L’enfer féminin de Daech

15 Mai 2015



Le phénomène de radicalisation s’étend à toutes les générations. De plus en plus, les adolescents sont tentés par les dérives islamistes et les jeunes femmes sont elles aussi dans le radar de Daech. Projet humanitaire ou recherche du prince charmant, entrevue avec Dounia Bouzar, directrice générale du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI) qui nous explique cette vague de radicalisation chez les jeunes femmes.


Faire le djihad, c’est aussi pour les filles. Le groupe radical Daech cherche de plus en plus de jeunes recrues pour rejoindre ses rangs. Essentiellement via les réseaux sociaux, les jeunes filles sont approchées par des membres du groupe qui leur vendent l’illusion d’une vie rêvée en Syrie. Au mois de janvier 2016, France Info s’est procuré des documents des services de renseignements français, selon lesquels 220 jeunes femmes sont actuellement aux côtés de Daech en Irak et en Syrie.

De toutes nationalités, de toutes classes sociales, les jeunes filles approchées pour la guerre sainte n’ont a priori rien en commun, hormis une instabilité psychologique. Dounia Bouzar, directrice générale du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam nous explique : « les premières familles qui m’appellent sont des familles de profs, de fonctionnaires, des éducs, des médecins, des avocats, et donc des familles qui ne sont pas forcément de référence musulmane. Il n’y a pas de profil type, il y a une rencontre entre un jeune qui ressent un malaise et une adaptation du discours au malaise du jeune ». Le CPDSI travaille auprès des préfectures afin de former les équipes anti-radicalité pour qu’elles deviennent autonomes sur le long terme. En deux ans, le CPDSI a travaillé auprès de 200 familles. Cette année, elles sont 700 familles à avoir fait appel à Dounia Bouzar par crainte que leur enfant ne se radicalise.

Des promesses de vie meilleure

S’il n’existe pas de profil type de jeune fille radicalisée, les membres du CPDSI ont toutefois pu identifier trois grands facteurs de radicalisation. Les recruteurs approchent les jeunes filles en leur vendant trois mythes : le mythe de « La belle et [du] prince barbu », le mythe de « Mère Teresa » et le mythe de « Daechland ». Les trois mythes du CPDSI ont été nommés ainsi après une étude des conversations entre les jeunes filles et les recruteurs. « On étudie les conversations, les vidéos qui sont projetées, et on analyse rapidement dans nos premiers travaux qu’il y a une individualisation du motif de faire le djihad qui est en train de s’opérer. C’est-à-dire que le discours de l’islam radical individualise la raison de s’engager et s’adapte aux différents profils psychologiques et émotionnels des jeunes », confie Dounia Bouzar.

Sur les réseaux sociaux, le groupe radical vise plusieurs types de profils : les filles qui ont subi des violences – physiques, verbales, sexuelles – à qui l’on va proposer le mythe de Daechland : « Daech propose une société qui va les protéger : ils disent que la non-mixité de façon stricte, c’est le modèle de protection le plus efficace, que le sitar, c’est l’écrin qui protège le diamant ». Une sorte de paradis, où les violences sexuelles et le harcèlement n’existent pas. On leur présente également une terre de fraternité et de solidarité, où elles vont pouvoir rencontrer leurs « sœurs », d’autres filles qui se radicalisent, avec qui elles sont en contact sur les réseaux sociaux, mais également des filles déjà sur le terrain.

