Etats-Unis : Barack Obama célèbre Martin Luther King

31 Août 2013



Mercredi 28 août était célébré le cinquantenaire du discours historique de Martin Luther King pour l’avancement des droits civiques des Afro-Américains. Barack Obama était très attendu pour parler d’un thème qu’il a souvent tenté d’éviter : la race. Résumé et décryptage.


Crédits photo : AAP
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28 août 1963. Martin Luther King s’avance sur la grande scène qui surplombe le Lincoln Memorial. Il fait face au Washington Monument, obélisque aussi colossale qu’est l’œuvre du père fondateur de la République américaine. Près de 250 000 personnes se trouvent devant lui. La plupart d’entre eux ont participé à la Marche pour le Travail et la Liberté dont la destination finale était ce mémorial. Luther King est le dernier orateur de la journée. Noirs et blancs sont réunis pour écouter leur leader charismatique. C’est lui qui a fait du pacifisme la figure de proue de leurs luttes pour l’égalité, et qui a mené quelques unes de ces batailles au cœur du Vieux Sud. Ce jour là à Washington il le répète encore, la violence ne doit pas être une arme pour les noirs-américains qui se battent pour leurs droits : « Ne cherchons pas à satisfaire notre soif de liberté en buvant dans la tasse de l'amertume et de la haine. Nous devons pour toujours conduire notre lutte sur un plan élevé de dignité et de discipline. Nous ne devons pas laisser nos revendications créatrices dégénérer en violence physique. »

Son discours ne livre pas seulement un manuel de non-violence aux centaines de milliers de spectateurs qui sont venus l’écouter. Ce que Luther King désire c’est donner une illustration poignante du quotidien de ses pairs à ceux qui n’en savent rien. Le quotidien de ceux qui subissent un racisme des plus violents n’est plus seulement un bruit de fond en provenance d’un Sud lointain. Les exemples sont simples, les mots résonnent à merveille. Tout devient plus clair. La plupart de son discours est improvisé, malgré la présence de médias venus quatre coins de la planète. La misère du peuple noir apparaît enfin au grand jour : «Nous ne serons jamais satisfaits tant que le Noir sera victime des horreurs indicibles de la brutalité de la police; nous ne serons jamais satisfaits tant que nos corps, lourds de la fatigue du voyage, nous ne pourrons pas obtenir un logement dans les motels de la grand'route et dans les hôtels des villes; nous ne serons pas satisfaits tant que la mobilité essentielle du Noir consistera à aller d'un ghetto plus petit à un autre plus grand ». Martin Luther King met l’Amérique face à ses promesses jamais tenues et à ses principes fondateurs qui ne s’appliquent qu’à une seule couleur de peau. Aucun lieu n’aurait pu être plus symbolique que le Mémorial Lincoln pour prononcer ces mots. Les idéaux des pères de l’Amérique sont ternis par les mots poétiques du pasteur, ils ne sont plus que de vieux rêves sans réalité. La locomotive du monde est moins brillante.

Martin Luther King, le père du changement

Cependant,  le discours de Martin Luther King est resté célèbre surtout parce qu’il s’est avéré être un formidable message d’espoir pour tous ceux qui l’ont entendu : « Je rêve qu'un jour, au fin fond de l'Alabama, avec ses racistes pleins de haine, avec son gouverneur des lèvres de qui dégoulinent les mots de l'interposition et de la nullification, un jour, même là, en Alabama, les petits garçons noirs et les petites filles noires pourront aller la main dans la main avec les petits garçons blancs et les petites filles blanches, comme frères et soeurs. » Et si cet hymne solennel pour un futur meilleur a résonné aussi fort c’est bel et bien parce que le rêve de Luther King était aussi celui de millions de noirs-américains. La simplicité de ce message d’espoir a fait vibrer les consciences comme jamais aucun discours n’avait pu le faire jusqu’alors. Le 28 août 1963 était sans aucun doute le point d’orgue absolu de la lutte pour les droits civiques. Jamais les noirs-américains n’avaient pu jouir d’une telle attention de la part des médias, et ce, bien qu’ils se soient battus depuis 1955. Luther King était peut-être le meilleur porte-parole pour ce passage de l’ombre à la lumière.  Le président Kennedy ne pouvait plus ignorer la réalité de la ségrégation. En 1964 le Civil Rights Act était voté, interdisant toute forme de ségrégation raciale dans l’ensemble du pays. Le rêve de Luther King pouvait commencer à se réaliser.

Barack Obama, l’héritier ?

