L’avion « made in China » prend son envol

Martin Leyval
6 Septembre 2015



Jusqu'à présent dépendante des constructeurs étrangers, la République populaire de Chine veut elle aussi se lancer dans le marché ultra compétitif des avions de ligne, dominé par une poignée de consortiums. Si elle a l’ambition, en a-t-elle vraiment les moyens et les capacités ? Analyse.


Crédit Comac
Crédit Comac
Le secteur aérien chinois est en pleine croissance depuis les années 90. Les facteurs de ce développement spectaculaire sont multiples. La formation de trois grandes compagnies aériennes à la fin des années 90 - China Airlines, China Southern Airlines et China Eastern Airlines par l’Aviation civile chinoise, a permis une réorganisation efficace du transport aérien tandis que la libéralisation de ce dernier par l’adhésion de la Chine à l’OMC a dynamisé le marché. L’augmentation du niveau de vie, l’urbanisation de la population et les congés payés sont les autres raisons qui expliquent la croissance de ce secteur d’activité. La demande en avions commerciaux est telle qu’Airbus estime que la République populaire de Chine deviendra, avec 6000 appareils, le premier consommateur d’avions civils d’ici 2033.

L’empire du milieu ne compte pas laisser la part du lion de cet immense marché estimé à 870 milliards de dollars aux occidentaux, Boeing et Airbus en tête. Ces deux goliaths de la construction aéronautique sont cependant de plus en plus concurrencés par d’autres constructeurs, plus modestes mais ambitieux. Ainsi, tandis que le Canadien Bombardier et le Brésilien Embraer dominent le segment des jets régionaux, que les Russes reviennent en force avec leur Soukhoï SSJ 100 et leur Irkout MS-21, les Chinois veulent, eux aussi, se faire une place au soleil. Mais même avec les moyens considérables mis à disposition par l’industrie aéronautique chinoise, il n’est pas certain que cette dernière parvienne à égaliser les avionneurs européens et nord-américains, tant dans le domaine militaire que civil. La conception, la construction en série et la commercialisation d’appareils modernes sont des processus coûteux et complexes qui requièrent des ressources industrielles spécifiques et une main d’œuvre très qualifiée.

Une longue tradition de copies

Crédit airliners.net
Crédit airliners.net
Pendant de nombreuses années, la Chine maoïste s’est contentée de produire des copies d’aéronefs étrangers. Certains de ces appareils, comme les hélicoptères Super-Frelons français, ont été copiés par rétro-ingénierie, c'est-à-dire démontés pour en dresser les plans et les produire en série. Pour les autres, et notamment les avions de ligne, la Chine a acquis des licences de production, des autorisations et des plans fournis à des pays ou des entreprises, pour fabriquer un produit conçu par un tiers contre une rétribution financière. Le premier avion civil produit en série en République populaire de Chine est le Xian Y-7, produit à partir d’un Antonov 24 soviétique importé. À cause de la révolution culturelle, il faudra attendre 18 ans entre la réception de l’An 24 et le premier vol du Y-7. Une centaine de ces petits avions turbopropulsés a été produite. Une version modernisée et agrandie, le MA60, est en service depuis les années 2000. 

Le Shanghai Y-10 est quant à lui un programme plus ambitieux lancé au début des années 70. Inspiré en grande partie par des Boeing 707 achetés aux Etats Unis, le Y-10 a fait son premier vol dix ans après le début du programme et, à cause de son obsolescence, n’a jamais été produit en série. Face à l’échec de ce programme et les faiblesses de son industrie aéronautique, la RPC a décidé de se limiter à produire des avions d’autres pays sous licence comme le McDonnell Douglas MD-80 ou plus récemment l’Airbus A320, et de commander des appareils étrangers.

ARJ, ou le recyclage aéronautique

Crédit DR
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L’ARJ-21 est le premier jalon du long chemin qui devrait mener la Chine vers l’indépendance aéronautique. Le premier prototype s'est envolé en mars 2008, six ans après le début de sa conception. Même si Comac (Commercial Aircraft Corporation of China ), son constructeur, affirme que cet avion a été conçu en complète indépendance, il est difficile, même pour un néophyte, de ne pas constater la ressemblance avec le MD-80 produit sous licence en Chine. De fait, il semblerait que les équipements fournis par l’avionneur américain aient été utilisés pour la production de l’ARJ. Si le fuselage et le design général de ce dernier sont donc issus d’un avion quelque peu vieillissant, l’Ukrainien Antonov a quant à lui réalisé une voilure moderne équipée de winglets pour réduire la consommation, comme sur la dernière génération d’Airbus et de Boeing.

Le Xiangfeng ou Phoenix volant a cependant rencontré des problèmes lors de son développement, notamment en ce qui concerne la résistance des ailes, ce qui a entraîné plusieurs fois le report de sa certification, l’autorisation indispensable pour voler. Il aura fallu attendre sept longues années depuis le premier vol de l’ARJ-21 pour que ce dernier la reçoive enfin. Commandé jusqu’à présent presque uniquement par des compagnies aériennes chinoises, ce petit avion de ligne régional pourra transporter entre 78 et 90 passagers et devrait entrer en service d’ici la fin de l’année.

