La monarchie espagnole sous pression

15 Juin 2014



Le Journal International est allé à la rencontre des Espagnols avant l’abdication de Juan Carlos pour essayer d'avoir un aperçu de l'opinion des citoyens sur la monarchie et sur leur famille royale. Plus que la question de l’abdication de Juan Carlos, c’est un débat sur l’ensemble des institutions monarchiques qui semble être ouvert en Espagne.


Crédit Reuters
Crédit Reuters
Les derniers mois ont été difficiles pour la royauté espagnole. Il y a tout d'abord, depuis novembre 2011, une vaste affaire de corruption qui touche la famille. Le gendre du roi, Iñaki Urdangarin, est accusé d'un important détournement de fonds publics. Dans ses différents discours et communiqués, entre 2011 et 2012, la famille royale a tenté de se désolidariser de ce dernier. Ces efforts semblent être vains puisque d’autres rebondissements dans l'affaire mettront en cause l'infante d'Espagne. La fille du roi est elle aussi accusée d'avoir participé à ce détournement d’argent. Elle est mise en examen par la justice le 3 avril 2013. 

Ce n'est pas la seule affaire qui met en cause le roi et sa famille. Début 2012, Juan Carlos a été le centre médiatique du pays suite à la mésaventure de la chasse des éléphants au Botswana. Le 18 avril 2012, il fera des excuses publiques et prononcera la désormais célèbre phrase : "Je suis désolé, je me suis trompé, cela ne se reproduira pas." Pas certain que cela suffise pour convaincre. Ces propos furent largement repris, moqués et tournés en dérision par les médias et les citoyens espagnols. Vient s'ajouter à tout cela l’histoire de l’été 2013 du pédophile espagnol gracié au Maroc. Juan Carlos aurait demandé la grâce de plusieurs prisonniers espagnols au Maroc, dont ce pédophile. La maison royale espagnole infirme et les deux couronnes, de part et d'autre du détroit de Gibraltar, se rejettent la culpabilité à coup de communiqués de presse.

Les enquêtes confirment l’effet de ces affaires sur la perception de la monarchie. En avril 2013, le sondage du Centro de Investigaciones Sociológicas, montre que la monarchie espagnole subit une forte baisse de popularité. Sur une échelle de confiance de 1 à 10, le sondage prouve que la moyenne de confiance des citoyens dans la monarchie est de 3,68. Ce sont tout de même plus de 31% des répondants qui affirment n'avoir "aucune confiance" dans la monarchie espagnole. Certes, le niveau de confiance reste plus élevé que celle du gouvernement qui obtient un score de 2,42 à cette époque, mais cela reste quand même le plus bas résultat de son histoire. C'est l'institution qui a subi la plus forte chute ces derniers mois. À noter que c'est également la toute première fois que la monarchie apparaît dans les problèmes préoccupants des Espagnols.

Il est donc légitime de se demander si, à la suite de ces évènements, la monarchie est remise en cause par les citoyens espagnols, ce qui replacerait à l'ordre du jour les revendications républicaines. Pour répondre à ces questions, le Journal International est allé à la rencontre d'Espagnols pour savoir ce qu'ils en pensent.

Carlos Estrada, 31 ans

"Selon mon point de vue, la monarchie n'a plus de sens depuis déjà pas mal de temps. Il est clair que les faits qui ont eu lieu, la mise en examen de certains de ses membres pour corruption, devraient servir pour que le pays s'interroge sur la fonction qu'a cette institution et si les privilèges qu'elle possède sont encore justifiés. Je pense que la fonction qu'on lui admet de représentation extérieure du pays ne justifie pas tous ces privilèges. Plus important encore, cela n'a pas de sens que le chef de l'Etat d'une démocratie ait un poste héréditaire à vie et qu'il ne soit pas élu démocratiquement. Donc, selon moi, la monarchie n'a pas de futur, je pense que c'est parfaitement dispensable et que sa fonction actuelle ne justifie pas son existence."

Guillem Pessah, 30 ans

"Je considère que la monarchie en Espagne après la dictature a joué un rôle préparé par la dictature elle-même, de manière à faire une transition pour servir ses intérêts. La justice n'a jamais considéré qu'il y avait eu un génocide, ils n'ont pas non plus demandé aux familles de quelles manières elles se sont enrichies durant toute cette période. Aujourd'hui, ces mêmes familles redeviennent le centre d'attention à cause des nombreuses affaires de corruption. Donc, même si elle a eu un rôle de transition, la réalité c'est que rien n'a servi. Pour autant, le temps de la monarchie espagnole est révolu, et aujourd'hui c'est une institution archaïque. Elle est totalement délégitimée à cause des récentes affaires sorties dans la presse. Elle est à l’abri des critiques et des débats d'opinion, entre autres celles des citoyens espagnols, qui n'ont jamais eu la possibilité de se prononcer sur le fait de changer ou non notre modèle d'Etat."

