Grèce : 40 ans après, l'insurrection du 17 novembre

Dimitri Mézière et Mary Kourpa, correspondants en Grèce
20 Novembre 2013



Le 17 novembre 1973 a eu lieu la première révolte étudiante contre le régime des colonels. Aujourd'hui, c'est toute la communauté estudiantine qui a commémoré les soulèvements qui ont bousculé la société grecque. Retour sur cette journée singulière avec deux correspondants du Journal International, à Athènes et Thessalonique.


Crédits photo -- Reuters
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À Athènes, la commémoration des 40 ans de la révolte étudiante s'est déroulée sans incidents majeurs. Comme chaque année, l’École Polytechnique était ouverte au public durant 5 jours. Une exposition photo s’est offerte aux yeux des visiteurs et des projections de documentaires ont été organisées au sein de l'université. Dans la cour principale,quelques concerts ravivent l'ambiance. C’est dans cette même cour que les Athéniens ont pu déposer des fleurs auprès du monument dédié aux étudiants de 1973. Les jeunesses de gauche s'étaient donné rendez-vous dans le hall de l'école et avaient organisé plusieurs conférences qui ont réuni des professeurs grecs ainsi que plusieurs philosophes étrangers, venus pour l'occasion.

Dimanche 17 novembre, la grande manifestation annuelle démarrait à 15h. Plus de 35 000 citoyens - une des plus grandes participations de ces dernières années - ont défilé en partant de l’École Polytechnique. Après être passé devant le Parlement, le cortège a terminé son parcours devant l’ambassade des États-Unis. Un léger incident est survenu au cours de la manifestation, lorsque deux jeunes hommes français, totalement nus, ont fait face à un barrage de police sur une des voies principales.

Crédits photo -- Ta Nea
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En règle générale, le 17 novembre donne lieu à de violents affrontements entre policiers et manifestants. Cette année, aucun incident majeur n’a été à déplorer au cours de la manifestation. Néanmoins, après le défilé officiel du cortège, quelques brigades policières se sont rendues à Eksarhia pour s'attaquer à des civils assis aux terrasses des cafés. Le quartier, près de Polytechnique, est surtout connu pour son atmosphère anarchiste. Sans aucune raison apparente, les forces de police ont fait usage de gaz lacrymogène et de matraques, en dehors du cadre officiel de la manifestation. Ce débordement s'inscrit dans la tendance générale à la radicalisation des tensions sociales au sein du pays.

À Thessalonique, deuxième plus grande ville du pays (l'université de Thessalonique est la plus grande d'Europe méridionale, ndlr), la commémoration des 40 ans de l'insurrection étudiante de l’École Polytechnique était très attendue. Sous très haute surveillance policière, un cortège de plus de 10 000 manifestants, rassemblant des sympathisants de SYRIZA, d'ELME, du KKE et d'ANTARSYA, a défilé en fin d’après-midi sur Egnatia, l’artère principale de la ville, et ce, jusqu'en début de soirée. Les manifestants se sont ensuite dirigés vers ET3, antenne locale rattachée à ERT. Excepté l'intervention des forces anti-émeute dans la cour de la faculté de théologie, où 15 individus masqués s'étaient introduits, la commémoration du 17 novembre s'est déroulée dans le calme. Une accalmie qui semblait traduire la lassitude de beaucoup de manifestants. Étudiante à l'université Aristote, Vasiliki nous explique que « toutes ces manifestations ne sont plus écoutées, et ce depuis longtemps, par le gouvernement. Elles servent d'avantage à fédérer les grecs venus résister. »

Une éducation en crise

Les droits concernant l'éducation, obtenus notamment grâce à la résistance étudiante de 1973, sont aujourd'hui remis en cause par les exigences budgétaires de la troïka. Cette rentrée 2013 a été caractérisée par la mise en disponibilité de 12 500 fonctionnaires, dont de nombreux enseignants. Ainsi, certains professeurs du secondaire enseignent désormais dans le primaire. Concernant les universités, une grande partie du personnel administratif a été licenciée, les cours n'étant assurés parfois que par les fonctionnaires licenciés bénévoles. En somme, c'est le droit à une éducation publique de qualité qui est aujourd'hui remis en cause, donnant une nouvelle signification au mot « παιδεια » (éducation), scandé par les manifestants de 1973 et repris 40 ans après.

