Colombie : les dessous de l’exploitation minière

Florence Tiffou du Blog sur la Politique Internationale
12 Août 2013



Du 27 au 29 juin dernier, se tenait dans la région du Sur de Bolivar en Colombie, la pré-audience de la compagnie minière AngloGold Ashanti. Cette pré-audience était organisée dans le cadre du tribunal populaire, qui se tiendra en ce mois d’août à Bogota. Le tribunal populaire est organisé dans l’espoir de redonner au peuple colombien le pouvoir de se faire entendre et d’accuser des compagnies qui sont protégées par la législation nationale. Un cas minier et un cas pétrolier seront présentés lors du jugement final.


Crédit Photo -- Fredy Builes / Reuters
Crédit Photo -- Fredy Builes / Reuters
Dans le petit village de San Pedro Frío, près de 350 personnes se sont regroupées, afin de discuter des enjeux du secteur minier en Colombie. Des représentants provenant de différentes régions ont donné tour à tour leur témoignage afin de dénoncer les violations commises par AngloGold Ashanti, une compagnie d’origine sud-africaine et anglaise. Si cette entreprise a été visée, c’est qu’elle est la 3e compagnie minière la plus importante du pays. Parmi les nombreuses entreprises étrangères qui s’approprient le territoire colombien pour y exploiter ses ressources, certaines sont canadiennes. À titre d’exemple, on peut nommer la Gran Colombia Gold, qui est présentement la compagnie extractive d’or et d’argent la plus importante en Colombie.

Parmi les problèmes dénoncés par les défenseurs de droits humains lors de la pré-audience, on trouve le déplacement des populations. Les déplacements forcés font partie d’une stratégie contre-insurrectionnelle mise sur pied par le gouvernement et appuyée par les groupes armés légaux (l’armée) et illégaux (les paramilitaires). Selon la célèbre doctrine de l’eau et du poisson retrouvée dans des manuels de Mao Tse Tong et reprise par l’armée colombienne, le poisson est la guérilla (groupes armés révolutionnaires) et l’eau, la population. L’armée vise à assécher la population afin d’éliminer la guérilla. En ne distinguant pas la population civile des groupes armés, cette stratégie porte atteinte au droit international humanitaire. Les multinationales profitent de l’instabilité pour s’installer dans les régions où sont effectués les déplacements forcés. En plus d’en profiter, certaines multinationales provoquent ces déplacements afin de « nettoyer » le territoire et d’en faciliter l’exploitation. Pour cacher les différentes violations, plusieurs entreprises changent de nom afin d’éviter d’être retracées.

La menace constante dont sont victimes les leaders luttant pour la défense du territoire et des populations constitue une autre problématique importante. Afin de faire taire les revendications des populations, les leaders reçoivent des menaces de mort lorsqu’ils ou elles dénoncent les entreprises qui s’installent sur le territoire. Pour les femmes, ces attaques peuvent se faire sous forme de menace de viol, comme a pu en témoigner directement une des femmes présentes lors de l’audience. On recense également plusieurs assassinats de défenseurs de droits humains. Il demeure cependant difficile de prouver le lien direct entre les menaces ou les assassinats et les entreprises minières, étant donné le fait qu’elles utilisent des agents privés.

On dit que dans la région, environ 85 % des mines sont possédées par des multinationales, alors que 2 % restent des mines artisanales. Bien qu’il existe un code minier pour règlementer l’exploitation, celui-ci repose sur des règles et des standards que les petits miniers ne peuvent respecter, les plaçant sur des bases inéquitables face aux multinationales. Un des témoins présents a mentionné que d’ici 2019, les petits miniers auront disparu. Les multinationales font pression pour que les petits miniers s’affilient à l’entreprise. Dans ces cas, les paysans perdent leur indépendance et doivent remettre, par exemple, 80% de ce qu’ils gagnent à l’entreprise.

Si les leaders reçoivent des menaces et que les populations se font expulser, celles et ceux qui décident de rester sur place subissent les conséquences environnementales dues à la pollution minière. La présence de produits chimiques dans les cours d’eau et l’exploitation de mines à ciel ouvert ne sont que des exemples de ces violations au droit à un environnement sain. Dans bien des cas, l’entreprise ne consulte pas les populations avant de s’installer dans la région. En ce qui a trait aux territoires où vivent des communautés autochtones ou afro-descendantes, la consultation préalable est légalement obligatoire. Elle a été reconnue comme un droit fondamental par les Nations Unies en 1989, et a été incorporée dans la constitution colombienne (article 21) en 1991. Le manque de consultation auprès des communautés constitue donc une violation dont les entreprises devraient être tenues responsables.

En parlant aux habitants de la région minière, une phrase récurrente ressort lorsqu’on leur demande ce qu’ils souhaitent pour leur territoire : « Afuera! », c’est-à-dire « dehors les multinationales! » Si l’exploitation continue de la manière dont elle se fait présentement, il ne restera ni terre à cultiver, ni eau à boire, et bien des populations en péril. C’est donc dans une perspective de souveraineté territoriale et contre le déplacement des populations par des multinationales que le tribunal populaire est organisé. Le jugement final du tribunal, qui se tiendra les 16, 17 et 18 août, permettra de dénoncer AngloGold Ashanti, ainsi que Pacific Rubiales Energy. Cette dernière est une compagnie canadienne qui servira d’exemple pour le cas pétrolier. Une délégation canadienne sera présente lors de la pré-audience afin de dénoncer les actes de la Pacific Rubiales Energy au Canada.

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