Espionnage de la Malaisie par Singapour : la fin d’un bon voisinage ?

4 Décembre 2013



Les choses se compliquent entre la Malaisie et Singapour. La Malaisie se retrouve à nouveau dans une position délicate par rapport à son voisin suite à la publication, par le quotidien australien The Sydney Morning Herald, de nouvelles révélations quant au rôle clé de Singapour dans les activités d’espionnage des États-Unis.


Anifah Aman, ministre des Affaires étrangères malésien | Crédits Photo --   DR
Anifah Aman, ministre des Affaires étrangères malésien | Crédits Photo -- DR
Ces allégations découlent des révélations faites par l’ancien employé de la NSA Edward Snowden des détails de différents programmes de surveillance américains et britanniques, en juillet dernier. Selon le journal australien, les services de renseignement australiens et singapouriens collaboreraient avec les États-Unis depuis les années 1970.

Singapour, allié majeur des États-Unis dans la région, serait ainsi au cœur d’un vaste réseau d’espionnage visant à collecter des données. Des données qui transiteraient par le gigantesque câble sous-marin SEA-ME-WE 3, en partie détenu par la compagnie singapourienne de télécommunication SingTel. Le câble SEA-ME-WE 3 est actuellement la principale voie de liaison internet entre le continent asiatique, le Moyen-Orient et l’Europe, et connecte plus de trente pays, dont la Chine, l’Indonésie, la Malaisie ou encore la France.

La compagnie SingTel, comme le gouvernement singapourien, n’ont pas souhaité commenter ces allégations, alors que le Secrétaire général aux affaires étrangères malaisien Radzi Bin Abdul Rahman et le Haut-commissaire de Singapour Ong Keng Yong se rencontraient mardi dernier afin de clarifier l’affaire. Lors d’une interview téléphonique, le représentant singapourien avait indiqué qu’il avait transféré les rapports à des agences compétentes et qu’il ne possédait pas les informations suffisantes pour commenter ces allégations. « Singapour attache de l’importance à ses bonnes relations avec la Malaisie. Nous n’avons aucun intérêt à faire quoi que ce soit qui pourrait mettre en danger le partenariat et l’amitié entre nos deux pays. »

Le gouvernement malaisien a réagi avec fermeté, bien déterminé à prouver qu’il ne laissera personne empiéter sur sa souveraineté, mais le cœur n’y est pas. Quelques semaines auparavant, la Malaisie avait déjà appelé les représentants australiens et américains à s’expliquer suite aux soupçons selon lesquels les Etats-Unis posséderaient 90 services de surveillance électronique dans le monde, y compris dans son ambassade à Kuala Lumpur.


« Un sujet sérieux que le gouvernement malaisien rejette et abhorre»

Le ministre des Affaires étrangères malaisien Anifah Aman a admis la préoccupation des autorités malaisiennes face à ces révélations. « Si ces allégations sont prouvées, c’est assurément un sujet sérieux que le gouvernement malaisien rejette et abhorre », a-t-il déclaré mardi dernier lors d’une conférence de presse. « Dire qu’espionner un voisin et bon ami est inacceptable, n’est pas exagérer ». Lors de sa visite à l’université Putra Malaysia, le ministre de l’Intérieur Ahmad Zahid Hamidi a quant à lui déclaré que la Malaisie était prête à partager tout renseignement pertinent avec Singapour, qui n’avait aucune raison d’espionner la Malaisie. « Nous sommes prêts à partager toute information si cela concerne ces pays ; ils devraient donc nous respecter en tant que pays voisin. »

Guetté par ses opposants politiques, ces accusations mettent le Premier ministre malaisien Najib Razak dans une position de vulnérabilité et l’obligent à envoyer un signal fort selon lequel la Malaisie ne saurait tolérer l’espionnage par ses voisins. Le président de la Chambre des Représentants, Pandikar Amin Mulia, a rejeté la motion d’urgence appelant à débattre de l’implication de Singapour, des États-Unis et de l’Australie dans des opérations d’espionnage en Malaisie, jugeant que les mesures prises par le gouvernement étaient suffisantes. « Cette motion est d’importance publique, mais je ne trouve pas le sujet urgent dans la mesure où le gouvernement a déjà émis une note de protestation début novembre. » Cette décision s’est heurtée à de vives protestations sur la scène parlementaire. Plusieurs partis, dont l’importante coalition Pakatan Rakyat, dénoncent le manque de fermeté du gouvernement et affirment qu’éviter un tel débat pourrait être perçu comme une marque de faiblesse par les puissances étrangères.

Ce nouveau scandale d’espionnage risque de mettre fin à l’amélioration des relations entre les deux pays pourtant en marche depuis plusieurs années, notamment grâce à de nombreux projets transfrontaliers. La Malaisie et Singapour, dont la scission date de 1965, sont liés par de forts liens économiques, mais partagent une relation houleuse qui se reflète dans des querelles perpétuelles concernant des sujets variés, notamment l’approvisionnement en eau. Parallèlement, un refroidissement des relations entre Singapour et la Malaisie amplifierait les tensions dans toute la région envers les alliés étasuniens. Ainsi, malgré les tentatives de réconciliation du Premier ministre australien Tony Abbott, l’Indonésie a subitement suspendu la semaine dernière ses projets de coopération militaire et migratoire suite aux révélations de mise sur écoute téléphonique en 2009 du président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono et de sa femme. Le soutien de Singapour aux services de renseignements américains pourrait également refroidir les relations entre Singapour et l’Indonésie, qui craint que les renseignements collectés soient partagés avec l’Australie.


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