Femen Canada : les femmes et leur corps, un droit, un combat

8 Juin 2015



Depuis trois ans, le groupe sextrémiste Femen s’est implanté au Québec. À chacune de leurs actions, les militantes accusent le pays de brimer le droit des femmes. La lutte de Femen, au Canada comme dans tous les autres pays, vise le patriarcat, la religion et l’exploitation du corps de la femme, qui induisent la mort de milliers de femmes chaque année, y compris en Occident. Rencontre avec Neda Topaloski, activiste de Femen Canada depuis un an et demi.


Crédit Yannick Fornacciari
Crédit Yannick Fornacciari
Femen, le groupe qui se revendique comme sextrémiste, veut détruire les symboles patriarcaux en faisant du corps des femmes un combat et non plus un objet sexuel. Trouvant ses origines en Ukraine, le mouvement féministe défend les droits des femmes, la démocratie et la lutte contre la prostitution, le trafic humain, la corruption et les religions monothéistes. Selon Neda Topaloski, Femen vise à « détruire le patriarcat en changeant les signifiés des signifiants que le patriarcat utilise, comme le corps des femmes. C’est un mouvement politique de femmes spécifiquement entraînées pour déjouer les codes qu’on nous impose ».  Le combat de Femen passe par le corps des femmes, dévoilant des poitrines dénudées sur lesquelles sont peints des slogans. 

L’apparition de Femen-Canada date de 2013, lorsque des militantes sont entrées dans l’Assemblée nationale québécoise en scandant « Crucifix décaliss », accusant ainsi la présence de signes religieux ostentatoires au sein des institutions politiques. Si le mouvement est encore jeune au Canada, de nombreuses manifestations féministes envahissent la rue chaque année pour contester les politiques provinciales et fédérales. Depuis 2011, une manifestation appelée Slutwalk proteste contre la banalisation de l’excuse selon laquelle les choix vestimentaires d’une femme seraient la cause de son viol. Lors des manifestations étudiantes du printemps érable 2012 et celles de 2015, des manifestations du soir exclusivement réservées aux femmes étaient organisées.

Le combat de Femen ne se joue toutefois pas que dans la rue. Il passe par la réappropriation du corps des femmes par elles-mêmes. Selon Neda Topaloski, « le discours entendu sur les femmes provient d’un système patriarcal, il provient des hommes qui parlent de femmes. On est toujours les objets du regard, du discours, du désir. Nous, Femen, devenons les sujets de notre discours. Notre corps, c’est nos idées. Mon corps est un sujet et non plus un objet. Devenir ce sujet, c’est ce que je souhaite pour toutes les femmes. Des femmes qui commencent à parler d’elles, à la place d’intérioriser le fait de se faire regarder par les yeux des autres ».

Crédit Yannick Fornacciari
Crédit Yannick Fornacciari
Il y aurait ainsi un vrai travail à faire pour inculquer une estime de soi aux femmes et pour lutter contre la culpabilisation inculquée par les médias, dont les publicités. En faisant des actions seins nus, les militantes de Femen veulent se réapproprier leur corps, leur identité pour transformer leur corps en outil politique. « Les femmes se détachent de leur corps depuis toutes petites. On leur apprend à en avoir honte. Depuis que je suis à Femen, je n’ai plus honte de mon corps. Je suis comme ces hommes qui n’ont jamais eu besoin de se détacher de leur corps. Et c’est normal ! Mon corps, c’est moi, c’est mon identité » nous confie Neda. Le combat de Femen-Canada se tourne principalement autour de trois grands enjeux : le droit des femmes à l’avortement, la place de la religion dans la société et dans la vie politique et la traite des femmes.

