Grand Théâtre de Casablanca : un avenir culturel au Maroc ?

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Ali Choukroun
20 Septembre 2016





Dar El Bayda, Casa Blanca, la Maison Blanche. Triptyque linguistique. Brelan de culture. Le melting-pot civilisationnel ne constitue pas un atout digne d’une telle cité dont le showcase patrimonial ambiant reste léger. À la confluence des contradictions marocaines, le Grand Théâtre (GTC) brise ce dogme fataliste. Est-ce réaliste d’insuffler l’art de la scène dans un contexte ou les activités culturelles ne bénéficient pas des budgets les plus importants ? Décryptage.


La place Mohammed V. Crédit : Ali Choukroun
La place Mohammed V. Crédit : Ali Choukroun
S'il est vrai que Casablanca s’est muée en un eldorado commercial, il n’en reste pas moins que son patrimoine architectural et culturel est mineur comparée à d'autres villes du Maroc. La Mosquée Hassan II et les Habouss demeurent une vitrine faible. Pourtant, durant soixante ans, la ville a connu une période intellectuellement faste. Le Théâtre Municipal de 1920, œuvre du protectorat français, irrigue le goût de la comédie dans toutes les habitations. En 1984, les autorités le clôturent. En guise de substitution, ils proposent un ouvrage grandiose. Naît alors l’idée du Grand Théâtre de Casablanca (GTC). Des chantiers plus importants sont alors en cours. Le projet reste ainsi dans les fonds de tiroirs jusqu’en 2009.

Casablanca Aménagement, une société anonyme, le relance. En juillet 2009, elle émet un appel d’offre à l’attention des architectes. Les travaux s’amorcent en octobre 2014. L’état d’avancement actuel est de 45 % et l’ouverture est prévue pour novembre 2017. Le résultat est censé aboutir à 24 700 m2 répartis entre autre sur deux salles de 1 800 et 600 places. Le budget exhaustif s’élève à 1,5 milliards de dirhams, soit 140 000 000 €. Un nombre faramineux qui soulève l’interrogation sur la réelle nécessité de cette œuvre.

Conséquence internationales et sociologiques

Moulay Hafid Elalamy est le président du jury qui décide de l’idée retenue. Il affirme que « le projet doit être réalisé en étroite collaboration entre des architectes marocains et étrangers ». Ainsi, des architectes de renom y participent. Les ébauches de Zaha Hadid, Franck Gehry, Rem Koolha, Aziz Lazrak sont refusés. C’est finalement le binôme maroco-français Rachid Andaloussi / Christian de Portzamparc qui est retenu. La direction du projet recrute également le cabinet sonore asiatique Xu Acoustique et la compagnie londonienne Theatre Projects pour habiller l'intérieur du théâtre et innover en matière de son. Des entreprises de haute technologie.

Maintes polémiques ont émergé. Le scandale majeur correspond à l’emplacement choisi. La place Mohammed V et sa fontaine sont les reflets architecturaux de Casablanca. Leur démolition est mal vue par les citadins. Une pétition est lancée mais les concepteurs ne reculent pas. Ils prévoient de remplacer ces monuments par des restaurants, échoppes, librairies et boutiques en tout genre. La réalité s’éloignera-t-elle de la motivation culturelle d’origine ?

Avancement du projet. Crédit : Ali Choukroun
Avancement du projet. Crédit : Ali Choukroun
Certains citoyens restent confiants. Karim, ingénieur casablancais de cinquante ans, se dit « enchanté de ce projet et y place beaucoup d'espoir parce qu'[il sent] que la culture manque dans la ville ». Il a « grand espoir que la culture marocaine revienne à Casablanca. On est inondé d’émissions mexicaines et brésiliennes et les productions nationales sont pauvres quantitativement et qualitativement ». Dans la même logique, Amine, étudiant marocain, affiche son engouement : « quel plaisir ! Cest une réelle bonne nouvelle pour notre ville. Les artistes pourront enfin exprimer leurs talents et tenter de faire évoluer mœurs et mentalité. Grâce ce genre de projet, Casablanca rayonnera un peu plus à linternational ! »
 

Un progrès prétentieux ?

Le SMIC net ne dépasse généralement pas les 2500 dirhams (250 €). De ce fait, une frange du peuple ne dispose pas des moyens financiers pour se permettre une sortie dans un tel établissement. Il se trouve également que des universités adaptées sont inexistantes. L’initiative de Fondation des Arts Vivants, opérée par Nouredinne Ayouch, si honorable soit-elle, n’a éclos qu’en 2004. Aurait-il été préférable d’allouer une telle somme à des infrastructures annexes ? La jeunesse y croit quand même. À l’instar de Radia, étudiante : « il y a un potentiel monstrueux, les jeunes marocains ont des ressources extraordinaires et si ils parviennent à écrire leurs propres scénarios, ce seront des représentations hors pair, tellement riches. Après faudrait seulement pas que les prix soient inabordables. Enfin surtout pour la classe populaire, cest sûrement celle qui a le plus de chose à dire ».

Le pays est à la croisée des destins. Terre promise à un vivier culturel neuf, empli de fougue et de passion, ou chute dans la désuétude des mœurs diaboliques de la folie consumériste et de ses effets pervers ?

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