Irlande : Éamon de Valera, l’éternel révolutionnaire

Fabien Aufrechter
2 Octobre 2013



Edward de Valera est né à New York en 1882. Arrivé en Irlande très jeune suite à la mort de son père, il devient professeur de mathématiques. En quelques années, il s'est transformé en révolutionnaire ardent sous le nom gaélique d’Éamon de Valera, puis en un homme d’Etat pragmatique qui incarne encore aujourd’hui une certaine idée de l’Irlande. Portrait.


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C’est en 1913, à l’aube de la Première Guerre mondiale, qu’Éamon de Valera s’engage politiquement. Bien qu’étant père de trois enfants, il décide de s’engager parmi les Óglaigh na hÉireann (Volontaires). Les Volontaires, nationalistes refusant toute négociation avec les Britanniques qui contrôlent alors l'Irlande, s’opposent à la conscription et prennent parti pour une révolution violente visant à libérer l’Irlande. Cette révolution sera celle des « Pâques sanglantes » de 1916.

Éamon de Valera fait partie du commandement de la rébellion. Mais, face à l’échec de la révolte, aussi mal planifiée qu’irréaliste, de Valera dépose les armes avec son bataillon. Condamné à mort pour terrorisme, il est épargné peut être à cause de sa nationalité américaine, mais plus vraisemblablement à cause de la sentence qui, arrivant trop tardivement, laissa le temps à l’opinion de plaider la clémence à son égard.

De terroriste à homme d’État

Seul survivant de l’exécutif des « Pâques sanglantes », de Valera est élu Président du Sinn Féin (le parti nationaliste irlandais) en 1917 puis Président d’un gouvernement provisoire et non officiel en 1919. Il part pour les États-Unis à la recherche de financement pour son parti. À son retour, devant un déferlement de violences entre les nationalistes et les Britanniques (particulièrement illustré par le Bloody Sunday de 1920, au cours duquel l’armée britannique a tiré sur la foule d’un match de football gaélique en représailles de l’assassinat de 14 agents britanniques), de Valera décide de négocier un cessez-le-feu avec Londres. Refusant une partition de l’Irlande et sans illusion quant au succès des négociations, il refuse de se rendre lui-même en Angleterre. Il envoie donc une délégation plénipotentiaire présidée par Michael Collins, ministre des Finances du gouvernement officieux.

Cette délégation, qui compte parmi ses membres Arthur Griffith, fondateur du Sinn Féin, ne devait pas prendre de décision au nom de l’Irlande sans consultation de l’Assemblée nationale irlandaise (le Dáil). Or, devant faire face à un ultimatum britannique, la délégation cède et signe un traité reconnaissant une partition de l’Irlande. De Valera désavoue la délégation et quitte le pouvoir face au vote du Dáil en faveur du traité.

Ce conflit, qui opposa les rivaux du traité anglo-irlandais, est aujourd’hui appelé la « Guerre civile irlandaise ». Durant cette guerre fratricide, Michael Collins, entre autres, perd la vie dans une embuscade dans le comté de Cork. Mais de Valera constate l’hostilité des Irlandais envers sa cause et décide de déposer les armes en 1923. Trois ans plus tard, en 1926, il décide de créer son propre parti politique, le Fianna Fail, pour continuer son combat de manière légale. Après un échec en 1927, il remporte les élections de 1932 et devient Président du Conseil Exécutif de l’Irlande. La même année, il prend la présidence du Conseil de la Société des Nations à Genève.

De l’internationalisme à l’isolement

La prise de pouvoir d’Éamon de Valera en Irlande est marquée par une prise de distance avec le traité anglo-irlandais, en particulier avec la rédaction de la Constitution irlandaise en 1937 qui proclame la souveraineté de l’Irlande, pourtant encore membre du Commonwealth. Dans le même temps, de Valera promeut le dialogue auprès de la Société des Nations (dont il est élu président de l’Assemblée en 1938) tout en se montrant critique envers cette institution. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, sur le modèle des États-Unis, de Valera refuse de s’engager dans le conflit et déclare la neutralité de l’Irlande.

Société des Nations l Crédits photo -- UCDA
Société des Nations l Crédits photo -- UCDA
Contrairement aux États-Unis qui prennent part au conflit suite à l’attaque de Pearl Harbor, Eamon de Valera maintient la neutralité de l’Irlande durant tout le conflit. Il ne souhaite pas soutenir la Grande-Bretagne, ennemi historique de l’Irlande, ni l’attaquer en risquant l’indépendance nouvellement acquise de son pays. De Valera a conscience que les Irlandais ne sont pas unanimes quant à la place de l’Irlande dans le conflit, et il refuse de prendre le risque de déclencher une nouvelle guerre civile pour décider de la position que l'Irlande doit prendre. Au lendemain du conflit, la politique d’indépendance lui a été reprochée à l’étranger en particulier parce que celle-ci l’a amené à présenter ses condoléances à l’ambassadeur d’Allemagne suite au suicide d’Hitler, mais aussi parce que l’Irlande était devenue, pendant la guerre, un « nid d’espions » nazis, mais aussi américains, russes et britanniques.

La neutralité irlandaise pendant la Seconde Guerre mondiale a entraîné la mise à l’écart de l’Irlande vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies (ONU) jusqu’en 1955, malgré la proclamation officielle de la République irlandaise en 1949. Après la guerre, de Valera était en effet considéré avec méfiance par les États-Unis qui partent du principe que ceux qui ne les ont pas soutenus sont leurs ennemis. Pourtant, bien que cela puisse sembler paradoxal, l’Irlande a bénéficié bien du plan Marshall en 1947.

Le père d’une nation

Chef du gouvernement (Taoiseach) de 1951 à 1954 puis réélu en 1957 avant de devenir Président de la République deux ans plus tard, de Valera quitte le pouvoir en 1973, malvoyant et presque sourd. Il décède deux ans plus tard et repose au cimetière de Glasnevin. Icône irlandaise, Eamon de Valera incarna une Irlande conservatrice, antiféministe, traditionnelle et profondément catholique. À l’image de Charles de Gaulle pour la France, il est le père fondateur des institutions de l’Irlande moderne. De Valera incarne également une Irlande pauvre, structurée avant tout sur une paysannerie archaïque, qui ne se modernisera que tardivement sous l’influence de Seán Lemass devenu Premier ministre en 1959.

Personnalité controversée, Éamon de Valera a également été accusé d’être un espion américain, britannique, soviétique ou nazi. Ces accusations invraisemblables avaient parfois pour objectif de déstabiliser le Fianna Fail, parfois seulement de lancer une polémique. L’hypothèse selon laquelle une ou plusieurs grandes puissances auraient cherché à utiliser de Valera à l’aube de la Seconde Guerre mondiale (en particulier à la Société des Nations) reste plausible. Quoi qu’il en soit, l’abondance de critiques, d’études, mais aussi d’éloges qui entourent la personne d’Éamon de Valera montrent l’influence qu’il a eu avoir sur son pays.


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