Le deuxième mandat de Cameron provoque des remous

4 Juin 2015



Voilà près d'un mois que David Cameron a été réélu Premier Ministre, et le nombre de protestataires ne cesse d’augmenter. S’il n’y a eu que quelques manifestations jusqu’ici, c'est la confusion générale parmi la population et les médias. Les résultats ont été une véritable surprise après que la plupart des sondages aient annoncé qu’il n’y aurait pas de majorité nette.


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Après le choc, une partie de la population a commencé à s’organiser pour dénoncer le système électoral, considéré injuste, et à exprimer son inquiétude concernant le programme de Cameron. Il ne s’agit pas seulement ici, pour une partie de la population, de contester la réélection de Cameron pour des différences idéologiques. C’est une réforme du système majoritaire à un tour qui est demandée. Beaucoup des idées mises en avant par les Conservateurs sont elles aussi vivement critiquées, notamment par les groupes « People’s Assembly Against Austerity » et « Organise Exeter ».

Les élections générales britanniques de 2015 resteront probablement dans l’Histoire en raison de l’émoi qu’elles auront causé. Quand les résultats ont été annoncés le 8 mai, beaucoup ont été stupéfaits. Aucun des sondages n’avait prédit ces scores, suggérant souvent qu’il n’y aurait pas de véritable majorité et qu’une coalition prendrait probablement place.

Les Conservateurs, cependant, ont obtenu une majorité de 12 à la Chambre des communes avec 331 sièges, tandis que le parti travailliste en obtenait 232. Les Libéraux-démocrates ont perdu presque tous leurs sièges et n’ont réussi à en garder que huit. L’UKIP (United Kingdom Independence Party), qui souhaite quitter l’Europe et est souvent comparé au Front National, a gagné un siège, le parti écologiste a gardé son siège et Plaid Cymru  (le parti nationaliste gallois) a gardé les trois siens. Le succès du Parti national écossais (SNP), parti nationaliste et social-démocrate, est une autre surprise. Il a obtenu 56 des 59 sièges attribués à l’Écosse, contre six en 2010. Ils ont, de fait, repris beaucoup des sièges du Labour Party et des Lib-Dems.

Afin de tenter de comprendre pourquoi les sondages étaient si loin de la réalité, le British Polling Council, une association d’études de marché britannique, a lancé une enquête. Celle-ci sera présidée par le Professeur Patrick Sturgis, professeur de méthodologie de la recherche et directeur du Conseil pour les méthodes de recherche du Centre national pour la recherche économique et sociale. Peu de temps après les résultats, Nick Clegg, Ed Miliband et Nigel Farage ont démissionné de leurs positions de chefs de parti (bien que Farage soit revenu au poste quelques jours plus tard). Peu après, Jim Murphy démissionnait à son tour en tant que chef du parti travailliste écossais. Un mouvement qui a causé d’autant plus de désarroi.

Un système électoral considéré injuste

Beaucoup considèrent les résultats comme injustes et non-représentatifs des électeurs. Une partie de la population se plaint effectivement de ce système électoral depuis des années, et demande une réforme. Le système en place, majoritaire à un tour et surnommé « First Past The Post » (« Premier arrivé, premier servi »), fonctionne de la manière suivante : dans chaque circonscription, les électeurs choisissent un député (Member of Parliament). Celui qui remporte le plus grand nombre de voix est élu. Le problème : tous les autres votes ne comptent pour rien, et il est très difficile pour les petits partis d’envoyer des députés à Westminster.

Aux élections de 2015 par exemple, l’UKIP a été choisi par 13 % des électeurs, mais n’a réussi à gagner qu’un siège, car dans les autres circonscriptions un autre parti a reçu plus de votes. Le débat n’est pas entièrement nouveau, puisqu’un référendum, mené en 2011, demandait si le système électoral devrait être réformé au profit du « vote alternatif ». La réponse a finalement été négative, à 68 %. Le « vote alternatif » consiste à voter pour les députés de sa circonscription par ordre de préférence au lieu de voter pour une personne. Si un candidat obtient plus de la moitié des votes, il est élu, sinon le candidat avec le moins de premiers choix est éliminé, ses votes redistribués au second choix de ses électeurs, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il y ait, finalement, une majorité.

