Culture arabe, culture française : souvenirs d'Algérie française

30 Décembre 2012



A l'occasion des 50 ans de l'indépendance de l'Algérie, "Le Journal international" revient sur la situation des pieds-noirs au temps de l'Algérie française. Maryse, une ex-pied-noir de 70 ans, nous parle de la société algérienne de l'époque, coincée entre deux cultures. Interview.


Émeutes entre les partisans de l'Algérie libre et ceux de l'Algérie française (DALMAS/SIPA)
Émeutes entre les partisans de l'Algérie libre et ceux de l'Algérie française (DALMAS/SIPA)

Avant de répondre à vos questions, il faut que vous sachiez que mes réponses seront celles de quelqu'un qui a toujours vécu dans des villages, avec une proximité de tous les jours avec les populations arabes (dans le travail, à l'école, dans les commerces...).Une personne qui a vécu exclusivement dans les grandes villes a peu, ou pas, connu cette proximité et n'aura peut-être pas le même avis que moi.


Aviez-vous la sensation qu'il y avait deux cultures en Algérie française ?

Pendant ma vie en Algérie, je n'avais pas la sensation qu'il y avait deux cultures. Pour moi, il y avait des Français et des Arabes dans le même pays, avec leurs croyances, et j'ai toujours eu l'impression que l'un et l'autre s'acceptaient naturellement.

C’est en débarquant en France, que j'ai ressenti la double culture. J’étais si différente des « patos » comme nous les appelions. Je faisais l'expérience du racisme puisque les Pieds noirs étaient très mal vus. Moi qui en voulais tant aux Arabes de m'avoir expulsée de mon pays, je me suis rendu compte que leur contact me manquait.
 


Pourquoi ce racisme de la part des métropolitains selon vous ?

Comme tous les racismes, d'abord par ignorance. Quel métropolitain pouvait s'intéresser à l'histoire de l'Algérie et à la vie de ses habitants ? La grande majorité était pour l'abandon et la fin de la guerre. Pour eux, il y avait beaucoup de morts pour rien (l'histoire leur donnera raison), tout ça pour défendre des colons, très riches, qui utilisaient la main d'œuvre arabe en esclavagistes. Certes, cela a existé. Mais on ne peut juger plus d'un million de personnes sur le comportement d'une poignée d'hommes qui, à ma connaissance, étaient 30 très riches, 300 riches sur tout le pays et n'avaient d'ailleurs pas tous ce comportement d'esclavagistes. Pour cela, au nom de « colon », qui n'a pas été utilisé dans son sens premier, je préfère le terme « pionnier » pour les Pieds-noirs. 

Est-ce que vous avez des anecdotes sur l’acceptation mutuelle dont vous nous parlez plus haut ?

Elle se manifestait surtout pendant les fêtes religieuses des deux communautés. Pour les fêtes musulmanes, nous avions des gâteaux. Pendant le ramadan, une fois ou deux, mon père achetait tout ce qu'il fallait pour faire la shorba, et nous la partagions avec nos employées. Il y a une fête où il est demandé aux familles de porter de nouveaux vêtements, la paye était un peu plus importante pour aider nos employées à acheter ces tenues. Aussi le jour de la fête, leur petite famille nous rendait visite pour nous montrer que l'argent avait été bien utilisé. Chaque fois qu'il y avait un événement dans la famille (baptême, mariage, etc.), nous échangions un peu de notre menu de fête. A la fin de l'année, c'était les étrennes pour nos employées. Nous en avions trois, elles étaient présentes à mon mariage.

Quel effet pensez-vous que la culture occidentale a eu sur les populations arabes ?

Je ne suis pas sûre que la culture occidentale ait beaucoup influencé la population arabe. Je ne pense pas que l'histoire de France et la propagation de la langue française y aient contribuée. Par contre, pour la condition de la femme algérienne, complètement sous l'autorité du mari, et souvent sous la hiérarchie de la famille, oui ! Certaines ont tenté de demander un peu plus de liberté. On a vu à Alger, entre 1958 et 1960, lors d'une manifestation, des Algériennes faire un grand tas de leurs voiles et y mettre le feu. C’est le plus grand signe de notre influence que j'ai pu constater. Peut-être y en a t-il eu d'autres moins spectaculaires.

Lorsque les événements ont commencé en Algérie, est-ce que la culture arabe, ou la religion musulmane, ont été ressenties comme dangereuses ?

Au début des événements, il n'était pas question du tout de religion. Pour moi, comme pour beaucoup d'autres, c’était seulement les Arabes qui voulaient le pouvoir qui étaient dangereux. Je n'ai jamais entendu parler de guerre sainte ou de triomphe de l'Islam.

Voyez-vous un lien entre l’Islam que vous avez finalement peu connu en Algérie, et l’Islam de France ?

Aujourd’hui, l'Islam de France, je ne le connais pas vraiment. Les gens en parlent en ne voyant que les extrémistes et ça leur fait peur. Personnellement, je sais faire la part des choses, ayant connu un pays sans problèmes où les musulmans étaient dix fois plus nombreux que les chrétiens, bien sûr, avant la guerre qui a amené haine et massacre entre les deux communautés.

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Souleïmane Urtis
Journaliste pour Le Journal International. En savoir plus sur cet auteur