L’avortement dans la ligne de mire du gouvernement

Le 28 novembre 2014, le projet de loi nommé « Loi édictant la loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée » est déposé au ministre québécois de la Santé Gaétan Barrette. Le texte prévoit de retirer à l’avortement son statut d’Activité médicale prioritaire (AMP). Les médecins québécois sont toutefois limités à 12 heures de pratiques d’AMP par semaine. L’avortement ne faisant plus partie de ces pratiques prioritaires, les médecins ne sont plus obligés d’en réaliser. Cette mesure mise en place vient donc limiter l’accès à l’avortement. Le projet de loi 20 veut par ailleurs diminuer le nombre d’interruptions volontaires de grossesse pratiquées par les médecins. Tout ceci induirait non seulement un accès limité à l’avortement pour les femmes, mais aussi la fermeture de centres et de cliniques pour femmes. 

Au Québec, 24 000 avortements sont réalisés chaque année. D’autres services et soins, offerts dans les cliniques de planification des naissances, sont dans la ligne de mire du ministre de la Santé. Les services de dépistage de maladies sexuellement transmissibles ou de contraception ne sont effectivement pas reconnus dans le projet de loi 20, tandis que les programmes de procréation assistée seront limités. Les activités de fécondation in Vitro (FIV) seront rendues interdites pour les femmes âgées de moins de 18 ans et de plus de 42 ans. Elles ne seront plus gratuites, sauf en cas d'insémination artificielle.

L’instauration de quotas d’avortement a provoqué de vives réactions auprès des mouvements féministes, que ce soit Femen ou le Centre des femmes. Le 30 avril dernier, Neda Topaloski a interrompu une conférence de presse donnée par la ministre québécoise Hélène David, en criant « Non à la loi 20 », « Mon utérus, ma priorité ». Cette action de Femen veut pointer du doigt une loi allant à l’encontre du droit des femmes à avorter. Si le ministre de la Santé Gaétan Barrette et le Premier ministre Philippe Couillard ont assuré ne pas vouloir restreindre l’accès libre et gratuit des femmes à interrompre leurs grossesses, auprès des grandes chaînes d’information, il n’en demeure pas moins que les quotas seront abolis. Les médecins désirant ne pas respecter les quotas de 1008 IVG par an verront leur salaire réduit jusqu’à 30 % de leur rémunération totale. 

« La Marche pour la vie »

Chaque année, le clergé canadien et la campagne Québec-Vie organisent un grand rassemblement anti-avortement sur la colline parlementaire d'Ottawa, appelée « la Marche pour la vie  ».  La campagne Québec-Vie se donne pour ambition d’interférer dans les lois gouvernementales afin d’y imposer leurs valeurs. Sur leur site internet, le collectif affirme vouloir préconiser « l’éducation du gouvernement et des citoyens sur l’avortement, la recherche entreprise sur les cellules souches embryonnaires, le suicide assisté, l’euthanasie et d’autres menaces aux droits de l’Homme et à la dignité humaine », au même titre que « la sollicitation du gouvernement afin qu’il décrète des lois cohérentes avec [leur] but de protéger les Canadien(ne)s de tous âges et de toutes habilités ».

Rappelons que des députés fédéraux se joignent chaque année aux membres du clergé pour soutenir les manifestants de la « Marche pour la vie ». Femen se bat pour le droit à l’avortement – droit toujours refusé aux femmes dans certains pays tels que l’Irlande, la Belgique (sauf en cas de détresse) et le Chili. Le droit des femmes à avorter est également limité en Turquie, et maintenant au Québec. Ces limites tiennent au nombre de pratiques autorisées par médecin ou au nombre de cliniques et hôpitaux pouvant effectuer cette pratique médicale. Le 14 mai 2015, plusieurs activistes Femen sont parvenues à perturber la « Marche pour la vie ». Une intervention qui met aussi en cause, entre autres, une collusion entre la religion et le gouvernement.