Carla Valero, 31 ans

"Juan Carlos devrait abdiquer et pas seulement pour les derniers évènements. Après le rôle qu'elle a eu pendant la transition, la monarchie n'a plus de sens. Tous les 4 ans, on élit démocratiquement le président du pays, la monarchie n'a plus de place dans notre panorama politique. En plus, le fait de maintenir la famille royale nous coûte beaucoup d'argent, ce qui est totalement inutile et disproportionné dans cette période de crise que nous sommes en train de vivre. Nous sommes de plus en plus de citoyens qui veulent que le Roi abdique, mais également que la monarchie disparaisse. La royauté est un terme rétrograde et obsolète au 21ème siècle."

La monarchie mise sous pression par les abdications belges et hollandaises

Le contexte politique international des dernières années a fortement influé sur cette question. Les abdications du Roi Albert II de Belgique et de la Reine Beatrix des Pays-Bas, au début de l’année 2013, ont accentué la pression sur le Roi Juan Carlos. La presse espagnole a largement médiatisé les deux évènements et ne s'est pas privée de s’interroger sur le fait de savoir si le Roi espagnol devrait faire de même. Certains citoyens espagnols se demandent pourquoi ceci est possible dans d'autres monarchies constitutionnelles alors que Juan Carlos, de plus en plus affaiblit par son âge, donne l'impression de s'accrocher coûte que coûte à son poste.

Micry Pessah, 54 ans

"Je suis née et j'ai vécu 17 ans sous la dictature. La transition politique et la monarchie de Juan Carlos étaient chargées d'espoirs. Dans l'actualité, je me sens profondément déçue et trompée par notre "démocratie" et par l'institution monarchique. Je ne crois plus en celles-ci. Face aux scandales qui touchent les membres de la famille royale, et du fait qu’en Hollande comme en Belgique, il y a eu une rénovation, je crois que le Roi d'Espagne aurait dû faire de même. Je ne veux pas croire, mais je pense qu'il n'abdique pas, parce qu'il perdrait l'immunité que lui accorde la constitution. Sa personne pourrait "ne plus être inviolable et être soumise à la responsabilité." La monarchie est une institution anachronique et peut seulement exister si elle sert son pays."

Monarchistes VS Juan Carlistes ?

On dit de beaucoup d'Espagnols qu'ils sont "Juan Carlistes" plus que monarchistes. Selon cette phrase, beaucoup de citoyens adhéreraient plus à la personnalité du roi qu'à l'institution en elle-même. En effet, cette personnalité a pu apparaître comme un élément décisif pour la réussite de la transition de la dictature dans les années 70. Celle-ci a également été mise en avant lors de la tentative du coup d'Etat par des nostalgiques du régime franquiste le 23 février 1981. Un groupe de gardes civils avait tenté de prendre d'assaut le Congrès des députés. Le roi avait joué un rôle déterminant en s'opposant publiquement à ce coup d'Etat et en défendant la Constitution récemment adoptée. Juan Carlos semble alors être quelqu'un capable de maintenir la cohésion du pays. Beaucoup d'analystes pensent que cet événement a été très positif pour l'image publique et la sympathie de Juan Carlos. 

Dani Cesari, 32 ans

"J'aime bien Juan Carlos, il me paraît être quelqu'un de marrant. Il a fait beaucoup pour l'Espagne et je le vois encore comme une figure conciliante. De plus, le coût de la monarchie est relativement accessible pour un pays comme l'Espagne. Le problème c'est qu'en ce moment elle est en train de perdre un certain sens. Les classes dirigeantes doivent nécessairement êtres spécialisées et professionnelles. Pour cette raison, à long terme, à part faire des erreurs, je ne vois ni future ni utilité à la monarchie."

Il est de plus en plus difficile de rencontrer des Espagnols qui soutiennent la monarchie. La plupart des témoignages que nous avons trouvés étaient pour la plupart très négatifs. Il faut tout de même noter qu'en Catalogne, où a été réalisé l'article, la monarchie n'a historiquement jamais connu une grande sympathie de la part des citoyens. C'est ici qu'on a trouvé dans l'histoire les revendications républicaines les plus importantes. L'institution monarchique est de plus en plus remise en question. Les dernières affaires de corruption, la situation économique très difficile et tout dernièrement l’abdication de Juan Carlos contribuent à mettre constamment la famille royale espagnole sous les feux médiatiques. Dans un pays où les hommes politiques sont déjà fortement remis en question et où les demandes indépendantistes connaissent une forte poussée, la monarchie ne semble plus pouvoir jouer son rôle historique de cohésion.

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