Ce système, cependant, n'est pas parfait dans la mesure où il n’est pas proportionnel non plus. Il pourrait même conduire à des résultats encore moins justes en cas de majorité absolue. À vrai dire, il est probable que le gagnant soit un gagnant  au plus petit « dénominateur commun », ce qui pourrait ne pas apporter beaucoup plus de satisfaction.

Inquiétude face au programme de Cameron

Plus que le système électoral, c’est le gouvernement conservateur que les manifestants dénoncent. Le principal sujet de discussion actuellement est l’austérité : une possible privatisation du NHS (National Health Service), la Sécurité sociale anglaise et des coupes budgétaires concernant les allocations et les aides sont au cœur des préoccupations, plus particulièrement après que le nombre de sans-abris a augmenté de 50 % dans tout le Royaume-Uni depuis 2010, et jusqu’à 70 % à Londres pendant cette même période.

L’éducation, elle aussi, se trouve menacée par ces coupes budgétaires, et l’éternelle opposition entre écoles privées et publiques est loin d’être résolue – un problème évoqué par Juliette Perrot auparavant.

Un mouvement et groupe de pression, la People’s Assembly Against Austerity (Assemblée populaire contre l’Austérité), a été lancé en 2013 et semble gagner de plus en plus de soutien. Il a pris de l’importance quand des dizaines de milliers de personnes se sont assemblées dans une marche anti-austérité du quartier général de la New Broadcasting House de la BBC, dans le centre de Londres, jusqu’à Westminster le 21 juin 2014. Ce jour-là, 50 000 manifestants, selon les organisateurs, ont demandé une alternative à l’austérité.

Cette année, le 20 juin, un événement similaire est prévu, de la Banque d’Angleterre au Parlement, « au pas de la porte des personnes mêmes qui ont provoqué la crise en premier lieu, les banques et leurs amis à Westminster », ainsi qu’ils présentent la manifestation sur la page Facebook de l’événement. On peut s’attendre à ce que ce dernier soit massif, dans la mesure où plus de 60 000 personnes ont confirmé leur présence.

Le référendum sur l’Union européenne est un autre grand sujet de discussion à l’heure actuelle. Cameron a promis d’en organiser un en 2017 s’il était réélu, et il doit maintenant tenir parole. Les Britanniques sont bien connus pour leur euroscepticisme, mais beaucoup désapprouvent l’idée de quitter l’Union, en particulier les hommes d’affaires, d'autant plus qu'il semble que renégocier les termes de leur présence dans l’Union européenne avec les 27 autres membres soit impossible. Toutefois, si certains en Grande-Bretagne comptent sur leur « relation particulière » avec les États-Unis dans un certain nombre de domaines, d’autres considèrent l'idée irréaliste, et craignent la réaction de l’UE s’ils partaient. Pourquoi donc les Européens montreraient-ils une quelconque sympathie pour un pays qui aurait décidé qu’ils n’en valaient pas la peine ? 

Campagne pro-immigration. Crédit photo : Movement Against Xenophobia
Campagne pro-immigration. Crédit photo : Movement Against Xenophobia
L’Europe n’est pas la seule à s’inquiéter : le sentiment croissant d’hostilité envers les immigrants au Royaume-Uni pourrait avoir un impact à travers le monde. Il n’est pas surprenant que ce thème-phare du débat électoral ait conduit à de nombreuses campagnes ces derniers temps, avec notamment des posters similaires à celui-ci, fleurissant un peu partout dans le pays.
 

Même les petites villes ont commencé à s’organiser suite aux résultats des élections, en protestation aux cinq années à venir. À Exeter, un mouvement dénommé Organise Exeter, avec pour devise « Don’t Mourn. Organise » (« Ne faites pas le deuil. Organisez-vous. ») a été créé le 10 mai. Si le sud-ouest de l’Angleterre est traditionnellement conservateur, Exeter est représentée par le député travailliste Ben Bradshaw depuis maintenant 18 ans. Bien qu’Organise Exeter ait été principalement mis en place par des étudiants (de l'Exeter Socialist Society, du Parti écologiste, de la Feminist Society ou d’individus), les membres du groupe, qui a atteint les 170 participants, viennent de milieux différents. Surtout, ils ne sont pas tous à l’université. 

