Espagne : Une nouvelle loi polémique du gouvernement Rajoy

Aliya Aïssou
5 Mars 2015



Une nouvelle loi divise l’Espagne. Après beaucoup d’autres, cette « loi de sécurité citoyenne » vise à criminaliser la protestation citoyenne dans un régime de plus en plus contesté. Décryptage de cette « loi gag » qui suscite de nombreuses mobilisations tout autour du pays.


Crédit Cristina Quicler - Belgaimage
Crédit Cristina Quicler - Belgaimage
Elle semble mettre en péril la démocratie espagnole, affaiblie depuis l’investiture du gouvernement Rajoy il y a trois ans, selon beaucoup d’Espagnols. Le 1er janvier dernier, le texte activement contesté par le peuple a été adopté par le Parlement espagnol. Officiellement nommée « loi de sécurité citoyenne », elle acte contre les différentes formes de protestations citoyennes. Jugée répressive par bon nombre d'Espagnols ainsi que par le corps judiciaire, cette loi adopte de nombreux surnoms aussi négatifs les uns que les autres, dont le plus utilisé, « loi gag » ou « ley mordaza » en espagnol, fait référence à son aspect considéré totalement absurde puisque dans le cadre d’un système démocratique.

Ce que le texte prévoit

Cette loi a été présentée par le ministre de l’Intérieur espagnol Jorge Fernandez Díaz, membre du gouvernement de Mariano Rajoy portant les couleurs du Parti populaire (Partido Popular), droite conservatrice et libérale, à la tête du gouvernement espagnol depuis maintenant quatre ans. En théorie, la loi prévoit une série de sanctions envers de nombreuses formes de protestations citoyennes, aussi diverses soient-elles. La loi interdit par exemple, sous peine d’une forte amende pouvant atteindre 30 000 euros, tout outrage contre les drapeaux ou autres symboles du pays. Elle prohibe en outre les manifestations autour d’institutions publiques comme le Sénat ou le Congrès des députés, équivalent à la Chambre basse du Parlement. De nombreux spécialistes analysent cette législation comme une riposte aux mouvements indépendantistes, et plus particulièrement aux mouvements massifs prônant l’indépendance de l’une des 17 communautés autonomes du Royaume d’Espagne, la Catalogne.

La cohérence de cette analyse peut s'inscrire dans la temporalité de la proposition de loi. Le ministre de l’Intérieur a effectivement présenté cette loi le 29 novembre 2013, c'est-à-dire après plusieurs mois de grandes mobilisations en faveur de l’indépendantisme catalan. Force est de constater que les protestations des citoyens se sont largement amplifiées ces dernières années, concernant par exemple la gestion de la crise par le gouvernement.

Cette nouvelle législation établit 31 types d’infractions « graves », qui déboucheraient sur le risque de s’exposer à 30 000 euros d’amende. Sept types d’infractions dites « très graves » conduiraient à un risque d’amende pouvant plafonner à 600 000 euros, à la charge des acteurs de l’infraction. Ces infractions visent en pratique les troubles à l’ordre public au cours d’événements sportifs ou les manifestations lors de la « journée de réflexion ». Ce vocable de « journée de réflexion » correspond à un laps de temps défini par avance en temps d’élection, censé permettre aux citoyens de réfléchir sans aucune influence extérieure. Une journée de réflexion qui justifierait la pénalisation des manifestations à ce moment. La nouvelle loi espagnole met en place de nouvelles amendes allant aussi jusqu'à 600 000 euros pour les citoyens qui transgresseront cette législation. 

Un vif rejet en Espagne, une loi symptomatique d’un régime

Chez les citoyens espagnols, les réactions sont très fortes. Parmi les jeunes espagnols que le Journal International a interrogés, une très forte indignation a été notée face à cette loi. Plus globalement, une désaffection vis-à-vis du parti de gouvernement. Nombre d’Espagnols constatent un caractère répressif commun aux lois adoptées par le gouvernement. Outre cette loi sur la « sécurité citoyenne », le gouvernement de Mariano Rajoy multiplie, depuis son investiture, les lois controversées à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Rappelons qu’il s’agit du même gouvernement qui avait proposé de supprimer le droit à l’avortement en 2014. Le projet avait finalement été abandonné. Magdalena, une trentenaire espagnole qui considère la loi « gag » comme symptomatique d’un contexte antidémocratique, explique même : « C’est pire que le franquisme. Au moins pendant le franquisme, nous savions que nous vivions en dictature. » 

Cette comparaison, certes forte, ne reste néanmoins pas isolée dans l’esprit des citoyens. Il semblerait que depuis que le gouvernement est en place, les mécontentements citoyens ne cessent de croître face à des textes de loi antidémocratiques et extrêmement répressifs. Citons par exemple la loi qui retire les droits sociaux à tout Espagnol résidant à l’étranger pendant plus de trois mois. Le constat relève d’une indignation générale face au gouvernement, et plus largement à la vie politique du pays.

À l’étranger aussi, la loi connaît de nombreuses réactions défavorables. D’un point de vue juridique, Nils Muiznieks, commissaire européen pour les droits, considère cette législation peu acceptable dans une démocratie. Il s'est récemment exprimé sur le cas, déclarant : « On se demande si ces restrictions sont nécessaires dans une société démocratique. » Cette loi semble surtout participer davantage à la disgrâce dont est victime, ou responsable selon le point de vue, le Partido Popular au pouvoir. Phénomène politique incontournable, Podemos, nouveau parti de gauche qui émerge depuis un peu plus d’un an en Espagne, risque de mettre en péril le bipartisme espagnol que le PP (Partido popular) et le PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) se partagent depuis la fin du franquisme. Les sondages annoncent déjà sa victoire aux prochaines élections municipales. Il semblerait que cette loi ait été décisive dans le succès de Podemos, et surtout dans l’indignation des citoyens face à un gouvernement toujours plus conservateur et répressif. Sans pour autant pouvoir prévenir l'avenir politique de l'Espagne, cette nouvelle loi « de sécurité citoyenne » semble effriter considérablement les principes démocratiques d'un pays en pleine mutation, à la suite des conséquences violentes de la crise.
 

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