Le drapeau noir s’érige de nouveau : identités pirates au XXIe siècle

Anne-Marie Veillette du Blog sur la politique internationale
11 Juin 2013



Au début des années 2000, un nouveau fléau, apparaissant comme un anachronisme, jaillit au large de la Somalie : la piraterie. Pourtant, la piraterie est sans aucun doute une activité vieille comme le monde. Ceci n’empêche pas les médias internationaux de créer un engouement énorme : Des pirates? Au XXIe siècle? Qui l’eût cru…


A masked Somali pirate / Crédit Photo -- AP
A masked Somali pirate / Crédit Photo -- AP
En fait, pour faire un survol rapide, peu d’époques et de régions du monde ont été épargnées par ce phénomène. Dans l’Antiquité, autant les Égyptiens que les Grecs et les Romains ont eu à combattre ce fléau du commerce maritime. Au Moyen Âge, les actes de piraterie commis par les Vikings furent tellement paralysants que le roi français Charles le Simple décida de leur céder une partie de la France (Normandie actuelle). Avec la découverte des Amériques, les rois développèrent les courses, qui étaient en fait, des « permis de piraterie », qui permettaient d’attaquer les vaisseaux des autres couronnes européennes. Le nombre d’attaques et d’individus employés à la pègre marine explosa alors à un tel point que cette période est restée gravée dans l’imaginaire collective comme l’âge d’or de la piraterie. Quelques décennies plus tard, ce furent les Maghrébins que l’on pointa du doigt pour piraterie, puisque plusieurs de leurs ports étaient en fait considérés comme des ports pirates : Alger, Tunis, Tripoli… De façon plus actuelle, les années 2000 ont quant à elles été marquées par les nombreux détournements de bateaux commerciaux dans le Détroit de Malacca, l’un des plus fréquenté au monde. Aujourd’hui, les États riverains de ce détroit (Singapour, Malaisie et Indonésie) se vantent d’avoir endiguer le problème. Pourtant, la piraterie semble avoir trouvé de nouveaux foyers d’actions, soit dans le Golfe d’Aden (au large de la Somalie), dans le Golfe du Niger, en mer de Chine (bien que la piraterie y soit présente depuis des années) et sur la côte ouest du continent sud-américain.

Les quelques exemples de pirateries ci-dessus sont loin d’être anodins et soulèvent certaines remarques. Premièrement, la chasse aux pirates est depuis très longtemps une préoccupation des États. D’ailleurs, l’endiguement de celle-ci a été l’une des premières normes coutumières de droit international, bien qu’aujourd’hui, peu d’États aient gardé une législation nationale anti-piraterie. Deuxièmement, la piraterie se développe là où le transport de richesses est abondant. Troisièmement, bien que cet aspect ait été peu exposé précédemment, la piraterie se développe là où les populations manquent du nécessaire pour vivre. Certains historiens affirment que les Vikings sont descendus en Europe parce qu’il y avait une famine épouvantable sur leurs terres d’origine. Les pirates d’Amérique (et non simplement les corsaires) étaient très souvent d’anciens marins, qui, avec les multiples guerres européennes, se retrouvaient souvent sans emploi et sans aucune perspective sur le continent. La piraterie moderne, qu’elle prenne ancrage en Somalie ou en Asie, correspond à un schéma semblable à ces exemples. Sans établir une généralisation qui serait bien trop réductrice du phénomène de la piraterie, ces exemples exposent tout de même des problématiques incontournables sur la question qui nous concerne.

Le fléau du drapeau noir et les solutions contemporaines

Les trois gouvernements riverains du Détroit de Malacca (un détroit d’Asie du sud-est en forme d’entonnoir, situé à la rencontre de Singapour, de l’Indonésie et de la Malaisie), établirent un plan pour enrayer la prolifération de la piraterie, qui devenait réellement gênante pour les transporteurs maritimes. Pour en faire un résumé, leur plan comprenait essentiellement deux volets : le premier concernait une surveillance accrue du passage et le second concernait principalement les bidonvilles sur pilotis. Leur objectif principal était d’intégrer les populations pauvres vivant dans ces bidonvilles à l’économie formelle. Pour plusieurs de ces personnes, peu d’options autre que la piraterie ne s’étaient présentées avant ce programme. Grâce à ces efforts, la piraterie a diminué de façon massive dans la région et, souhaitons-le, a permis la réhabilitation de nombreuses familles. Cependant, ces programmes ont été inégaux et un fond de piraterie survit toujours dans la région, malgré la réduction du phénomène. La géographie très complexe de la région, constituée de milliers d’îles et îlots, rend difficile l’accès de certains programmes dans les îles éloignées et tend à rendre la surveillance très complexe.

