Facebook, la musulmane et les régionalistes

Ramalingam Va (traduit de l'anglais par Thomas Denis)
23 Novembre 2012



Suite à la mort du nationaliste indien Bal Thackeray le 16 novembre dernier, Ramalingam Va, étudiant en journalisme à Chennai, nous parle de dérives fanatiques, de liberté et de réseaux sociaux.


Bal Thackeray
Bal Thackeray
Liberté de parole et d'expression – un principe de notre constitution qui nous permet de croire en la démocratie. La liberté d'exprimer nos pensées et opinions sans la peur de l'autorité est fondamentale. Un fondement qui semble se détériorer en Inde suite à la récente arrestation de deux jeunes femmes à cause d'un « statut Facebook ».

Ce n'est pas la première fois en Inde que des personnes sont interpelées pour des raisons aussi triviales. Dernièrement, un activiste pour le RTI (Right to Information), le droit à l'information, a été arrêté à Pondicherry et jeté en prison suite au mail de plainte d'un fils de ministre. Le militant avait eu le malheur de critiquer sur Twitter l'opulence du politicien. Il y a quelques mois, un caricaturiste engagé contre la corruption était accusé de sédition après publication de ses planches. Le dessinateur avait représenté quelques emblèmes nationaux salis par les abus des politiciens. Mais revenons à l'incident le plus frais.

Le cas Facebook: que s'est-il réellement passé ?

Deux jeunes femmes, Shaheen Dhada et Renu Srinivasan, ont été arrêtées par la police sous couvert d'un article du code pénal indien et de la loi sur les technologies de l'information. On les accuse alors d'incitation à la haine et de diffusion d'informations « hautement offensives ». Mais qu'ont donc fait ces deux femmes ? Rien d'exceptionnel. Shaheen Dhada a simplement rédigé le statut suivant sur son profil Facebook :
« Chaque jour des milliers de personnes meurent. Mais la terre continue de tourner. À cause du décès d'un politicien – une mort naturelle – tout le monde devient dingue... À quand remonte la dernière fois qu'on a témoigné du respect ou ne serait-ce que consacré 2 minutes de silence pour Shaheed (martyr) Bhagat Singh, Azad, Sukhdev ou tous ces gens grâce à qui nous sommes des Indiens libres ? Le respect ne se donne pas, il se mérite. Et surtout pas de force. »

Ce statut fait référence à l'immobilisation de Mumbai, capitale commerciale indienne, et de presque tout l’État du Maharashtra après la mort de Bal Thackeray, vieux mais très puissant leader du parti d'extrême droite Shiv Sena. L'organisation est réputée pour ses prises de position violentes sur de nombreux sujets. Shiv Sena se traduit littéralement « armée du Seigneur Shiva » (NDLR Shiva est l'un des dieux les plus puissants du panthéon hindou). Bal Thackeray prônait l'agression des individus qui faisaient obstacle aux natifs de l’État du Maharashtra. Bien qu'il n'y ait eu aucun appel officiel au blocage de la ville, les magasins ont fermé par crainte des partisans et de leur comportement violent. C'est cette paralysie de presque deux jours et demi que Shaheen a relevé sur Facebook. Son amie Renu Srinivasan a « aimé » ce statut. Les mêmes charges accablent les deux femmes. C'est un membre du parti Shiv Sena qui a découvert le message sur le réseau social et à porté plainte à la police locale qui ne s'est pas embarrassée des précautions exigées par la Cour Suprême.

Liberté d'expression bafouée ?

Facebook, la musulmane et les régionalistes
C'est la question que pose cette arrestation. Cette question se pose d'autant plus pour le citoyen lambda victime de procès d'intention absurdes alors que les politiques s'insultent ouvertement et s'en sortent sans la moindre goutte de sueur. Shaheen et Renu ont déclenché une énorme vague de soutien qui conteste l'interpellation immédiate des deux amies par la police. Des policiers pas si rapides et zélés lorsqu'il s'agit de protéger leur propre carrière des personnes influentes. L'un des fondements de la démocratie est la liberté d'expression. Bien qu'elle soit limitée en Inde et pas absolue, comme aux Etats-Unis par exemple, « l'arrestation Facebook » est digne d'un régime autoritaire et condamnable en démocratie.

Chaque jour, des millions d'Indiens écrivent des statuts sur des politiques


Par-dessus tout, Shaheen n'a même pas mentionné les noms du leader et de son parti. Plus grave encore, l'arrestation de son amie qui n'a rien fait d'autre qu'aimer le statut en question. Cette action fait-elle de Renu une complice de propagande violente et anti-religieuse ? Chaque jour, des millions d'Indiens écrivent des statuts sur des politiciens. Certains critiquent, certains condamnent, certains apprécient sur les réseaux sociaux, mais chacun d'entre-nous ne peut pas passer au scanner et être puni. Si cette problématique n'est pas dignement traitée, on peut être sûr que l'avenir de la liberté d'expression contre les méfaits des politiques en Inde se promet bien sombre. Pour ajouter de l'huile sur le feu, le président du Conseil de la presse a adressé un courrier au ministre en chef de l'Etat lui demandant d'examiner la situation. Mais le dirigeant s'est contenté de faire suivre la requête à des collaborateurs qui n'ont même pas pris la peine de répondre à l'expéditeur, par ailleurs ancien juge de la Cour Suprême.

Discrimination religieuse

À Mumbai, la foule a porté son leader à la crémation (source: BBC)
À Mumbai, la foule a porté son leader à la crémation (source: BBC)
Que peut bien se cacher derrière la plainte du militant du Shiv Sena ?
Il y a un sujet sensible qui a toujours hanté le pays, particulièrement avec le Shiv Sena dans les parages : la problématique communautaire. Shaheen Dadha s'avère être musulmane. Les partisans de Bal Thackeray ont contraint la police à l'arrêter en l'accusant de vouloir chambouler les funérailles. La foule est allée encore plus loin en vandalisant un hôpital qui appartient à l'oncle de Shaheen. Bien que les partisans violents aient été arrêtés, le rapport de police ne comporte que la mention unknown accused (accusé inconnu). Ceci confirme que les forces de l'ordre ont agi hâtivement avec les deux femmes si l'on compare avec les individus qui ont vandalisé l'hôpital. Aujourd'hui relâchées, les jeunes femmes ne seront pas dédommagées pour le préjudice qu'elles ont subi ces derniers jours. Elles ont récemment déclaré vouloir disparaître de tous les réseaux sociaux sur internet (NDLR Le compte Facebook de Shaheen a de toute façon été piraté) et souligné leur humiliation lorsque leurs voisins et amis ont commencé à les ignorer. Elles n'ont rien fait de mal. Ceux qui les ont trainées dans une telle situation doivent être interpelés : le plaignant qui a poussé la police à arrêter les deux femmes et les autorités qui ont agi inconsciemment en n'analysant pas correctement la situation.

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