Malaisie : les plantations de thé, souvenir d’un empire disparu

26 Août 2013



Les plantations de thé des Cameron Highlands, passage obligé pour les touristes en Malaisie, révèlent toute l’ambivalence d’un pays qui n’arrive pas à se libérer d’un modèle économique aujourd’hui démonté par la politique économique nationaliste lancée en 2009 par le gouvernement. Le point avec l’exemple théier.


The Bharat Tea Plantation near Tanah Rata in the Cameron Highlands, Malaysia | Crédit Photo : bjornfree.com / Bjørn Christian Tørrissen
The Bharat Tea Plantation near Tanah Rata in the Cameron Highlands, Malaysia | Crédit Photo : bjornfree.com / Bjørn Christian Tørrissen
Au delà d’être absorbé par la saisissante beauté de ces plants de théiers, on se sent revenus dans un autre temps en tergiversant parmi les monts et vallées des Cameron Highlands. Les plantations s’étendent à perte de vue sur ceux-ci et, le climat proche de l’équateur aidant, font plus penser aux montagnes d’Afrique équatoriale qu’à l’image stéréotypée que l’on peut se faire du pays. Une fois passée cette première impression, on se laisse transporter à travers les années jusqu’à la période qui a précédé l’indépendance, avant 1957.

Le Boh Tea, entreprise héritée d’un autre âge

Conscients du potentiel touristique de la plantation, ses dirigeants proposent au voyageur un retour linéaire sur le développement de l’entreprise, dans un petit musée surplombant magnifiquement les plantations. Fondé en 1925 par J.A. Russel, un colon anglais, le projet grandissant n’a pas quitté les mains de la famille anglaise depuis. En effet, ce ne sont pas moins de cinq membres de la famille Russel qui se sont succédés à la tête du thé Boh, agrandissant et faisant prospérer l’affaire de famille. Aujourd’hui, les 23 hectares de théiers produisent pour 600 000 kilos de ces précieuses feuilles par an, exportées dans toute l’Asie de l’Iran au Japon. Et l’entreprise n’est pas en reste, jouant les premiers rôles sur le marché régional et bientôt mondial, les ambitions de Boh étant de toucher, à terme, les marchés européens et américains.

Le constat est donc simple, mais à l’image de nombreuses décolonisations : ce n’est pas l’indépendance du pays qui a rendu l’économie malaisienne à ses habitants, la Grande Bretagne a gardé, par le biais de ses expatriés, une main sur ses ex-colonies. On est donc loin du modèle économique vendu par les autorités d’une nation autodidacte, avec un tissu économique issu du terroir malais. Si les deux entreprises fer de lance MayBank et Petronas sont l’exemple de cette politique, d’autres comment Boh forment le contre-exemple.

Emploi : rattraper la norme des pays industrialisés

Depuis l’indépendance du pays en 1957 et les différentes crises nationalistes qui ont menées notamment à l’indépendance de Singapour et de Bruneï, les différents gouvernements ont mis en place des politiques d’union nationale. La dernière en date est le projet 1Malaysia, instauré en 2010 par le Premier ministre Najib Tun Razak. Voulue pour restaurer une unité nationale autour d’un idéal d’ « harmonie ethnique et d’unité nationale », la politique 1Malaysia a pour principal fait d’armes la mise en place d’un salaire minimum, établi en 2012 à 900 ringgits par mois (225 euros environ). Néanmoins, un rapide coup d’œil sur la chaîne de production de l’entreprise Boh montre que ce salaire minimum malais n’est que de façade pour calmer des revendications grandissantes.

Rajh est cueilleur dans les plantations Boh des Cameron Highlands depuis 18 ans. Je ne peux que le remercier de m’avoir éclairé sur la réalité de la situation de l’emploi dans l’agriculture malaisienne. Depuis 1995 donc, il cueille, cinq jours sur sept, les feuilles de thé pour l’entreprises. Les différentes politiques sociales qui se sont succédées ? Le salaire minimum ? Il n’en a jamais entendu parler. Ce dont il est le plus sûr, ce sont les 25 sens (100 sens = 1 ringgit) qu’il touche par kilo de feuilles cueillies, et le plus fier, les lourds sacs remplis posés sur le chemin en dessous.

Ramassant 50 kg de feuilles de thé par jour, il touche donc environ 12,5 ringgits/jour, soit un peu plus de 3 euros. Un petit calcul plus tard, et on se rend compte que son salaire mensuel peine à dépasser les 250 ringgits. On est bien loin des 900 du salaire minimum de 2012. Rassemblant une grande partie de la population malaisienne, l’agriculture est donc un secteur encore loin des politiques économiques nationales. Et Boh en reste aux salaires coloniaux, empêchant aux ouvriers comme Rajh toute épargne et ambition.
 
Pour conclure et finir sur une bonne note, on peut néanmoins se dire que la Malaisie est sur une bonne pente économique, stagnant depuis quelques années à une croissance égale ou supérieure à 5 % par an et un chômage avoisinant les 3 %. De quoi faire rêver plus d’un homme politique de l’autre côté du monde.
 
 

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