Irlande : Lockout 1913, Dublin célèbre le syndicalisme

3 Septembre 2013



Samedi 31 août, Dublin célébrait le centenaire du Lockout 1913, la première confrontation ouvrière d’envergure en Irlande. Retour sur le premier conflit social irlandais.


« Ne cherchez pas votre ennemi à l'extérieur quand il piétine déjà vos terres » | Crédits photo -- Maxence Salendre/Le Journal International
« Ne cherchez pas votre ennemi à l'extérieur quand il piétine déjà vos terres » | Crédits photo -- Maxence Salendre/Le Journal International
Affluence sur O’Connell Street en ce samedi 31. La rue est barrée à la circulation, des couloirs piétons ont été aménagés et de nombreux Gardaí (policiers irlandais, ndlr) quadrillent les rues. Le dispositif est impressionnant, probablement même plus conséquent que lors des manifestations pour le droit à l’avortement du printemps dernier. Dublin célèbre le centenaire du Lockout 1913, la première confrontation entre ouvriers et industriels. Retour sur une grève de plus de 6 mois qui a ouvert la voie au syndicalisme en Irlande.

Down and Out in Dublin

En 1913, les ouvriers de Dublin restent en majorité des miséreux, vivant dans des immeubles surpeuplés et insalubres. Les salaires étaient bas, les journées de travail, longues, le taux de mortalité infantile était l’un des plus hauts d’Europe, le travail manquait pour les ouvriers non-qualifiés entraînant dès lors une compétition entre les ouvriers qui se vendaient pour des salaires de misère. Seuls les monts-de-piété et la tuberculose florissaient dans ce qu’on nommait, à l’époque, des taudis. Le syndicalisme en Irlande restait embryonnaire et les employeurs n’embauchaient pas les employés supposés avoir des liens avec des organisations syndicales.

Parmi ceux-ci, se trouvait James « Big Jim » Larkin. Ancien syndicaliste ayant organisé, avec succès, les syndicats ouvriers de Liverpool et de Belfast, Big Jim avait fondé son propre syndicat, l’Irish Transport and General Workers’ Union (ITGWU) à la suite de dissensions avec ses anciens camarades de la National Union of Dock Labourers (NUDL – le Syndicat des dockers), qui refusaient l’idée d’une guerre ouverte contre le patronat à Dublin.

De l’autre côté, William Martin Murphy était à la tête du patronat. Homme d’affaires originaire de Cork, il était président de la Dublin United Tramway Company; actionnaire dans la B&I, la ligne de steamers reliant l’Irlande au Royaume-Uni et propriétaire de Clery’s (le Printemps dublinois) et de la plupart des journaux Irlandais. A la tête d’une coalition de 300 employeurs, Murphy combattait l’idée d’une coalition d’ouvriers réunis dans un syndicat.

Lockout 1913

Crédits photo -- Maxence Salendre/Le Journal International
Crédits photo -- Maxence Salendre/Le Journal International
Le 15 août 1913, Murphy licencie 40 employés suspectés d’appartenir à une organisation syndicale. 300 suivront la semaine suivante. A titre d’exemple pour les Dublinois, il décide d’employer des ouvriers britanniques et irlandais venant d’autres comtés. C’en est trop pour Jim Larkin et ses camarades qui décident de manifester sur O’Connell Street (à l’époque connue sous le nom de Sackville Street). Harangués par Larkin, déclaré « révolutionnaire socialiste » par l’Eglise catholique d’Irlande, les manifestants sont chargés par la police de Dublin. Deux grévistes tombent sous les coups de la police. C’est le premier « Bloody Sunday » irlandais.


Crédits photo -- Maxence Salendre/Le Journal International
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Les manifestations et les appels à des grèves de soutien vont se multiplier. Auréolé de ses victoires à Belfast et Liverpool, Larkin devient le visage du Lockout. Pendant presque 6 mois (d’août 1913 à janvier 1914), il a été catalogué comme un dangereux révolutionnaire par l’Eglise (catholique et protestante) et les milieux conservateurs tandis que les poètes nationalistes William Butler Yeats et Patrick Pearse ainsi que la Comtesse Markievicz, suffragette socialiste, l’ont défendu publiquement. L’Armée Citoyenne d’Irlande (Irish Citizen Army), une milice citoyenne, qui a pris part à l’Insurrection de Pâques 1916, est formée pour protéger les manifestants des assauts de la police dublinoise. Face à ces grèves incessantes, Murphy continue de faire appel à des ouvriers britanniques pour faire tourner les usines. Les manifestants dublinois subsistent grâce au soutien que leur apporte le syndicat et les appels au boycott des produits fabriqués à Dublin se font de plus en plus nombreux.

L’échec des appels à une grève de soutien au Royaume-Uni marque la fin du conflit en janvier 1914. Affaiblis et à court de moyens, les ouvriers reprennent le chemin des usines. Larkin doit s’exiler pour les Etats-Unis tandis que son bras-droit, James Connolly meurt lors de l’Insurrection de Pâques 1916 aux côtés de Patrick Pearse et de tant d’autres leaders nationalistes.
La cause socialiste en Irlande n’est pas passée et la réputation de l’IGTWU est fortement endommagée mais la volonté des ouvriers dublinois a profondément marqué les esprits et aucun employeur n’a osé faire face à une telle guerre ouverte dans le futur, préférant négocier avec les ouvriers.

1913-2013 : From Lock-out to Sell-out

La commémoration d’un tel évènement marque évidemment les esprits dans un pays durement frappé par la crise et soumis aux exigences de la Troïka (UE, BCE, FMI). De nombreux tracts, samedi, comparaient les recommandations de cette dernière aux diktats imposés par Murphy et appelaient à la création d’un véritable syndicalisme irlandais (comprenez « mieux que les syndicats actuels »), qui sache s’opposer aux décisions du gouvernement actuel jugées abusives et anti-démocratiques.

La présence du président Michael D. Higgins (parti du Labour) dont le parti est au pouvoir en coalition avec le parti de centre-droit Fine Gael a été moquée, mais c’est dans un esprit globalement festif que les représentations théâtrales de la charge d’août 1913 ont succédé aux chansons nationalistes sous le ciel chargé de Dublin.

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Maxence Salendre
Amoureux des langues et cultures étrangères, je conjugue mes rêves en anglais, sur l’île... En savoir plus sur cet auteur