La conclusion à en tirer est simple, mais reste au cœur de l’enjeu de la piraterie maritime : pour arriver à diminuer la piraterie, voir à l’éradiquer, on ne peut pas baser les solutions que sur la surveillance et la répression. De toute évidence, les solutions se trouvent sur la terre ferme. Dans le cas de la Somalie, plus particulièrement, ce principe saute aux yeux.

Histoire d’un État failli et de ses pirates

En Somalie, plusieurs opérations internationales sont intervenues dans l’espoir de rétablir l’État et de diminuer les violences (notamment liées à la guerre civile, au terrorisme et aux seigneurs de guerre), qui sévissent depuis plus de deux décennies. On pense surtout à l’ONUSOM I et II, à l’opération Restore Hope menée par les États-Unis et, plus récemment, à l’AMISOM menée par l’Union africaine.2

Traditionnellement, une bonne partie des Somaliens vivaient de la pêche. Toutefois, avec la faillite de l’État au début des années 90, beaucoup de navires étrangers profitèrent de cette absence d’autorité pour venir pêcher massivement au large des côtes somaliennes. Certains étrangers vinrent même jeter leurs déchets toxiques dans les parages. De plus, le trafic maritime augmenta de façon exponentielle dans ces mêmes années. La pollution devint évidente et plusieurs personnes vivant sur les côtes tombèrent malades. En outre, les pêcheurs arrivaient de moins en moins à survivre de leur labeur. C’est dans ce contexte que la piraterie se développa dans le Golfe d’Aden, jusqu’à prendre les proportions que l’on connait aujourd’hui, alors qu’elle est intégrée au centre d’un système mafieux transnational. En 2009, la piraterie au large des côtes de la Somalie atteignait le nombre de 217 attaques, alors qu’en Asie du sud-est (Malacca principalement), on en répertoriait 67. En 2000, on ne recensait en Somalie que 22 attaques, alors que dans le reste du monde on atteignait un peu plus de 400 attaques (dont le plus grand nombre avait eu lieu dans la région du Détroit de Malacca).

Face à cette situation, plusieurs pays mirent de l’avant un plan de sécurité contre la piraterie. Sous l’impulsion principale de l’OTAN et de l’Union Européenne, on organisa la surveillance du Détroit d’Aden. Les transporteurs quant à eux, eurent de plus en plus recours aux mercenaires pour protéger leurs navires. Pourtant, malgré une petite diminution, la piraterie continue de sévir et s’étend même de plus en plus loin, atteignant carrément l’Océan indien et les côtes plus au sud de l’Afrique.

Mondialisation, state building et pirates

Malheureusement, la communauté internationale semble avoir bien peu appris. La répression des actes de piraterie est et restera sans aucun doute inutile et même contreproductive. Ce dont la Somalie a besoin, ce n’est pas de se faire taper sur les doigts pour avoir hébergé pirates et terroristes, mais bien d’arriver à la paix. Aujourd’hui, les richesses du monde (et surtout le pétrole) passent sous son nez chaque jour, alors qu’elle se trouve au milieu de guerres de clans et de la pauvreté. La Somalie, comme tant d’autres États du sud, reste marginalisée du développement mondial. Il y a peu d’intérêt aujourd’hui pour la communauté internationale à retourner là où son modèle de développement a échoué par le passé. En somme, au nom du libre commerce, on contient la piraterie comme on peut, sans véritablement régler le problème, sur la terre ferme. Les pirates du XXIème siècle, ce sont ces laissés pour compte d’une mondialisation éhontée.


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