Les revendications territoriales canadiennes au Pôle Nord

12 Décembre 2014



Point d’intersection de l’axe de rotation de la Terre avec la surface terrestre de l’hémisphère Nord, le Pôle Nord est le lieu où tous les méridiens et fuseaux horaires se rencontrent. Mais si l’on se fie à l’état actuel du droit international, le Pôle Nord n’appartient à aucun pays.
Cinq États se disputent la région de l’Arctique : le Canada, les Etats-Unis, la Norvège, la Russie et le Danemark. Aucune guerre coloniale, ni de concurrences intenses entre les cinq pays n’a eu lieu : les revendications territoriales en Arctique sont restées passives, tardives et sans trop d’événement diplomatique.


Crédits DR
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Jusqu’en 1999, le Pôle Nord et une grande partie de l’océan Arctique étaient considérés comme une zone internationale. Depuis, les Nations Unies ont instauré une convention régulant les droits de la mer. En 1982, pour faciliter les revendications territoriales et éviter les dissensions diplomatiques, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a créé la Commission des Limites du Plateau Continental (CLPC). C’est devant cette commission que les pays doivent présenter leur demande d’extension territoriale. En 1926, le Canada devint le premier État à étendre ses frontières continentales en direction du Nord et du Pôle Nord, plus précisément entre les 60° W et 141° W de longitude. Les revendications canadiennes ne sont pas universellement admises : la Russie (qui souhaite étendre son territoire entre le 35° E et le 170° W), les Etats-Unis (entre le 170° W et le 141° W) et la Norvège (entre le 5° E et le 35° E) ont également fait part de leur désir de posséder les terres de l’Arctique.

 
 


Crédit DR
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À ce jour, la souveraineté des cinq États se limite à une zone économique exclusive allant jusqu’à 200 miles marins après leur plateau continental. En ratifiant la dite Convention des Nations unies sur le droit de la mer (article 76, paragraphe 8), chaque pays a dix ans pour revendiquer l’extension de son plateau continental. La Norvège fut le premier pays à ratifier la convention, en 1996, suivie de près par la Russie en 1997, puis par le Canada et le Danemark, tous deux respectivement en 2003 et 2004. Les Etats-Unis ont déjà signé la Convention, mais ne l’ont pas encore ratifié. Dans cette logique, la Norvège a déposé, en 2006, une demande officielle à la commission des Nations Unies sur les limites de son plateau continental en accord avec la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

 
 


Cela dit, le Danemark possède la côte la plus proche du Pôle Nord, ce qui lui permet d’affirmer que la dorsale de Lomonossov serait une extension du Groenland. 


Les revendications territoriales canadiennes : entre ressources naturelles et route maritime

L’archipel Arctique est composé de 94 îles dépassant 130km et 36 469 îles de plus petites dimensions. Ces nombreuses îles couvrent au total plus de 1 400 000 km. Le Royaume-Uni a cédé ses territoires arctiques au Canada à deux reprises : en 1870 d’abord, en transférant sa souveraineté de la Terre de Rupert et des Territoires du Nord-Ouest ; en 1880 ensuite, lorsque les autres territoires britanniques en Arctique ont été placés sous les autorités canadiennes.

Depuis 2013, et jusqu’en 2015, le Canada est à la présidence du Conseil de l’Arctique, créé en 1996, en la personne de Leona Aglukkak (Ministre de la Santé, Ministre de l’agence canadienne du développement économique du Nord, Ministre du Conseil de l’Arctique). Ce sont principalement quatre secteurs qui composent les mesures canadiennes en Arctique, à savoir l’exercice de la souveraineté canadienne, la promotion du développement social et économique, la protection du patrimoine environnemental dans un souci de développement durable, et la gouvernance décentralisée sur les territoires de l’archipel arctique. Et le 23 octobre dernier, une nouvelle loi à l’égard de l’archipel Arctique fut présentée devant la Chambre des Communes canadienne : cette loi offre la possibilité d’établir un nouvel organisme fédéral de recherche permettant l’approfondissement des connaissances canadiennes sur l’Arctique. 


