La République tchèque en pleine guerre des institutions

22 Mai 2013



Les Tchèques n'ont jamais vu telle bataille entre les institutions politiques. Le nouveau président, élu pour la première fois au suffrage universel direct fin janvier 2013, essaie de redéfinir les pouvoirs présidentiels. Pour montrer sa puissance, il refuse de nommer les ambassadeurs et limite les libertés académiques.


Manifestation étudiante à Brno, mardi 21 mai, lors de la visite du président : "ça nous intéresse !", expression reprenant "Putna", le nom du professeur qui s'est vu refusé sa nomination par Milos Zeman. Crédits : Deník/Martin Divíšek
Manifestation étudiante à Brno, mardi 21 mai, lors de la visite du président : "ça nous intéresse !", expression reprenant "Putna", le nom du professeur qui s'est vu refusé sa nomination par Milos Zeman. Crédits : Deník/Martin Divíšek
Le feu s´est enflammé la semaine dernière. Le nouveau président tchèque Milos Zeman a refusé de nommer le spécialiste de la littérature et de la culturologie, Martin C. Putna, professeur. Les réactions de la classe politique et du milieu universitaire ont été immédiates.

Selon le recteur de l´Université Charles de Prague, cette position de président est un événement jamais vu dans le milieu tchèque : «C'est une situation qui est bien en dehors du processus normal. Le Conseil scientifique de l'Université a approuvé les propositions de nominations des professeurs. Jusqu’à présent le président a toujours accepté les nominations universitaires et se contentait de nommer officiellement les nouveaux professeurs. »

Pourquoi a-t-il refusé de nommer ce nouveau professeur ? Le président Zeman ne souhaite pas l’expliquer. Pour le premier ministre, Petr Necas, cette situation est étrange : « Le président ferait mieux de publier son opinion sur son attitude négative à l’égard de ce professeur, Martin C. Putna. Il ne devrait pas cacher de secrets, mais immédiatement présenter les raisons de sa décision au public. Les raisons doivent être crédibles. Sinon, le président est justement critiqué pour sa volonté de réduire la liberté académique. »

Les représentants de la gauche, dont les collègues socialistes de Zeman, critiquent aussi sa décision. « Même les rois médiévaux vénéraient l'autonomie des universités dans la nomination des professeurs », a déclaré le vice-président des Socialistes, Lubomir Zaoralek.

Contre le professeur homosexuel

Pendant le week-end, après la vague de critiques, la porte-parole du président a modéré la déclaration en expliquant que rien n'était encore décidé. Cependant, aucun membre du cabinet présidentiel n'a expliqué pourquoi Zeman n’a pas voulu nommer ce nouveau professeur. À cause de cette inaction les médias ont commencé à spéculer.

On a immédiatement commencé à aborder la relation entre Putna et Zeman. Au cours de la campagne électorale, le candidat au professorat Martin C. Putna a plusieurs fois critiqué Milos Zeman. Il a notamment affirmé que Zeman avait eu des liaisons secrètes avec le Kremlin. En pleine période de nomination des professeurs, le président pourrait avoir trouvé un motif de vengeance.

La deuxième spéculation tourne autour de l'orientation sexuelle de Putna. Il y a déjà plusieurs années qu'il a déclaré son homosexualité. En 2011, il a participé à la marche « Prague Pride » en portant une affiche contre les ultra-conservateurs. Des rumeurs affirment que Zeman ne veut pas de nouveaux professeurs gays. Le cabinet présidentiel a démenti cette information, mais le chef d'État a admis que « ceux qui portent des affiches controversées ne représentent pas les valeurs morales que les professeurs doivent naturellement porter. »

Même si les raisons ne sont pas certaines, le public s´est mobilisé et prépare des manifestations. Les étudiants universitaires sont les plus critiques envers le président. Pour eux, Zeman ne respecte pas la constitution en refusant de nommer le nouveau professeur. Par ailleurs, des candidats au professorat ont proclamé que si le président ne présentait pas des vraies raisons, ils boycotteront la cérémonie de nomination qui devrait se dérouler le 11 juin.

Bras de fer autour des ambassadeurs

Cette dispute n'est pas la première affaire qui divise l´opinion public depuis l’élection de Zeman. Il y a déjà plusieurs semaines que le chef d'État a refusé de nommer les nouveaux ambassadeurs, proposés par le ministère des Affaires étrangères. En revanche, il a présenté ses propres candidats sous qu’il ait obtenu au préalable le soutien du ministre. Notons que le ministre des Affaires étrangères est Karel Schwarzenberg, conservateur et rival de Milos Zeman au second tour de l'élection présidentielle. La discussion autour de la nomination des ambassadeurs pourrait bien être un débat non plus professionnel, mais personnel entre Zeman et Schwarzenberg. Il semblerait aussi que Zeman veuille nommer ambassadeurs ceux qui l’ont soutenu pendant la campagne - peu importe l’expérience diplomatique des candidats.

Même si le public ne sait pas où se trouve la vérité, une chose est sûre : le président tente d'élargir son champ de puissance. Certains juristes constitutionnels se demandent même s’il n’essaye pas de dépasser les lois constitutionnelles. Car, dans le droit tchèque, le président ne possède que des pouvoirs symboliques. Il semble pourtant que Zeman cherche à faire du président un acteur plus important.

Cette situation pourrait se révéler très dangereuse. Premièrement, si Zeman ne coopère pas avec le gouvernement, tout le système pourrait se bloquer. Deuxièmement, il met en péril le développement démocratique du pays. Zeman s’approche près d'une frontière symbolique. Si le président demande plus de pouvoir, pourrait s’annoncer le début d'un changement plus profond, radical et menaçant la démocratie.

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Jakub Kajtman
Correspondant à Prague pour Le Journal International. En savoir plus sur cet auteur