrions pas évoluer ; sans livres, la nature ne pourrait pas servir l’humanité (…) (cf chapitre 12 « L’enfance que je ne peux oublier » du livre Chinoise) ».

Xinran a eu la chance d'accéder à la bibliothèque secrète de son école et de mieux comprendre le monde et les injustices qui touchaient son pays. Cette femme était sans doute destinée à devenir journaliste. Elle en est devenue une « hors-norme » qui compte bien libérer les Chinoises du sort qu’on leur a jeté. Xinran est une journaliste qui dérange mais son courage d'exprimer ses opinions a montré une chose : affirmer son opinion est devenue un principe essentiel pour sauver une nation.

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Florence CARROT
Etudiante en sciences politiques à l'Université Lyon 2 et ayant la chance de passer un an en Inde,... En savoir plus sur cet auteur