La « Jewography » ou la diplomatie culturelle d’Israël

23 Décembre 2013



Liron Milbar est chargée de marketing d’Aardvark, une organisation offrant aux étudiants juifs non-israéliens la possibilité de passer un semestre en Israël. Retour sur un instrument de la diplomatie culturelle israélienne.


Les étudiants du programme Aardvark en visite à Carrick-a-Rede, Irlande du Nord (Zach Pelts, Ben Gaster, Sopie Silver-Isenstadt, Drew Silverman, Alina Adler, Ketzia Abramson, et Leah Stone)
Les étudiants du programme Aardvark en visite à Carrick-a-Rede, Irlande du Nord (Zach Pelts, Ben Gaster, Sopie Silver-Isenstadt, Drew Silverman, Alina Adler, Ketzia Abramson, et Leah Stone)
De Canaan à Dublin, Liron Milbar a répondu aux questions du Journal International sur le rôle de son organisation dans le maintien de bons contacts entre Israël et les communautés juives du monde entier.

Le Journal International : En quelques mots, pourriez-vous résumer l’objectif de votre organisation ?

Liron Milbar : Aardvark est une entreprise qui propose et organise des séjours culturels, des semestres et années d’échange pour les étudiants juifs non-israéliens vivant à l’étranger. Nous avons créé différents types de programmes à destination des étudiants juifs qui souhaitent découvrir Israël, sa culture et son histoire. Nous accueillons les étudiants ayant entre 17 et 21 ans et avons depuis reçu des étudiants venant des 5 continents.

JI : Le Birthright programme permet également de faire partir en Israël des étudiants juifs « étrangers ». Avez-vous un rapport avec ce programme ?

LM : Birthright est un programme semi-gouvernemental mis en place par Israël et financé en partie par le gouvernement et pas des organisations juives. Le programme organise un séjour de 10 jours en Israël. Aardvark est la continuation de ce programme. Beaucoup de nos étudiants sont passés par le Childbirth programme, ont apprécié leur expérience en Israël et nous ont par la suite contacté pour voir ce que nous pouvions leur offrir.

Une culture juive

JI : Il semblerait qu’Israël souhaite maintenir des liens étroits avec ces étudiants et, au-delà, avec les communautés juives à l’étranger ?

LM : Vous ne le savez peut-être pas mais la diaspora juive compte presque 13 millions de personnes. Ce chiffre peut vous sembler énorme mais à l’échelle de la planète il est relativement modeste. Il est dès lors important pour Israël de maintenir vivant cet étroit lien identitaire. En tant que membre d’une communauté vous voulez vous identifier comme juif et comme membre de l’état d’Israël. Et ce autant dans l’aspect biblique que dans la vie quotidienne. Certains diront que c’est une manière de renforcer un « réseau » mais c’est surtout pour nous une manière de ne pas perdre notre culture. Nous faisons souvent référence à la « jewography » (contraction anglaise de « jew » - « juif » et « geography », Ndlr) qui serait en quelque sorte la carte intangible des connexions existant entre les juifs d’Israël et les communautés juives de la diaspora. Aardvark est un instrument qui permet aux étudiants de rencontrer d’autres étudiants juifs du monde entier.

JI : Comment sont organisés vos programmes ?

LM : Nos programmes suivent trois principes. Le premier principe est l’immersion. Les étudiants vivent dans des résidences étudiantes. Ils ne sont pas isolés des autres étudiants israéliens : ils vivent avec eux, dans les mêmes résidences. Ils partagent de fait leur quotidien, leurs occupations, leurs loisirs et peuvent échanger avec eux quotidiennement. Comme s’ils étaient des étudiants israéliens.

Notre second principe pourrait être nommé « service pour la communauté ». Nos étudiants sont placés dans des communautés, des organisations ou des entreprises. Des PME aux ONG en passant par les multinationales ou les départements d’état, nos étudiants gagnent une première expérience pratique au service de la communauté. Nous travaillons avec près de 60 organisations différentes, il y a quelque chose pour chacun : vous voulez travailler avec les animaux ? On trouvera quelque chose !

Notre troisième principe est l’éducation. Les étudiants peuvent choisir de suivre des cours pour valider des crédits académiques et ainsi ne pas mettre entre parenthèses des études universitaires commencées avant de partir en Israël. Et, nombre d’entre eux choisissent cette formule. Notre seul prérequis à Aardvark est que les étudiants prennent des cours d’hébreu. D’autres étudiants décident de prendre une année sabbatique. Quel que soit leur choix, à la fin, tous auront amélioré leur compréhension d’Israël, de sa culture, de ses traditions, et de son histoire.

JI : Certains étudiants choisissent donc de suivre des cours – mais quelles autres activités leur sont proposées ?

LM : Nos étudiants ont la possibilité de visiter de nombreux monuments, de rejoindre des excursions, des voyages durant le week-end… C’est un programme très interactif. Les étudiants présents avec nous en ce moment ont choisi le programme international. Une fois par mois, ils voyagent à l’étranger pour une durée d’environ une semaine. Israël se situant au Proche-Orient, il nous est très facile de rejoindre des pays totalement différents. Cette année, les étudiants sont allés en Norvège, en Espagne, en République Tchèque et en Irlande. L’année prochaine, la France et l’Ethiopie sont au programme.