Selon Neda Topaloski, « les membres du Parlement canadien et les sénateurs qui se positionnent contre l’avortement sont évidemment en lien avec les lobbies chrétiens. Ils poussent à travers eux des lois en leur faveur. Honnêtement, dans quel pays démocratique du monde peux-tu imaginer le clergé qui se réunit à l’intérieur du Parlement avec des sénateurs et d'autres membres, uniquement des hommes habillés en tradition, suivant un protocole (…), sans une seule femme ni au clergé ni au Parlement. Et ils parlent des questions qui touchent la vie des femmes, ça n’a pas d’allure »

Crédit Yannick Fornacciari
Crédit Yannick Fornacciari
Au Canada, la religion joue un rôle déterminant. Elle fait partie de nombreux groupes lobbyistes. Il convient d'ailleurs de rappeler qu’entre 2008 et 2010, le lobby chrétien Famille Action Coalition avait rencontré à six reprises des ministres et députés du gouvernement Harper. Stephen Harper faisait d’ailleurs partie des députés ayant voté en faveur d’un projet de loi de 2007 visant à faire d’une agression ou d’un meurtre d’une femme enceinte une double agression ou un double homicide. En 2012, Stephen Woodworth, député conservateur, a aussi déposé à la colline parlementaire une motion préconisant la création d’un comité parlementaire sur la définition légale d’un être humain.

Le Grand Prix de Montréal accusé de participer au tourisme sexuel

Au Canada, les mouvements féministes sont nombreux à lutter contre la prostitution et la traite des femmes. Ainsi, la ville de Montréal possédait en 2013 plus de 420 commerces liés à l’industrie du sexe. Ces nombreux bars de danseuses, salons de massages et escortes implantés à Montréal contribuent à faire de la métropole une destination touristique prisée. Selon les estimations de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC), environ 1 500 personnes étaient victimes de la traite humaine au Canada en 2005.

Le taux de mortalité est quarante fois plus élevé que la moyenne canadienne pour les femmes engagées dans la prostitution. Celles-ci ont 20 fois plus de risques d’être assassinées. Pour Femen-Canada, cette forte concentration de commerces du sexe à Montréal est symptomatique de nos sociétés occidentales. 

Selon Neda Topaloski, « l'économie de consommation carbure au corps des femmes, tout le temps et partout. Ce qui est très spécifique au monde nord-américain, c’est que tout le monde fait semblant, comme si c’était super normal. Quand il y a des actes de violence, comme l'excision ou le fait d'interdire à toutes les femmes de montrer leurs cheveux, les gens sont beaucoup plus portés à voir la violence et l’injustice car elles sont très matérielles et très performatives par des signes extérieurs qui en témoignent et qui sont faciles à voir. Cette économie de consommation, c’est de la manipulation psychologique, de l’effritement de l’estime de soi des femmes. Cela prouve que les femmes sont des objets sexuels uniquement, des choses qui servent à vendre, juste parce qu'il s'agit de la culture ambiante. Il y a tellement de conséquences à ça, à commencer par les maladies tels que les troubles alimentaires et psychologiques, l’intimidation à l’école... Ici, ce laisser-aller à une culture ambiante qui est d’une violence extraordinaire est prépondérant ».

Le Grand Prix automobile de Montréal exacerbe toutes ces revendications du mouvement sextrémiste. Pendant ces trois jours, l’afflux des travailleuses du sexe est tel que l’on évalue entre 1000 et 2000 $ le montant qu’un touriste peut donner à une danseuse qui lui offre des faveurs sexuelles. Les actions de Femen-Canada lors du Grand Prix de Montréal visent plus particulièrement « l’industrie du sexe à Montréal, le tourisme sexuel et le Grand Prix lui-même, qui publicise les femmes comme des objets sexuels, que ce soit comme serveuses ou prostituées ». L’an dernier, les militantes de Femen-Canada ont donc dévoilé leur corps pour accuser le Grand Prix de contribuer à la traite des femmes et à l’hypersexualisation de leur corps.

Vidéo : rencontre avec Neda Topaloski


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Laurine Benjebria
Ancienne correspondante au Québec puis rédactrice en chef du Journal international. Curieuse,... En savoir plus sur cet auteur