Gustavo Germano: mémoire vivante d’un passé récent

Fabiana Nanô, correspondante à Sao Paulo
8 Mars 2013



Cela fait au moins neuf ans que Gustavo Germano se consacre à un travail de récupération de la mémoire collective sud-américaine. Comme victime indirecte de la dictature argentine (1976-1983), Germano réussit à unir cette composante personnelle avec sa passion par la photographie. Le résultat figure dans la série de photos « Ausencias » (« Absences »), déjà largement récompensée en Argentine et l’exposition se trouve actuellement en exposition au Brésil, aux Archives publiques de l’État de São Paulo jusqu’en avril.


Gustavo Germano: mémoire vivante d’un passé récent
En 1976, Germano a perdu Eduardo, l’un de ses frères, emporté par la dictature à l’âge de 18 ans. Étant le plus jeune des trois frères, Gustavo n’avait que 12 ans lors de cette tragédie. Trente ans après, déjà comme photographe, il commença à prendre contact avec plusieurs familles ayant perdu des proches (morts ou disparus) à l’époque du régime militaire, afin de rechercher des photos d’archives personnelles, où la victime apparaissait. Il voulait prendre exactement la même photo, au même lieu, mais cette fois sans la personne tant aimée.

Au début, c’était des familles argentines qui étaient prises en photo, et ensuite celles-ci étaient exposées. Avec le temps, il lui vint l’envie d’élargir son travail. Il y a deux ans, Germano commença à prendre contact avec des familles brésiliennes dont les photos composent en grande partie son exposition de São Paulo. Encore aujourd’hui, Gustavo Germano sent qu’il n’a pas encore achevé sa tâche. « Je voudrais réaliser plusieurs séries complémentaires et élargir mon travail dans d’autres pays du Cône Sud qui ont subi l’Opération Condor*, comme le Chili, le Paraguay, l’Uruguay », nous a confié le photographe.


« Nous sommes tous frères et sœurs »

En Argentine, Germano a travaillé avec 15 familles et au Brésil avec 12. Il réussit à échanger avec elles grâce à plusieurs associations des droits de l’Homme et militants pour la mémoire des morts et disparus victimes des dictatures sud-américaines. Dans le cas du Brésil, le photographe a collaboré avec le Secrétariat Spécial des Droits de l'Homme de la Présidence de la République. « Avec leur aide, j’ai pu faire tout ce long travail de contact avec les associations, j’ai pu me renseigner, et trouver des photos qui pourraient être refaites à la fois sur le plan technique comme sur l'opérateur, parce que toutes les personnes devaient être d’accord pour être sur la photo », raconte-il.

Dans ce processus, les grandes distances ne réussirent pas à l’intimider. Germano a parcouru le Brésil à la recherche d’histoires de famille comme la sienne, et il rencontra de nombreuses familles à travers les villes lointaines comme le Recife (au nord-est), Belo Horizonte (au sud-est) et São Leopoldo (au sud).

Le fait d’être étranger dans un pays de dimensions continentales ne l’arrêta guère. « Je croyais fortement que la communication avec ces familles, également victimes de la dictature, était le plus important. Pour y arriver il n’y a pas eu de frontière, nous sommes tous frères et sœurs », affirma le photographe.

L’objectif de son travail ne se restreint pas à la mémoire des victimes, directes ou indirectes, des régimes militaires, comme le régime brésilien (1964-1985). Le photographe lui-même le définit d’une autre façon. « Cette exposition veut aider les personnes à prendre conscience des disparitions forcées et qu’elles puissent trouver cette compréhension à travers l’art, cet engagement est beaucoup plus puissant que celui signé par l’intellectualité. C’est le cœur de ce travail ».

L’exposition est un vrai succès. Germano la présenta plus de 40 fois, dans 10 pays (Argentine, Espagne, Italie, Allemagne, France, Suisse, Cuba, Colombie, Chili, Uruguay et Brésil). C’est sa façon à lui de rencontrer et d’accomplir son engagement avec la vérité et la justice en Amérique du Sud.

* L'Opération Condor consista en une coopération de plusieurs dictatures de pays d'Amérique du Sud pour mener des campagnes anti-guérilla. S'est ouvert en Argentine, le 5 mars dernier, un procès pour juger d'ex-responsables (au nombre de 25) de l'exécution du Plan

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