C919, le challengeur chinois

Crédit airwaysnews.com
Crédit airwaysnews.com
La deuxième économie du monde n’a cependant pas l’intention de se limiter au segment des jets régionaux, elle ambitionne aussi de s’attaquer aux best-sellers d’Airbus et de Boeing : les A320 et les B737. Ces derniers font partie de la classe des moyen-courriers, un marché estimé à 2000 unités dans les vingt ans à venir en Chine. La position hégémonique des deux géants de l’aviation pourrait néanmoins être remise en question par le nouveau Comac 919. D’une capacité de 174 places au maximum et doté d’un rayon d’action de 5000 km environ il sera en concurrence directe avec les champions de Boeing et d’Airbus. Comme son petit frère ARJ, le C919 n’échappe pas aux retards. Son premier vol, qui devait avoir lieu mi-2015 a été repoussé au premier semestre 2016 tandis que sa mise en service, initialement prévue en 2018 pourrait être retardée de 2 ans. Avec plus de 500 commandes, principalement chinoises là aussi, le nouveau-né de Comac a de beaux jours devant lui. Si les ventes de ce dernier auront tout d’abord lieu en Chine, il pourrait aussi s’exporter en Europe puisque British Airways et Ryanair ont tous deux montré un certain intérêt à son endroit.

Comac a également lancé deux autres programmes : le C929 et le C939. Le premier est un projet développé en coopération avec l’entreprise russe OAK et qui pourrait voir le jour dans une dizaine d’années. Ce biréacteur sino-russe devrait avoir une capacité de transport de 250 à 350 passagers mais avec un rayon d’action relativement limité pour un avion de ce gabarit. Le concept pourrait cependant être bien adapté au transport aérien de passagers chinois car ce dernier repose en majorité sur des vols intérieurs au sein d'un pays vingt fois plus grand que la France. Le second étant encore en phase d’étude préliminaire, peu d’informations sont disponibles : il devrait pouvoir transporter plus de 390 passagers à longue distance et pourrait donc concurrencer les Airbus A330 et A350 ainsi que les Boeing 777 et 787.

Une industrie aéronautique balbutiante mais prometteuse

Crédit OAK
Crédit OAK
« Boeing et Airbus sont adultes. Nous, encore des enfants: on peut trébucher » avait confié un cadre de Comac à un journaliste de l’Expansion en 2014. Le développement du secteur aéronautique de l’empire du milieu peut effectivement être comparé à la croissance d’un enfant. Il apprend de ses erreurs et de ses échecs passés, progresse étape par étape, tout en poursuivant des rêves et de grandes ambitions à moyen et à long terme. Ainsi, ayant assimilé les raisons du fiasco du Shanghai Y-10, Pékin a lancé des programmes plus modestes et raisonnables. L’ARJ-21, avec sa cellule issue d’un modèle qui a fait ses preuves et sa voilure dessinée par un bureau d’étude renommé, peut donc être vu comme la première étape d’un avion 100% chinois, fournissant expérience et qualification qui font, jusqu'à présent, tant défaut aux industries de ce secteur. Le C919 a bénéficié de ces acquis, précieux non seulement pour faire de ce projet une réalité mais aussi pour poser les fondations de futurs programmes plus ambitieux encore.

Pour espérer devenir l’égal des grands avionneurs occidentaux, le chemin est encore long et semé d’embûches. Par exemple, d’importantes commandes réalisées par des compagnies aériennes chinoises ne signifient pas pour autant que ces avions auront autant de succès à l’international. Cela s'explique d'abord par le fait que l’État chinois a encore une mainmise importante sur ces commandes, tandis que la corruption demeure endémique. On peut raisonnablement supposer que les autorités chinoises leur ont forcé la main. Ensuite, on ignore quels seront les coûts d’exploitation de ces avions. Comac a réduit l’utilisation de matériaux composites pourtant de plus en plus utilisés en Occident, ce qui devrait augmenter le poids de l’appareil et donc, sa consommation. Ce constructeur ne bénéficie d’aucun réseau de distribution comparable à ceux d’Airbus ou de Boeing, notamment en ce qui concerne les pièces détachées. Malgré des prix d’achats inférieurs, ces inconvénients pourraient rebuter nombre d’acteurs du transport aérien.

Les Chinois sont toujours aussi dépendants des motoristes occidentaux, l’ARJ-21 étant propulsé par des General Electric CF34 produits aux États-Unis et le C919 par des CFM International LEAP franco-américains. Le dernier obstacle qui pourrait contrarier les ambitions de Pékin est d’ordre psychologique : le manque de confiance, voire la peur des avions produits par l’atelier du monde. La sécurité est une des données les plus importantes dans le monde de l’aéronautique. Or, en Occident, le « made in China » est non seulement connu pour ses productions bon marché mais aussi pour leur manque de fiabilité et leur dangerosité. Si les aéronefs chinois risquent d’avoir du mal à s’imposer sur le marché international de l’aviation, ils pourraient éprouver encore plus de difficultés à gagner la confiance des marchés européens et nord-américains.

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