Crise irano-saoudienne, escalade d’un conflit diplomatique

Dimitri Kernel
30 Janvier 2016



Tout a commencé le samedi 2 janvier lorsque l’Arabie saoudite a annoncé ses premières exécutions de l’année 2016. Le Royaume a tué ce jour-là quarante-sept personnes condamnées pour terrorisme dont le cheikh Nimr Baqr Al-Nimr, symbole de la contestation chiite contre le régime. Cette exécution a immédiatement provoqué une forte indignation et contestation au sein de la population chiite de la région.


À gauche, le roi d'Arabie saoudite Salmane ben Abdelaziz Al Saoud. À droite, l'ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la révolution islamique iranienne. Crédits Secretary of Defense (g), seyyed shabodin vajedi (CC BY 4.0) (d)
À gauche, le roi d'Arabie saoudite Salmane ben Abdelaziz Al Saoud. À droite, l'ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la révolution islamique iranienne. Crédits Secretary of Defense (g), seyyed shabodin vajedi (CC BY 4.0) (d)
Entre janvier 1985 et juin 2015, plus de 2 000 personnes ont été condamnées à la peine de mort en Arabie saoudite. Plus précisément, en 2015, 153 personnes ont été exécutées, ce qui représente le chiffre le plus élevé depuis vingt ans. Cette même année, l’Arabie saoudite avait été nommée à la tête d’un groupe consultatif qui propose des experts pour le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, ce qui avait naturellement provoqué de vives réactions.

Parmi les quarante-sept personnes tuées en janvier, figurent notamment des individus condamnés pour des implications dans des attentats revendiqués par l’organisation terroriste Al-Qaïda.

Nimr Bager Al-Nimr était quant à lui le symbole de la contestation de la dynastie sunnite des Al-Saoud en étant l’un des leaders de la protestation qui avait éclaté en 2011 dans l’Est du pays. Il avait été condamné à mort en octobre 2014 pour sédition, désobéissance au souverain et port d’armes par un tribunal de Riyad.

Une réaction de Téhéran immédiate

L’Iran, majoritairement chiite et rival régional de l’Arabie saoudite sunnite, a très vite réagi face à l’exécution du cheikh Nimr et ce de manière assez violente. Téhéran a accusé Riyad de soutenir les terroristes tout en supprimant les opposants. L’Arabie « paiera un prix élevé pour ses politiques » a déclaré le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Hossein Jaber Ansari. À partir de là, le conflit diplomatique n’a cessé d’augmenter.

À la suite de ces déclarations, Riyad a décidé de convoquer l’ambassadeur d’Iran et a exprimé sa protestation face à ces déclarations qu’elle considère comme étant agressives et constituant une flagrante ingérence dans les affaires du royaume. Ce principe de non-ingérence dans les affaires internes d’un État étant consacré au sein du chapitre 7 de l’article 2 de la charte des Nations unies du 26 juin 1945.

Les locaux diplomatiques et consulaires, les premières cibles de contestation

Dès l’après-midi du 2 janvier, de nombreux manifestants se sont rassemblés dans les rues de Téhéran pour témoigner leur indignation face aux exécutions qui ont eu lieu. Dans la nuit, l’ambassade saoudienne a été la cible de plusieurs attaques aux cocktails Molotov lancés par des manifestants qui ont par la suite réussi à pénétrer au sein de l’ambassade avant finalement d’être évacués par les autorités. Le consulat saoudien de Machhad, une ville chiite sainte du Nord-Est du pays, a également été pris pour cible dans cette même nuit.

Les postes diplomatiques et consulaires bénéficient d’immunités qui en réalité présentent deux aspects. Premièrement, l’État d’accueil ne peut pas pénétrer au sein de ces locaux ni même effectuer des perquisitions. Deuxièmement, l’État accréditaire doit garantir que des particuliers ne pénétreront pas dans les locaux diplomatiques et consulaires et ne s’empareront pas de biens appartenant à ces lieux. Il y a donc un devoir de protection de la part de l’État d’accueil. Ce dernier était au départ une règle coutumière, mais il est depuis codifié au sein de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 et la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963.

Concernant cette protection spéciale, l’Iran avait déjà été au cœur d’une polémique en 1979, lors de l’invasion de l’ambassade américaine par les islamistes, rendue possible par l’inaction du gouvernement iranien. Par la suite, la responsabilité internationale de ce dernier avait été engagée.

Ici, le régime iranien est très vite intervenu pour calmer le jeu. La police a évacué l’ambassade saoudienne à Téhéran et le procureur a annoncé l’arrestation de 40 personnes. De plus, le président iranien, Hassan Rouhani a dénoncé le jeudi 3 décembre des « attaques totalement injustifiables » et que les ambassades et les consulats de l’Arabie saoudite sont bel et bien sous la protection de l’Iran. Le ministère iranien des Affaires étrangères a également demandé aux manifestants de ne pas s’en prendre aux représentations diplomatiques, et à la police d’empêcher toute nouvelle manifestation.

Une rupture des relations diplomatiques presque inévitable

Face à de tels événements, la rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran était aisément imaginable et c’est ce qui a été annoncé le dimanche 3 janvier par le ministre saoudien des Affaires étrangères. Cette décision était justifiée selon le ministère par les deux événements auparavant évoqués : les déclarations de l’Iran, considérées comme une ingérence agressive dans les affaires saoudiennes et l’attaque de l’ambassade à Téhéran, qui, selon le ministre, n’a pas été correctement empêchée par les autorités iraniennes.

L’Arabie saoudite a ainsi exigé le départ sous 48 heures des membres de la représentation diplomatique iranienne à Riyad et au consulat de Jeddah, ce dernier ayant eu lieu de manière effective le mercredi 6 janvier. De plus, une condamnation de l’Iran a été demandée à la suite du saccage des locaux diplomatiques qui constitue une « violation grave des Conventions de Vienne » selon l’ambassadeur Abdallah Al-Mouallimi.

De nombreux alliés de l’Arabie ont pris des décisions diplomatiques similaires vis-à-vis de l’Iran. Le 5 janvier, les Émirats arabes unis, le Soudan, Bahreïn et le Koweït ont ainsi décidé de rompre ou réduire leurs relations diplomatiques avec l’Iran.

Cette escalade de la tension entre les rivaux chiites et sunnites est suivie avec une profonde inquiétude par la communauté internationale. La préoccupation principale est d'essayer d'éviter que cela accentue la déstabilisation du Moyen-Orient et augmente le nombre de conflits. Le Conseil de sécurité de l’ONU a exprimé ses craintes face à cette situation, qui empire de jour en jour. Le jeudi 7 janvier, l’Iran a accusé l’aviation saoudienne d’avoir délibérément bombardé son ambassade au Yémen. L’Iran reproche également au royaume sunnite d’utiliser cette crise pour affecter négativement les négociations sur le conflit syrien.

Ces événements interviennent alors que les relations entre les deux pays semblaient pouvoir s’améliorer. Lors de la conférence sur la Syrie à Vienne, en novembre dernier, les ministres des Affaires étrangères respectifs ont accepté de s’asseoir à la même table et se sont entretenus en privé. À la fin de l’année, Riyad a annoncé son intention de nommer un ambassadeur à Téhéran, qui doit remplacer sous peu le chargé d’affaires.

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