La Biennale de Moscou : «more light» ?

12 Octobre 2013



Organisée jusqu'au 20 octobre, la Biennale de Moscou a pris ses marques pour la première fois au Manège, bâtiment néoclassique de la ville, érigé par l'architecte russe Joseph Bové, lieu imposant jouxtant le Kremlin.


Biennale d'Art contemporain à Moscou, au Manège | Crédits Photo -- DR
Biennale d'Art contemporain à Moscou, au Manège | Crédits Photo -- DR
Dès le départ et symboliquement, cette proximité géographique met l'événement, organisé par la commissaire belge Catherine de Zegher, sous haute surveillance et repousse donc toute question politique. Malgré cette pression, elle tente de s'infiltrer comme elle peut dans les différentes installations. Découverte d'une manifestation au parti pris plus esthétique que politique.

Chaque ville importante a sa biennale et chaque commissaire a sa manière d'envisager la chose en fonction du thème principal qu'il voudra développer et mettre en lumière. Ainsi, on peut clairement affirmer que plus les biennales d'art contemporain se suivent, moins elles se ressemblent. En effet, la Biennale d'Istanbul se déroule actuellement, et au contraire de celle de Moscou au titre trompeur, la première très critique à l'égard du pouvoir en place témoigne totalement des troubles qui agitent la Turquie et la place Taksim. Mais sous les fenêtres dorées du Kremlin, en plissant un peu les yeux, se trouve une bien sage biennale. Trop sage ?

Il faut avant tout comprendre que cette manifestation rassemblant une centaine d'artistes débarque dans un contexte politique mitigé, précisément en matière d'homosexualité, où Poutine aurait tendance à créer des ennemis à l'intérieur de la société. Voilà la raison principale au caractère soft mais terriblement intelligent de cette biennale.

Un titre à l'aspect trompeur ?

Mais que signifie ce titre, « more light » ? Les artistes, les citoyens, le peuple, le spectateur voudraient t-ils plus de lumière ou pourquoi pas plus de légèreté ? A priori non, il ne faudrait pas s'engager dans cette voie mais plutôt partir sur l'idée qu'ici, les artistes prennent parole en faveur d'une société rêvée ou d'une société décevante. Thomas More serait donc de retour parmi nous ! Comprendre le côté subversif et ingénieux de l'opération nécessite une approche avant tout bien aiguisée. Ainsi, on notera le coup de force dans l'œuvre de l'iranienne malheureusement décédée cette année, Farideh Lashai. Sur une peinture, l’artiste a pris la décision de projeter quelques images du film Le Dictateur de Chaplin. Ingénieux à n'en pas douter, mais tellement malin.

Par la suite, confirmation de cet esprit contestataire chez Tom Molloy, artiste irlandais, créateur d'une immense installation de papiers découpés ou les bons yeux sont de rigueur pour essayer d'apercevoir tant bien que mal les pancartes miniatures anti-Poutine ou celles représentant le président de la Fédération de Russie affublé d'un maquillage monstrueux, à la manière du Joker dans Batman. Noyées dans l'installation d'images contestataires de l'irlandais, il n'est pas facile de les déceler mais elles ont moins le mérite d'être présentes.
Continuons sur cette lancée avec l'artiste Peter Belyi, natif de Saint-Pétersbourg, auteur d'une installation ou plutôt d'une maquette d'un chantier au sens assez flou au premier coup d'oeil. Mais après explication, tout est beaucoup plus clair d'un seul coup : en créant un trou dans la paroi qui donne sur la place Rouge, il a pour but énonce t-il « d'évacuer toute la merde qui vient du Kremlin ». Au moins, ça c'est dit !

Enfin, le soft est intrinsèquement ancré chez un tas d'autres artistes comme chez le belge David Claerbout avec une vidéo prônant « l'hymne à la contemplation » de la nature en 3D, ou bien encore chez le pékinois Song Dong à l'œuvre assez déroutante puisque celui-ci a réinstallé une grosse partie du contenu de la maison de sa mère décédée après avoir effectué le même travail au Moma à New York, il y a peu. Insolite certes, mais pas si bête car derrière l'installation se cache une réelle histoire à savoir celle d'une famille, celle d'un temps ou la relation aux choses étaient différente et ou chaque objet précis de la vie quotidienne avait une réelle force. La fin d'une ère, le début d'une autre...

Splendeur du passé et utopie

Mais attention, la biennale ne se déroule pas qu'au Manège, lieu construit entre 1817 et 1825 pour célébrer le cinquième anniversaire de la victoire de la Russie sur les troupes napoléoniennes. Elle se faufile aussi à l'intérieur du métro de la capitale Russe ou devrais-je plutôt dire à l'intérieur de ce « palais souterrain » vu la richesse des ornements, exemple parfait du réalisme socialisme de l'époque. Dans ce lieu transportant plus de monde que le métro de New-York et de Londres réunis se trouve une mosaïque rendant hommage à l'écrivain Maxime Gorki, grande figure du réalisme socialiste en littérature et homme engagé politiquement et intellectuellement aux côtés des révolutionnaires bolcheviques. Nostalgie d'un temps perdu ? Et juste au dessus du portrait, une caméra... elle filme le présent mais conserve les reliques du passé. Dans un sens, Gorki n'est pas totalement mort, il nous surveille encore de tout là haut...

L'utopie, la société rêvée... toute l'exposition semble tourner autour de ces deux thématiques. Comment rêvions nous la société il y a quelques années seulement ? Qu'est-elle devenue à l'heure actuelle ? Le philosophe ou ce qu'il en reste peut-il encore nous aider à nous relever et à améliorer ce projet ? « Utopie/Réalité », c'est le titre d'une œuvre établissant un dialogue entre le travail du début du siècle d'El Lissitzky, peintre d'avant-garde russe, et celui plus contemporain d'Ilya et Emilia Kabakov. Le premier vantait les mérites de la rigueur communiste tandis que les deux autres expriment au contraire la douleur communautariste. L'histoire d'un ange déchu...

L'écrivain allemand, Carl Einstein a un jour dit ceci : « les œuvres d'art acquièrent leur véritable force grâce à la force insurrectionnelle qu'elles contiennent ». À méditer.

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