Ces pays ne sont pas choisis au hasard, ils ont tous une certaine relation avec la culture juive et l’état d’Israël.

JI : Quelle est la relation entre l’Irlande et Israël ?

LM : La communauté juive en Irlande est relativement modeste mais assez inattendue. Durant nos voyages nous essayons de permettre à nos étudiants de rencontrer des membres de la communauté locale. Il y a ce que j’appelle un « jour juif » lors de chaque voyage. A Dublin, par exemple, nous allons rencontrer l’ambassadeur, visiter la synagogue et si possible faire Shabbat. Si la ville où nous nous rendons accueille un musée juif alors c’est une visite incontournable !

Mais ne croyez pas que nos voyages ne sont centrés qu’autour d’Israël ! Nous essayons évidemment de visiter toutes les attractions touristiques ! A Dublin, au programme il y a la distillerie Jameson, le musée des Leprechauns, puis en Irlande du Nord, nous verrons la Chaussée des Géants et bien supr nous irons dans quelques pubs !

JI : Vous avez mentionné qu’Aardvark était une agence privée. Cependant vous êtes financés par le Bureau du Premier Ministre Israélien et par des organisations privées juives…

LM : Rappelez-vous qu’avant que l’état d’Israël ne soit fondé, Theodor Herzl avait créé le Congrès Sioniste en réponse à l’Affaire Dreyfus en France. Pour faire court disons qu’après la création de l’état d’Israël, le congrès a conservé un important pouvoir financier puisque les donateurs juifs finançaient la construction de l’état d’Israël à travers le congrès. Certains de ces fonds ont été alloués aux différentes communautés afin de les aider.

Le rôle des agences juives est double. Elles cherchent tout d’abord à renforcer et revitaliser les communautés juives à l’étranger. Enfin, elles invitent les membres de ces communautés à venir s’installer en Israël.

Leur principal instrument pour communiquer avec ces communautés s’appelle Masa. Cette organisation dont le nom hébreu signifie « voyage » travaille main dans la main avec les organisations juives. Aardvark est lié à Masa. Grâce à ce lien nous pouvons offrir des bourses aux étudiants malgré notre statut d’entreprise privée. Alors que nous ne nous focalisons que sur les étudiants entre 17 et 21 ans, Masa propose plus de 200 programmes ouverts à toutes les catégories d’âge. Ils encouragent des étudiants étrangers à venir étudier en Israël. Les fonds alloués varient selon la richesse de la communauté de chaque pays. Depuis sa création, Masa a réussi à attirer des milliers de juifs étrangers en Israël.

S'impliquer dans la communauté juive

A ce point de l’entretien, deux étudiantes américaines du programme, Léah et Sophie, ont accepté de répondre elles aussi à nos questions.

JI : Pourquoi avez-vous décidé de rejoindre ce programme ?

Leah : Au lycée j’étais très impliquée dans la communauté juive. J’ai décidé de m’impliquer davantage. J’ai rejoint un groupe de jeunesse et j’ai commencé à travailler pour eux. Après avoir quitté le lycée je ne voulais pas rentrer directement à l’université et ai commencé à regarder pour des programmes de césure. Beaucoup de mes amis étaient partis en Israël et j’ai décidé de faire de même. J’ai demandé une brochure un jour et le lendemain quelqu’un m’appelait !

Ma mère était enchantée à l’idée que j’aille en Israël. Ma grand-mère est une survivante de l’Holocauste et je voulais ressentir cette connexion spirituelle avec le judaïsme. Ce n’est pas seulement important pour moi mais également pour la continuité au sein de ma famille. Ma sœur était très impliquée dans la communauté juive autrefois mais plus aujourd’hui. C’est donc à moi de reprendre le flambeau. J’aime cette idée de conserver une certaine continuité, de sauvegarder un héritage.

Sophie : Je viens du Maryland et n’ai jamais été très impliquée dans la communauté lorsque j’étais jeune. J’étais toutefois un membre de BBYO (B’nay B’rith Youth Organization), un mouvement de jeunesse juif pour les adolescents entre 14 et 18 ans. Lors de ma dernière année au lycée, j’ai pu passer deux mois dans un lycée en Israël. Mes parents sont juifs mais n’ont jamais été très impliqués dans la communauté. Ils n’ont pas vraiment de connexion. Je ne suis pas vraiment croyante mais très curieuse et je voulais voir ce à quoi ressemblait Israël. J’ai passé deux mois là-bas, je suis revenu, j’ai terminé le lycée et ai décidé de faire une année de césure avant l’université pour découvrir Israël plus en détails. J’apprends l’hébreu maintenant parce que je ne veux plus passer pour une touriste là-bas.

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Maxence Salendre
Amoureux des langues et cultures étrangères, je conjugue mes rêves en anglais, sur l’île... En savoir plus sur cet auteur