50 ans jour pour jour plus tard, Barack Obama a remplacé Martin Luther King devant le Lincoln Memorial. Lui aussi se trouve au devant d’une foule dense, venue sous une lourde chaleur écouter un discours très attendu. En 2013 l’orateur qui surplombe le Mall de Washington est toujours noir. Mais cette fois il s’agit du président des Etats Unis. Le symbole est frappant. Il y a 50 ans Luther King dénonçait le fait que ses camarades ne puissent même pas faire une halte dans le motel du coin. Aujourd’hui l’hôte de la Maison Blanche est un homme de couleur. Tout au long de son discours, Obama n’a cessé de souligner l’importance des mots et des luttes de ceux qui ont eu le courage de sacrifier leur vie pour leur dignité. Il a reconnecté les batailles du passé aux victoires du présent : «Parce qu’ils ont marché, la loi pour les droits civils a été votée. Parce qu’ils ont marché, le Voting Right Act a été signé (…) Parce qu’ils ont marché (…) l’Amérique a changé pour vous et pour moi » Le président des Etats Unis a aussi rendu un vibrant hommage au phrases de celui qui avait la parole 50 ans plus tôt sur cette même estrade : «Ses mots appartiennent à l’histoire. Ils possèdent une puissance et une dimension prophétique jamais égalée depuis» Mais au delà de l’hommage, Barack Obama a voulu créer un message d’espoir qui se voulait dans la continuité de celui de Luther King. Comme lui, il n’a pas hésité à faire référence aux textes fondateurs de la République américaine. En citant les premiers mots de la Constitution, il a su reconnecter les idéaux des textes fondateurs aux victoires des Droits Civiques : « Le changement a toujours été bâti par notre volonté, nous le peuple ». 

La mesure dans le choix des mots et du ton était peut-être le trait le plus marquant de ce discours d’anniversaire. Obama comme Luther King se devait de faire entendre une réalité encore difficile pour les Noirs-Américains. Au lieu de se laisser emporter dans un lyrisme aveugle le président a parfaitement su confronter les victoires passées aux impasses du présent : «Si nous ne sommes plus face aux mêmes dangers qu’en 1963, nous sommes encore confrontés à une réelle urgence », avant d’ajouter que « Les inégalités de richesses entre les races n’ont pas diminué, elles n’ont cessé de croître (…) Quel intérêt pour un homme d’avoir le droit de s’asseoir à n’importe quelle table pour déjeuner s’il ne peut pas se payer le repas» Ce discours volontariste intervient à un moment plus que propice. Au delà des inégalités économiques dénoncées par Obama, les noirs Américains subissent toujours les conséquences désastreuses d’une justice à deux vitesses. Les défenseurs de Trayvon Martin étaient dans la foule pour le rappeler (retrouvez les détails de l’affaire ici ). Les statistiques carcérales confirment largement ces disparités économiques, sociales et judiciaires : 40% des prisonniers américains sont noirs, alors qu’ils ne représentent pas plus de 15% de la population américaine. Beaucoup d’Afro-Américains vivent encore dans des quartiers marginalisés et enclavés. Barack Obama était le plus à même d’en parler, puisqu’il a lui même travaillé au cœur de ces ghettos urbains en tant qu’organisateur de communautés. L’actualité de ces derniers mois n’a cessé de confronter la communauté noire à de nouveaux défis. Le principal d’entre eux est lié à la récente abrogation d’une partie fondamentale du Voting Rights Act de 1965, qui laisse les Afros-Américains à nouveau démunis face aux tentatives d’affaiblissement de leurs droits électoraux par des pouvoirs locaux. 

La mesure d’Obama n’était cependant pas uniquement liée à cette actualité peu réjouissante pour les Noirs américains. Obama ne s’est pas laissé aller à parler en tant qu’homme noir durant son discours, contrairement à Luther King qui en avait fait la force de son intervention. Il n’a pas évoqué sa couleur de peau, et très peu parlé du symbole que représentait son accession à la Maison blanche.
Ce ton très neutre était en continuité avec la manière dont Obama avait jusque-là abordé la question de la race. Son positionnement avait toujours été modéré, que ce soit lors de l’affaire des propos de son pasteur Jeremiah Wright, ou lors des différentes commémorations anniversaires des luttes pour les droits civiques. Deux éléments peuvent expliquer ce positionnement très modéré. Dans un premier temps, Obama est métisse, il appartient aux mondes noir et blanc en même temps. Son autobiographie laisse clairement entendre qu’il n’a jamais réellement su où se positionner. Son expérience dans les ghettos noirs de Chicago lui a montré qu’il ne faisait pas partie de ce monde. Sa couleur de peau reflète une toute autre histoire que celle d’un grand nombre d’Afro-Américains. Son père n’est pas Américain mais un migrant kényan qui a accédé à une éducation très privilégiée. Ses ancêtres n’ont pas subi les mêmes préjudices de l’esclavage que ceux de Luther King. Certains leaders du mouvement pour les droits civiques comme Jesse Jackson ont d’ailleurs refusé de le soutenir durant la primaire de 2008, ne le considérant pas comme l’un des leurs. Du fait de son identité Obama se trouve donc dans une position complexe qui l’empêche de se définir directement comme un héritier de ceux qui étaient sur l’estrade 50 ans auparavant. De plus, Obama est le président des Blancs et des Noirs, il ne peut en aucun cas prendre le risque de prononcer des discours aux accents trop communautaristes, et risquer d’éloigner une partie de son électorat blanc. L’une des forces majeures de la machine électorale d’Obama est qu’elle a su fédérer le soutien de tous, en ne s’attachant pas à une communauté raciale en particulier. Le président ne pouvait ainsi pas se permettre de parler trop personnellement, ou de laisser entendre que les batailles des communautés noires le concernaient plus que n’importe quelles autres.

Entre hommage sobre et bilan mitigé,  le résultat fut un discours mesuré et nuancé, pas forcément marquant, mais assez prudent pour limiter les critiques. On pouvait s’y attendre.

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Laura Wojcik
Étudiante à Sciences Po Paris, rédactrice au Journal International, ex-Redac en chef @TheSundial,... En savoir plus sur cet auteur