Crédit Adrian Wyld. Leona Aglukkaq, ministre de la Santé, ministre de l’agence canadienne de développement économique du Nord et ministre du Conseil de l’Arctique
Crédit Adrian Wyld. Leona Aglukkaq, ministre de la Santé, ministre de l’agence canadienne de développement économique du Nord et ministre du Conseil de l’Arctique

L’objectif derrière cette loi est de renforcer le leadership canadien en termes de sciences et de technologie polaires tout en abolissant la lourdeur bureaucratique en créant un seul organisme fédéral par la fusion des ressources et des savoirs de la Commission canadienne des affaires polaires et de la Station canadienne de recherche dans l’Extrême-Arctique (SRCEA). Il s’agit ainsi de réaffirmer la position du Canada dans la course à la souveraineté du Pôle Nord.


Les revendications territoriales au Canada portent plus spécifiquement sur le passage du Nord-Ouest, considéré comme une partie des « eaux intérieures » canadiennes. Au contraire, pour les Etats-Unis et l’Union européenne, ce passage est un détroit international où les bateaux détiennent un droit de libre transit. La revendication de ce passage semble donc devenir une question épineuse, notamment du fait de la fonte des glaces qui met sur le devant de la scène le potentiel énergique et minéral de l’archipel Arctique. Car le réchauffement climatique a induit la découverte de nouvelles routes maritimes, ce qui a engendré l’augmentation du trafic maritime, notamment entre l’Asie et l’Europe.


L’ouverture de ce détroit induit des interrogations quant à la souveraineté mais également à la sécurité, notamment en termes de trafics et d’immigration. En décembre 2013, le Canada a déposé sa demande d’extension de sa souveraineté sur le pôle Nord devant une commission spécialisée de l’ONU. Afin de faire reconnaître ses droits sur le Pôle Nord, le Canada doit prouver scientifiquement que le plateau continental extérieur de l’Arctique est une extension de son territoire, par exemple en présentant une analyse prouvant une même composition géologique des roches. 


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Le Canada prend appui sur deux arguments juridiques dans ses revendications, à savoir le titre historique et le tracé des lignes de bases droites. Le Canada doit donc pouvoir démontrer qu’il exerçait une compétence exclusive sur les eaux du Pôle Nord, non seulement pendant une longue période – l’usage du passage du Nord-Ouest par les Premières Nations – mais également sans la protestation formelle par les autres Etats. Les lignes de bases droites sont les lignes à partir desquelles sont déterminées les zones marines. La cartographie mise en œuvre par les scientifiques canadiens pour le dossier de revendication territoriale a coûté près de 117 millions de dollars. Quelques jours seulement avant le dépôt, Stephen Harper a insisté pour intégrer le Pôle Nord dans les revendications canadiennes, induisant alors à une extension du plancher océanique.


Avec le réchauffement climatique, le Pôle Nord est-il en passe de devenir un enjeu géopolitique majeur ?

Il convient de rappeler que l’Arctique ne fait pas partie du patrimoine naturel mondial, ce qui est pourtant le cas pour l’Antarctique. Selon les dernières estimations du gouvernement canadien, l’Arctique renferme un cinquième des réserves pétrolières mondiales. L’océan Arctique est une région riche en pétrole, gaz naturel, plomb, zinc, or, uranium et argent. Et la fonte des glaces rend de plus en plus accessibles les ressources naturelles du Pôle Nord. À terme, l’intérêt international croissant pour les ressources naturelles du Pôle Nord engendrera une intense augmentation de l’activité humaine sur les territoires. Outre cette croissance de présence humaine dans cet environnement naturel, les intérêts économiques et logistiques des routes maritimes du Pôle Nord cachent des impacts environnementaux et géo-économiques importants. À noter que le réchauffement climatique a jusqu’ici provoqué la perte de 90% des plateaux de glace canadiens, en l’espace des cent dernières années.

Crédit Muriel Epailly
Crédit Muriel Epailly

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Laurine Benjebria
Ancienne correspondante au Québec puis rédactrice en chef du Journal international. Curieuse,... En savoir plus sur cet auteur