Les Grecs d’Istanbul : érosion d’une communauté

8 Octobre 2013



De citoyenneté stambouliote, mais de nationalité grecque, les « Rums », ou Grecs d’Istanbul, doivent faire face à la disparition progressive de leur communauté.


Crédits photo -- news.cn
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Istanbul, ancienne Byzance, reste fortement influencée par la culture grecque. Son architecture de style byzantin, ses églises, son patriarcat orthodoxe sont autant de points de repère pour la communauté rum. Ce terme, qui signifie « Romains » en turc, désigne les Grecs de Turquie, groupe à part dans une ville multiculturelle : de citoyenneté stambouliote, ils conservent leur nationalité grecque.

Une disparition historique

Pourtant, alors que l’on dénombrait 125 000 Grecs à Istanbul dans les années 1920, ils ne sont plus que 2000 aujourd’hui. La moitié d’entre eux a plus de 65 ans et est marquée par un certain conservatisme : la communauté est aujourd’hui encore réticente au mariage mixte, qui pourrait mener à la disparition progressive de la communauté. La nécessité d’y recourir se fait néanmoins sentir, alors que de nombreux Grecs sont rentrés au pays.

L’érosion de la communauté rum s’est faite par étapes. Une première vague de départs date de la guerre entre la Grèce et la Turquie de 1919 à 1922. La seconde, entre 1955 et 1980, résulte de la remise en cause de la convention gréco-turque d’établissement sur le sol turc par Ankara. Le départ des Grecs a été précipité en 1955 par le pogrom d’Istanbul, après l’explosion d’une bombe dans le consulat turc de Thessalonique. Entre treize et seize Grecs ont alors été tués, des femmes et des hommes violés, des hommes circoncis de force. La population rum chute brutalement : en 1978, ils ne sont déjà plus que 7000. Les 2000 Rums encore présents à Istanbul tentent de préserver les liens culturels d’une communauté marquée par la tradition.

Vers une nationalité turque pour les Rums ?

Aujourd’hui, les Rums exigent du gouvernement de l’AKP (Parti pour la Justice et le Développement, conservateur) de récupérer leur nationalité turque. En mai, ils ont envoyé une lettre au Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, afin de lui expliquer leurs revendications. Cette missive faisait écho à la missive envoyée en septembre 2012 au ministère turc des Affaires étrangères et au ministère turc des Affaires européennes. Le président de la Fédération universelle des Rums d’Istanbul, Inolaos Uzunoglu, demande dans ces lettres des mesures destinées à faciliter le retour des Grecs en Turquie. Beaucoup sont en effet partis : c’est le cas d’Uzunoglu, qui vit aujourd’hui à Athènes.

Trois mesures principales sont demandées par le président de la Fédération universelle des Rums d’Istanbul. Il espère en premier lieu que la citoyenneté turque pourra être accordée par des moyens rapides aux ressortissants grecs d’Istanbul. Il incite également le gouvernement à leur offrir une aide pour qu’ils puissent monter leur entreprise. Enfin, il demande à ce que soient mises en place des aides pour apprendre le turc. Les résultats, ralentis par l’administration, tardent à se faire sentir, selon Uzunoglu. Début mars, le vice-Premier ministre, Bülent Arinc, a appelé le gouvernement à faire davantage d’efforts pour améliorer la vie des minorités de Turquie, notamment en élargissant leurs droits.

Des institutions de cohésion sociale menacées

Crédits photo -- Constance Perrin
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Les Rums cherchent dans des institutions grecques une représentation politique. Officiellement, le consulat de Grèce gère les affaires administratives des ressortissants hellènes à Istanbul. Depuis la naissance de l’État-nation turc et la reconnaissance de la minorité rum en 1923, il leur apporte une aide régulière, se substituant souvent à l’institution représentative qui manque à la communauté. Le patriarcat est un second référent. Aller à l’église permet de réactiver les liens communautaires. Le patriarcat donne également des conseils précieux aux membres de la communauté.

Enfin, les écoles sont supposées permettre une transmission de la culture grecque en Turquie. Une école rum a notamment obtenu en avril l’autorisation de rouvrir sur l’île de Gökçeada, destination très touristique. Une première en 49 ans. Mais il n’est pas sûr que la demande de la part des élèves soit suffisamment forte pour que l’ouverture soit effective. Aujourd’hui, l’entretien de trois écoles symboliques, La Grande École de la nation (1454), Zappeion (1885) et Zografeion (1893) coûtent cher à la communauté, qui compte trop peu de membres pour assurer le bon fonctionnement de ses institutions.

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Laurène Perrussel-Morin
Ex-correspondante du Journal International à Berlin puis à Istanbul. Etudiante à Sciences Po Lyon... En savoir plus sur cet auteur