Espagne : éducation en crise

29 Octobre 2013



La rupture entre le gouvernement au pouvoir et la population ne cesse de prendre de l’ampleur. Les récentes augmentations des frais de scolarité dans les universités d’Espagne, et surtout de Madrid, et la dernière réforme de l’école publique ne font qu’entretenir la colère des étudiants, premières victimes de la crise. Décryptage.


« Là où les coupes budgétaires deviennent réalité » | Crédits photo -- Johan Chermette-Wagner/Le Journal International
« Là où les coupes budgétaires deviennent réalité » | Crédits photo -- Johan Chermette-Wagner/Le Journal International
C’est avec indignation qu’a été accueillie, en juillet dernier, l’augmentation des frais de scolarité de l’université publique à Madrid par la conseillère en éducation de la Communauté de Madrid, Lucia Figar. L’Espagne connaît un taux de chômage supérieur à 25 % au sein de la population active dont 45 % chez les jeunes de 16 à 25 ans. L’augmentation des frais de scolarité universitaire de 68 % apparaît comme un véritable fléau pour de plus en plus d’étudiants qui se voient dans l’obligation de mettre un terme à leurs études.

Dans une interview donnée par le quotidien national El País, la rectrice de Malaga révèle une baisse de 8,69 % d’inscriptions, due selon elle à l’augmentation de 33 % des frais universitaires par rapport au semestre dernier et des changements de modalités d’obtention des bourses par le ministère de l’Éducation. La politique d’austérité introduite par le Premier ministre espagnol de droite – Parti Populaire - Mariano Rajoy, n’épargne aucun secteur de la société, et encore moins l’éducation.

Moins d’argent, moins de droits et plus d’inégalités

Les règles ont désormais changées. Les frais de scolarité augmentent (ils passent de 1600€ à 1900€ l’année) et le taux de chômage reste toujours aussi élevé. À chaque rentrée, l’accueil des étudiants est de plus en plus froid. Un pessimisme ambiant semble s’installer chez les élèves, comme chez les professeurs. « Finissez vos études et partez suivre vos rêves ailleurs », telle est la phrase de bienvenue lancée par bon nombre de professeurs en droit, économie, sciences politiques ou même ingénierie. Face à cette situation, les syndicats étudiants, parents d’élèves, professeurs, personnels administratifs se mobilisent et tentent par tous les moyens de dénoncer ces mesures.

L’université publique semble se diriger de plus en plus vers une véritable « privatisation » selon l’Association des Etudiants de Droit (A.E.D) de l’Université Autonome de Madrid. Les entreprises privées gagnent du terrain dans les conseils administratifs, ce qui empêche les étudiants de pouvoir s’exprimer. Des banques, fast-food ou des enseignes de supermarchés commencent à s’installer dans les campus et à apporter leurs parts d’investissement. Cela s’ajoute aux prix, de plus en plus élevés, des inscriptions. L’université espagnole semble se diriger vers un modèle éducatif anglo-saxon plus inégalitaire, bien que l'on soit encore loin des 70 000$ à débourser pour une année d’étude. Les taxes augmentent, mais les bourses ne suivent pas. Soigneusement révisées par le ministère de l’Éducation, ces dernières ne prennent désormais plus en compte l’éloignement du domicile familial, et il est très difficile d’en obtenir une. Certains étudiants se voient mêmes expulsés du système universitaire public pour incapacité de paiement, entretenant encore un peu plus l’indignation de la plupart des élèves.

La précarité est flagrante et laisse de côté bon nombre d’élèves. L’université « gratuite et universelle » que défend l’A.E.D de l’Université Autonome de Madrid, est en danger et la parole des étudiants, totalement ignorée. « Nous nous dirigeons vers un véritable processus d’élitisation du secteur de l’éducation, laissant en marge des étudiants qui ne peuvent plus se permettre d’étudier », affirme Maria, membre active de l’A.E.D. De moins en moins d’aides, un appauvrissement général et des inégalités qui se creusent, telle semble être la situation de l’école publique.

La loi Wert : un retour en arrière ?

La colère des étudiants se mêle à celle des parents d’élèves et des professeurs. La dernière réforme de l’éducation – connue sous le nom de loi Wert, ministre de l’Éducation espagnole – n’a pas eu besoin des votes de l’opposition ni du soutien d’autres partis politiques que le Parti Populaire pour pouvoir être appliquée. La majorité politique au Congrès des députés a suffit pour son approbation.

Cette nouvelle réforme introduit un peu plus de conservatisme dans l’éducation, qui rappelle pour beaucoup dans une certaine mesure le système éducatif d’il y a quarante ans. Cette nouvelle loi souhaite favoriser le retour de l’enseignement religieux obligatoire au sein de l’école publique. Désormais, le catéchisme devient une matière obligatoire au baccalauréat espagnol, obligatoire pour intégrer un cursus universitaire.

La religion est très présente au sein de cette société qui ne connaît pas de séparation entre l’Église et l’État, comme c’est le cas en France. Cette nouvelle mesure permet à l’Église de se réinsérer dans le secteur éducatif public dans lequel elle avait perdu de l’influence depuis la fin du franquisme. La réforme souhaite également favoriser les écoles non-mixtes ce qui apparaît comme une aberration pour la génération post-franquisme.

L’école et l’université publique sont ainsi attaquées de toute part. Tout d’abord par l’ensemble des coupes budgétaires dues à la crise économique. Celles-ci ont comme conséquences l’attribution de moins en moins de fonds et une privatisation de plus en plus importante du secteur éducatif public. Enfin, il se trouve également fragilisé par un véritable retour en arrière conservateur. Enseignement catholique obligatoire et écoles non-mixtes vont devenir de rigueur dans un pays ne sachant quoi faire pour sortir d’une crise économique qui s’est transformée en crise sociale, morale et politique.

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Johan Chermette-Wagner
Étudiant en double-diplôme en Sciences Politiques entre Sciences Po Bordeaux et l'Universidad... En savoir plus sur cet auteur