Le Salvador : la prison pour crime de fausse couche

27 Novembre 2013



Depuis 1997, sous l'impulsion de l’Église catholique, le Salvador a totalement interdit l'avortement au delà de 12 semaines. Les femmes qui interrompraient volontairement leurs grossesses risquent une dizaine d'années de prison. L'application de la loi n'épargne même pas les femmes victimes de fausses couches.


Crédits Photo -- Ulises Rodriguez /Reuteurs
Crédits Photo -- Ulises Rodriguez /Reuteurs
Septembre 2013, la sentence de Glenda Xiomara Cruz tombe. Elle écope de 10 ans de prison pour avoir fait une fausse couche. Le 30 octobre 2012, la jeune salvadorienne, âgée alors de 19 ans, ressent des douleurs abdominales. En se rendant à l’hôpital, on lui annonce qu’elle est enceinte. Pourtant, Xiomara a continué à avoir ses règles de manière régulières et rien n’aurait pu lui faire penser qu’elle était enceinte. D’autant plus que la fille originaire de Puerto el Triunfo avait réalisé en mai 2012 un test qui s’était révélé négatif.

L’interdiction de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été durcie depuis 1997 à Salvador sous la pression de l’Eglise catholique et une loi a été votée par l’Alliance républicaine nationaliste (Arena) et du Parti démocrate-chrétien (PDC). L’interdiction s’étend alors aux femmes dans les cas où la vie de la mère est en danger ou aux grossesses consécutives à un viol considérant qu’il y’a vie humaine dès la conception de l’ovule fécondé.

Glenda Xiomara Cruz est soupçonnée par la police d’avoir d’avorté et se retrouve donc inculpée pour meurtre aggravé. Son père qualifie la décision de terriblement injuste. Dennis Munoz Estanley, l’avocat de la détenue, ajoute que Xiomara est une «autre victime innocente de notre système injuste et discriminatoire qui envoie en prison des pauvres et jeunes femmes, souffrants de complications obstétricales, pour meurtre sur des preuves infimes ». 

« J’ai perdu quatre ans de ma vie »

Les détenues pour avortement pullulent désormais à la prison pour femme d’Ilopango dans la banlieue de la capitale San Salvador. Selon le Groupe des Citoyens pour la Décriminalisation de l’Avortement, entre 2000 et 2011, la justice a poursuivi 129 femmes, 49 ont été condamnées dont 26 pour meurtre (avec des peines d’emprisonnement allant de 12 à 35 ans) et 23 pour avortement. En 2012, la liste s’est encore allongée avec 7 nouvelles condamnations.

Néanmoins, on peut malheureusement penser que Glenda Xiomara Cruz s’en sort bien en comparaison de sa codétenue d’Ilopango Maria Teresa Rivera, punie de 40 ans de prison pour un cas similaire. Elle, non plus, n’était pas informée de sa grossesse avant de se rendre à l’hôpital pour des douleurs abdominales.

Cristina Quintanilla, enceinte de sept mois, enthousiaste, attendait impatiemment la naissance de son enfant avec son petit ami travaillant aux Etats-Unis. Le couple préparait déjà l’arrivée du bébé notamment en achetant des vêtements. Le 24 octobre 2004, à San Salvador, aux alentours de minuit, la jeune femme, alors âgée de 18 ans, ressent « d’immenses douleurs » et pense qu’elle est « sur le point de mourir ». Dans sa salle de bain, elle tambourine à la porte pour demander de l’aide et sent arriver la perte inévitable de son bébé. Angoisse. « Ensuite, je me souviens que je me suis réveillée à l’hôpital », se rappelle-elle. La suite sera encore plus difficile.

La fille originaire de la bourgade rurale de San Miguel sera jugée pour la mort de son bébé. Le juge classe l’affaire mais le parquet fait appel de la décision. Le verdict final condamne Quintanilla à 30 ans de prison. L’avocat Munoz, qui a travaillé avec 29 femmes incarcérées, réussira à réduire la peine à trois ans de prison. Ce qui n’atténuera pas la tristesse de l’ex-détenue : « je ne comprends pas pourquoi ils m’ont fait ça, j’ai perdu quatre ans de ma vie et je ne sais toujours pas pourquoi j’ai perdu mon bébé ».

La question de l’avortement

Ces différentes affaires ont ouvert le débat sur l’avortement, et particulièrement l’histoire de Beatriz qui a été très médiatisée. Cette salvadorienne, âgée de 22 ans, atteinte d’un lupus et d’insuffisance rénale, attendait un bébé. L’échographie de ce dernier a révélé une anencéphalie, il risquait d’avoir une vie éphémère de quelques heures. L’accouchement de Beatriz aurait pu se conclure par deux morts.

Face à cette situation, la ministre de la Santé, Maria Isabel Rodriguez, a ordonné que la césarienne soit pratiquée, malgré le refus de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice du Salvador. Cette décision a permis de sauver Beatriz à la 27ème semaine alors que son état était en péril. La Commission interaméricaine des droits de l’Homme a finalement eu gain de cause en soutenant la jeune femme. Certains membres du gouvernement, dont Maria Isabel, ont également exprimé leur hostilité à la loi contre l’avortement. Le parti de gauche au pouvoir, le Frente Farabundo Martí de Liberación Nacional, n’a pas aboli cette loi depuis son accession, en 2009, à la tête de ce pays conservateur où l’Eglise catholique est très influente. Des associations comme Si a la vida (Oui à la vie) verrait d’un très mauvais œil une révision libérale de la loi sur l’avortement. Le parti Arena, proche de l’Eglise, se place en favori pour l’élection présidentielle de 2014. Nul doute que le débat sur l’avortement ressurgira dans la campagne.

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Abdou Sarr
Journaliste polyvalent, à l'aise aussi bien avec les questions politiques que sportives. En savoir plus sur cet auteur