L’idée est donc de combiner les forces de jeunes estudiantins et de locaux, des étudiants de politique aux punks et aux personnes directement affectées par les réductions budgétaires, tels que les individus bénéficiant actuellement de prestations d’invalidité ou travaillant avec des sans-abris. Au cours de leur première réunion, une semaine après sa création, les participants ont tâché de définir les buts du groupe. Près d’une centaine de personnes ont assisté à la réunion, qui a permis de définir dans les grandes lignes les objectifs : organiser l’action, permettre la création d’un réseau, inclure et écouter différentes voix, agir comme un encouragement après les élections.

Même si certaines des propositions étaient plutôt à appliquer au niveau local, beaucoup des problèmes discutés sont pertinents au niveau national également. La confusion et le choc qui ont suivi les résultats ont été évoqués auparavant dans cet article, cependant des commentaires intéressants ont été faits sur le sujet concernant les possibles raisons pour lesquelles ils étaient si surprenants. Une grande partie des médias du pays sont plutôt de droite, mais surtout, beaucoup font preuve de préjugés lorsqu’il s’agit d’immigration, de demandeurs d’asile et de minorités ethniques. 

Cela a été prouvé en 2011-2012 par le rapport Leveson, qui a analysé les pratiques des journaux britanniques. Le fait que les partis s’adressent aux personnes qui votent, plutôt qu’à celles qui ne votent pas (ce qui n’est pas spécifique au Royaume-Uni) est tout aussi problématique. Impliquer ces abstentionnistes pourrait changer les choses dans la situation actuelle. Même en prenant en compte seulement les électeurs, une vague de désinformation a été dénoncée, notamment concernant les électeurs conservateurs qui semblent ne pas être toujours au courant de l’étendue des réductions budgétaires que Cameron propose de mettre en place. 

Mettre ces informations à disposition pourrait influencer les non-votants, les électeurs indécis mais aussi les électeurs traditionnellement liés à un parti qui ne remettent peut-être pas en question le programme de ce parti – notamment en ce qui concerne les affaires en rapport avec l’immigration. L’idée de mettre des visages sur les statistiques, suggérée durant la réunion, n’est pas sans rappeler l'affiche pro-immigration montrée ci-dessus, qui semble souligner, une fois encore, le lien étroit entre les politiques locale et nationale.

ABANDON DU HUMAN RIGHTS ACT

La question du Human Rights Act (Loi sur les Droits de l’Homme) a elle aussi été mentionnée durant la réunion. C’est une question d’ordre national, pour ne pas dire international, puisque Cameron a décidé d’abandonner cette loi cruciale. L'initiative provoque des désaccords au sein même de son parti. Cameron a annoncé qu’une nouvelle Bill of Rights (« Déclaration de Droits ») remplacerait le Human Rights Act

De cette façon, la Cour européenne de Justice perdrait sa suprématie sur les lois britanniques. Cette idée risque néanmoins de renvoyer une image négative au monde concernant la position de la Grande-Bretagne sur les droits de l’Homme. Plus important encore, le droit de vote des prisonniers est au cœur du débat dans la mesure où, s’il est promu par Strasbourg, il est fermement rejeté par Cameron.

Tandis que les manifestations contre le nouveau gouvernement ont été vues par certains comme illégitimes puisque celui-ci a été élu par le peuple, d’autres sont en complet désaccord. D’un côté, le système électoral est débattu, et avec lui, les résultats des élections. De l'autre côté, la désinformation générale est considérée par certains comme si accablante qu’elle pourrait bien avoir influencé le vote. De plus, certains protestataires pensent contradictoire de juger un groupe peu démocratique alors même qu’on tente de le réduire au silence. Un principe jugé parfaitement anti-démocratique. 

Les débats sur le système électoral, la privatisation, l’austérité et les droits de l’Homme ne sont pourtant pas les seuls à avoir lieu en ce moment. Le Draft Communications Data Bill (« Projet de loi sur les données et les communications »), aussi connu sous le nom de Snoopers’ Charter (« La Charte des fouineurs »), est susceptible d’être adopté maintenant que les Libéraux-démocrates, qui s’y opposaient, ont perdu leur pouvoir de décision. Le projet : les fournisseurs internet garderaient d’énormes quantités de données sur leurs clients, qui seraient ensuite mises à disposition du gouvernement et des services secrets. Un autre pas en direction de ce que George Orwell avait prédit dans 1984 ?

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