Ces arguments sont une première étape pour commencer à les couper de leurs habitudes vestimentaires et du quotidien. On leur promet également un mari, présenté comme un héros qui protège et sauve les enfants de la violence de Bachar el-Assad. « Il ne peut être que quelqu’un de fort et de protecteur. Il va les protéger parce qu’il protège les enfants gazés à la place de la communauté internationale qui n’est pas intervenue ». Des valeurs de protection qui sont également vantées dans le mythe de « la belle et [du] prince barbu » que l’on vend à des filles en quête du grand amour. Enfin, c’est grâce à – ou à cause de ? – une des fonctionnalités des réseaux sociaux que les djihadistes repèrent leurs dernières recrues. Chacun peut afficher librement sa profession, et les personnes qui se destinent à un métier altruiste n’échappent pas aux radars du groupe radical. Infirmières, médecins, assistantes sociales vont toutes voir les mêmes vidéos et images de persécutions de musulmans, d’enfants sans vie, etc. « On leur fait miroiter le mythe de mère Teresa c’est à dire qu’elles vont aller là-bas pour tenir un hôpital, tenir un service ou même sauver les enfants orphelins ». Pour le mythe de « Mère Teresa », le complot revient toujours.

À base de discours sur les médias menteurs et sur les forces occidentales inactives, les jeunes s’enferment peu à peu. « La première chose que le discours de l’islam radical opère, c’est de mettre le jeune dans une grille de lecture paranoïaque en lui disant que tous les adultes qui sont autour de lui sont des complices de ces actions là. Que les médias déforment tout, veulent tuer Daech parce qu’il détient la vérité, que Daech est la seule force capable de régénérer le monde et du coup les jeunes ne regardent plus, ne lisent plus les médias. La seule source d’informations qu’ils ont, c’est la propagande de Daech ». Un mythe qui peut paraître incompréhensible tant il retourne le côté humanitaire de l’adolescente mais qui pourtant fait son effet.

Des signes avant-coureurs

Dounia Bouzar le dit elle-même : ce sont les familles qui décèlent les premiers signes de radicalisation. « En France, on a 9000 parents qui ont appelé. Sur les 9000, je ne sais plus combien sont avérés, mais en tout cas pour des milliers de jeunes ce sont les parents qui les ont sauvés ». Même si certains peuvent également être dûs à la puberté et à l’adolescence, d’autres ne trompent pas. Le CPDSI a instauré, en lien avec les préfectures et l’Éducation nationale, des « indicateurs de rupture ». Plus de sorties entre amis, plus d’activités physiques, des vêtements de plus en plus larges, les signes sont nombreux et plus facilement décelables chez les filles qui peuvent par exemple cesser de s’épiler les sourcils ou de se maquiller soudainement.

Une réalité difficile

Certaines arrivent à rejoindre les territoires du groupe terroriste où un mari est censé les attendre sauf si elles sont déjà mariées avec un extrémiste. Une fois là-bas, les filles sont enfermées dans des maqqars, des maisons fermées où il n’y a que très peu d’eau et très peu d’électricité pour beaucoup trop d’occupants. Femmes et enfants voient défiler sans cesse des images d’horreur sur des écrans. « L’ambiance entre femmes est très violente, elles ne parlent pas la même langue et leur seule façon de prendre une douche c’est d’accepter le premier mari venu, le premier mari proposé ».

Des filles jugées au cas par cas devant la justice. « Si elles sont restées deux ans avec un mari qui est un bourreau, elles ne vont pas être accueillies de la même façon que si elles ont refusé d’être mariées, qu'elles ont été incarcérées 6 mois pour espionnage et qu’elles sont revenues en risquant la mort. Les juges essayent quand même d’avoir une approche la plus individuelle possible, elles sont au minimum sous contrôle judiciaire en attendant le jugement et lors du jugement. Les juges essaient de faire la part des choses entre justement pourquoi elles s’étaient engagées et quelle a été leur attitude quand elles sont arrivées face à la réalité ». Un enfer féminin qui séduit de plus en plus de jeunes filles, pour qui le processus de désembrigadement est long. Pour les jeunes du CPDSI, les familles font un travail sur plusieurs années, aidées par les membres mais aussi par d’anciens radicalisés, qui viennent témoigner de la réalité des choses. Un retour à la réalité brutal pour certaines.

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Selena Miniscalco
Etudiante en journalisme, je rêve de mode et de politique. J'aspire un jour à devenir une... En savoir plus sur cet auteur