La radio publique ERT émet depuis l’École Polytechnique

Personne n'avait pu croire que le gouvernement fermerait si soudainement ERT, la chaîne de la télévision et radio publique, le 11 juin dernier. Les 2500 fonctionnaires, qui ont officiellement été mis en disponibilité, ont occupé les locaux de la télévision pendant plus de 5 mois, émettant dans l’illégalité. Mais, quelques jours avant la célébration du 40e anniversaire de l'insurrection étudiante, le 7 novembre, au petit matin, la police a évacué les anciens locaux d'ERT. L'opinion publique grecque a été scandalisée par cette expulsion qui a eu lieu dix jours avant la commémoration de la révolte du 17 novembre 1973.

Suite à l’invitation des étudiants et des fonctionnaires en grève, des journalistes d'ERT ont décidé d'enregistrer, pendant les trois jours de commémoration, des émissions de radio depuis ce lieu symbolique qu'est l’École Polytechnique. Malgré les menaces d'expulsion et d'arrestations faites par le gouvernement et la police, l’émission a eu lieu vendredi et samedi derniers sans aucuns heurts. Le matériel technique qui a été utilisé appartient à l'université. Il avait servi à diffuser, sur les ondes, les émissions que les étudiants avaient réalisées en 1973, pendant la révolte. Ce passage de relais fût donc un moment hautement symbolique et émouvant. Dans un même temps, les journalistes ont organisé des concerts au sein de l’université et continuent leur mobilisation.

Novembre 1973, le mai 68 grec

Crédits photo -- FOSPHOTOS
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Alors qu'en mai 1968 un mouvement estudiantin agite l'Europe, la jeunesse grecque est, elle, strictement encadrée par le code moral du régime des colonels. Cheveux longs pour les jeunes hommes, et mini-jupes pour les jeunes femmes, sont prohibés. À titre d'exemple, les Beatles n'avaient pas non plus le droit d'être diffusés sur les ondes du pays. Le régime en place depuis avril 1967, communément appelé « dictature des colonels », est en effet caractérisé par son conservatisme tant politique que moral.

Amorcé par une insurrection étudiante, en novembre 1973, un mouvement contestataire plus important a vu le jour. Du 14 au 17 novembre, des centaines d'étudiants ont occupé l’École Polytechnique et y ont installé une radio clandestine. Mais le mouvement a violemment été réprimé dans le sang par Ioannidis, à la tête du régime, successeur de Papadopoulos. Dans la nuit du 17 novembre, les tanks ont pénétré dans l'enceinte de l’École Polytechnique, faisant 24 morts et plus de 200 blessés. Quelques mois plus tard, pendant l'été 1974, la junte militaire tombe définitivement. Le massacre du 17 novembre en aura été l'élément déclencheur.

De nombreux parallèles entre la situation de 1973 et la crise que connaît le pays 40 ans après ont été mis en évidence. La semaine dernière, l'évacuation manu militari des locaux de la chaîne publique ERT, qui étaient toujours occupés par quelques journalistes, a choqué l'opinion publique s'apprêtant à commémorer le démantèlement de l'occupation étudiante de 1973. Par ailleurs, les slogans de 1973 à l'encontre des États-Unis, ayant une part de responsabilité vis-à-vis de l'installation de la dictature en 1967, sont maintenant adressés aux institutions néolibérales de la troïka. Tant en 1973 qu'en 2013, le peuple grec semble être gouverné par des puissances qui lui sont extérieures. Enfin, la résistance face à la dictature et à la menace raciste semble toujours d'actualité, au moment où Aube Dorée gagne en popularité. La crise économique, sociale, et politique de la Grèce trouve son expression dans le slogan de 1973, aujourd'hui repris : « ψωμι παιδεια ελευθερια » (« Pain, Éducation, Liberté »)

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