Hongrie : Sziget Festival, « l’île de la liberté » éphémère

Hugo Ruiz, envoyé spécial à Budapest
21 Août 2013



Du 5 au 12 août se tenait à Budapest la 21ème édition du Sziget Festival. 362 000 festivaliers se sont rendus sur l’île d’Obuda, où se tenaient près de 400 concerts. Sacré « meilleur festival européen » en 2012, cet événement a, une fois de plus, joué sur la démesure, l’utopie et la multiplication des sensations.


Crédit Photo -- Sziget / Sándor Csudai
Crédit Photo -- Sziget / Sándor Csudai
Au début des années 1990, une star du rock et un programmateur musical imaginent, sur une île de Budapest, un lieu de rencontres, d’échanges et de spectacles pour la scène musicale hongroise. Nous sommes à l’époque à la fin de l’ère communiste. Aujourd’hui en 2013, le Sziget (île, en hongrois) compte parmi les événements majeurs de la vie culturelle européenne. A contrecourant d’un contexte politique parfois inquiétant, le festival ne lésine pas sur les moyens pour s’affirmer hors du temps et de l’espace.

« REPUBLIC OF SZIGET, ISLAND OF FREEDOM »

Le slogan est sans équivoque : « Republic of Sziget, Island of Freedom ». Le Sziget se veut une île ouverte à tous, sans restriction géographique. Pour preuve, cette année, les festivaliers venaient de 69 pays et les artistes de 52 contrées. Le livret du festival était distribué sous la forme d’un passeport, et chacun a pu bénéficier pendant une semaine de cette ambiance cosmopolite. Celle-ci se traduisait sur tous les plans, aussi bien culinaires que culturels. Libre à chacun, donc, d’écouter de la pop magyare en mangeant des sushis, ou des percussions kényanes en mordant dans des fajitas.

Cette mondialisation massive connaît toutefois un effet collatéral. Alors que les festivaliers les plus assidus gagnent le statut de szitizens et que des dizaines d’ambassades sont présentes sur l’île, en cas de papiers perdus, nous ne sommes plus vraiment en Hongrie. Cela se sent à l’oreille : si le hongrois reste pour beaucoup exotique et sibyllin, il n’est que fortement minoritaire au Sziget, où 85% des « habitants » parlent anglais, allemand ou français. Il ne faut pas s’attendre non plus à être dépaysé par d’inconnus visages sur les pièces et billets : la monnaie au Sziget est entièrement dématérialisée, via une carte de paiement spécifique, et au demeurant fort pratique. Finalement, le véritable bémol n’est pas que le monde s’invite au Sziget, mais bien que les Hongrois en soient privés. En effet, pour une population dont le salaire moyen s’élève à 400€ par mois, un pass hebdomadaire à 300€ constitue une exclusion de fait. Et si la pinte de bière à 2€ séduira les étudiants français, elle est nettement au-dessus des tarifs ordinairement pratiqués à Budapest. L’objectif du Sziget est donc clairement affiché : grandir, se diversifier, et toucher bien au-delà des frontières.

UN MONDE IMAGINAIRE

Crédit Photo -- Sziget / Balázs Mohai
Crédit Photo -- Sziget / Balázs Mohai
Le Sziget n’est pas un festival de rock. Le Sziget n’est pas un parc d’attractions. Le Sziget n’est pas non plus un rendez-vous d’art contemporain. Pour son directeur des Relations Internationales, le Sziget est un « monde imaginaire ». Évidemment, la programmation musicale a de quoi faire pâlir nombre de ses homologues : cette année se sont produits entre autres Blur, Franz Ferdinand, Ska-P, David Guetta, Nick Cave, Woodkid, ou encore Mika. Ici, pas de segmentation du public, les amateurs de rock 90’s ont aussi bien trouvé leur bonheur que les aficionados de musiques du monde ou d’electro. Toutefois, on ne vient pas au Sziget que pour ses concerts. Connaissez-vous la fête des couleurs Holi, en Inde ? Le festival s’en est inspiré et a organisé une spectaculaire « bataille de pigments » devant la scène principale. Avez-vous déjà voulu faire du saut à l’élastique ? C’est possible. Vous voulez du calme et de la poésie ? Rendez-vous au luminarium, gigantesque structure gonflable et lumineuse.

Dans ce paradis des sens, tout doit être expérimenté plutôt que vu. De fait, pour parvenir à ce résultat une semaine durant, le travail en amont est colossal, et les chiffres vertigineux. Sur cette île de 78 hectares officiant, pendant l’année, en tant qu’aire de pique-nique, ce sont 7500 ouvriers qui, en juillet, installent le site du festival en 3 semaines. En outre, pour assurer le bon déroulement de l’événement, ce sont 1200 agents de sécurité et plusieurs centaines de policiers qui sont mobilisés ! Aucune île paradisiaque ne s’entretient d’elle-même, et, hélas, il convient de noter l’incroyable disponibilité des bénévoles, dont certains sont assignés à des tâches aussi ingrates que la distribution de papier-toilette à l’entrée des sanitaires.

L’utopie n’est donc pas totalement complète. Les contrôles d’identité systématiques à l’entrée de l’unique bureau de tabac de l’île, nous rappellent que la Hongrie connaît actuellement une situation délicate en termes de libertés individuelles. C’est néanmoins un très beau et séduisant pari que celui de ce festival unique. Si de nombreuses questions sociales sont prises en considération, avec la présence d’un chapiteau « queer » ou d’un parc sur le thème du handicap, on regrette en revanche le manque d’attachement à l’enjeu écologique. Tous les déchets sont brûlés, et aucun tri sélectif n’est mis en place, pas plus qu’un système de consigne pour les gobelets –pourtant très commun dans ce type d’événements.

Voici donc un nouveau défi pour la 22ème édition qui aura lieu en août prochain, et qui aura à cœur de justifier une fois de plus sa notoriété !

Crédit Photo -- Sziget / Balázs Mohai
Crédit Photo -- Sziget / Balázs Mohai

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