Nucléaire, la non-prolifération risquée ?

13 Avril 2013



Longtemps perçue comme mécanisme de dissuasion, l’arme nucléaire pourrait bien changer de statut pour s’imposer comme une source de terreur et de confusion dans les relations internationales.


Crédits photos — Keith Bedford, Reuters
Crédits photos — Keith Bedford, Reuters
La course à l’arme nucléaire n’est pas sans incidence sur les rapports interétatiques. La force de frappe nucléaire a tendance à bousculer les relations entre les grandes puissances et le reste des pays. Ces derniers pourront, en cas d’acquisition de cette technologie, renforcer leurs positions internationales et par conséquent, contrebalancer le leadership des pays les plus influents.

Pour cela, plusieurs États tentent de se doter du nucléaire, certains ont franchi le pas comme le Pakistan ou l’Inde qui disposerait, de 30 à 150 têtes nucléaires. De leurs côtés, l’Iran et la Corée du Nord jouent au jeu du chat et de la souris avec la communauté internationale, depuis de nombreuses années. Dans ce contexte, le risque de prolifération de l’arme nucléaire - et par conséquent, sa banalisation – est de nouveau à l'ordre du jour.

Conscient de cette situation, les différentes puissances nucléaires ont tenté d’établir des règles de non-prolifération pour limiter l’accès aux armes de destruction massive. Reste que cette politique de régulation se montre peu efficace en raison du conflit d’intérêts entre les États possédant l'arme nucléaire et ceux qui aspirent à devenir des puissances nucléaires.

Ces derniers dénoncent le clientélisme de la non-prolifération nucléaire et son application en fonction des intérêts des puissants, comme le démontre l’exemple d’Israël, de l’Inde ou du Pakistan qui grâce à leur alliance avec les États-Unis, ont pu contourner le régime de la non-prolifération nucléaire sans pour autant qu’ils soient sanctionnés. Alors que la Corée du Nord ou même l’Iran, opposants à la puissance américaine, se trouvent immédiatement sanctionnés par le régime de la non-prolifération nucléaire.

L’analyse de la politique de dénucléarisation du monde démontre, parfaitement, que les pays nucléaires cherchent plutôt à garder le monopole sur ce type de puissance en vue de sauvegarder leurs propres intérêts géostratégiques. Mais cela ne conduira, en réalité, qu’à la prolifération secrète de l’arme nucléaire, engendrant ainsi une nucléarisation du monde dont les risques s’avèrent très dangereux sur l’avenir de l’humanité.

Non-prolifération, un monopole de la puissance nucléaire

Nucléaire, la non-prolifération risquée ?
La force de frappe nucléaire n’est pas un critère prestigieux que les États désirent s’approprier. Au contraire, elle constitue une partie intégrante de la puissance sur la scène internationale. Elle permet à son détenteur de se positionner en tant qu’acteur incontournable dans le concert des nations.

En matière sécuritaire, la puissance nucléaire permet aux États de renforcer leur niveau de défense et de se protéger contre toute attaque éventuelle, car aucun pays n’osera s’attaquer à une puissance nucléaire de peur de la destruction mutuelle. La doctrine russe s’érige en modèle lorsqu’elle précise : « une des tâches les plus importantes de la Fédération de Russie est d’assurer la dissuasion dans le but d’empêcher une agression quelle que soit l’échelle –y compris une réalisée avec des armes nucléaires– contre la Russie ou ses alliés. La Fédération de Russie doit posséder des forces nucléaires capables d’infliger à coup sûr des dommages adéquats à tout agresseur –qu’il s’agisse d’un État ou d’une coalition d’États– quelles que soient les circonstances ».

S’agissant de l’avantage politique, la possession de l’arme nucléaire assure une indépendance stratégique sur la scène internationale, comme ce fut le cas de l’Inde, du Pakistan et même d’Israël qui après avoir acquis la technologie nucléaire, se sont imposés comme des puissances émergentes. Ce constat est important et justifie, par ailleurs, les efforts de l’Iran ou de la Corée du Nord qui, craignant une agression militaire occidentale et désirant ensuite imposer leur poids dans leur région, insistent sur le développement de leur programme nucléaire militaire.

En revanche, les pays puissants refusent la banalisation de la technologie nucléaire et préfèrent garder le monopole de la puissance nucléaire de peur de voir leur marge de manœuvre affaiblie, c’est la raison pour laquelle le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) fut renforcé et les visites de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) multipliées.

Justement, les pays influents tentent de limiter l’accès à l’arme nucléaire voire de l’interdire. D’ailleurs, le président Obama s’est engagé à « rechercher la paix et la sécurité dans un monde sans nucléaire » d’où la finalisation de l'accord de new Start, avec la Russie pour limiter les missiles stratégiques des deux pays. Tous ces efforts ont pour objectif d’encadrer la banalisation de l’arme de destruction massive et d’empêcher l’émergence de nouvelles puissances nucléaires.

Cependant, la politique de dénucléarisation du monde a échoué, car le TNP se trouve de plus en plus dans l’impasse avec la réticence de certains pays à le respecter, comme le démontre le retrait de la Corée du Nord, ou le développement du programme nucléaire iranien, pourtant signataire de ce traité.


La non-prolifération, une stratégie du risque ?

Crédits photo — Associated Press
Crédits photo — Associated Press
Si l’arme nucléaire se présente comme un attribut de puissance qui permet aux États de s’imposer sur le plan transnational, il n’en reste pas moins que la course pour son acquisition comporte des risques majeurs dont l’ampleur demeure très dangereuse sur l’avenir de toute l’humanité.

Justement, la course à l’arme nucléaire augmente le risque de la prolifération nucléaire et réduit à néant les efforts du traité de non-prolifération (TNP). Pis encore, certains pays évoqueront même un droit à l’arme nucléaire pour garantir leur sécurité. En effet, il ne sera guère surprenant de voir des États tels que l’Arabie Saoudite ou le Qatar s’efforcer d'acquérir l’arme nucléaire pour contrer le programme iranien. C’est aussi le cas d’une éventuelle acquisition par la Corée du Sud de l’arme nucléaire pour dissuader son voisin du Nord. Comme ce fut le cas du Pakistan qui a renforcé son arsenal nucléaire, après les essais nucléaires menés par l’Inde.

Cette situation conduira sans doute à l’accroissement du nombre des États détenteurs de cette technologie. Certains considèrent que la nucléarisation du monde est une source de sécurité et de paix universelle motivée par la dissuasion, mais faut-il ne pas oublier que la banalisation de l’arme nucléaire favorisera sa circulation par le biais de la contrebande des matières nucléaires dans le cadre des marchés clandestins, et renforcera le risque du franchissement de la ligne rouge sécuritaire.

Cette ligne rouge pourrait être fragilisée par la circulation massive de la technologie nucléaire. En effet, si les États s’abstiennent à l’utiliser directement dans leurs conflits, rien ne garantira qu’une telle arme ne tombera pas entre les mains des groupes terroristes, qui échappant au contrôle des États, n’hésiteront pas à l’activer contre leurs ennemis.

Cette hypothèse demeure plus que plausible, la CIA a toujours attiré l’attention sur ce phénomène puisqu’elle rappelle à cet égard que « la disponibilité accrue des matériaux nucléaires et de la technologie, qui a permis l’accès des pays en développement aux explosifs nucléaires, les mettant tôt ou tard à la portée des groupes terroristes ».

L’arme nucléaire, qui a réussi à maintenir la stabilité mondiale depuis plus de 40 ans, semble se transformer progressivement en un facteur d’insécurité -voire de menace- que la communauté internationale ne peut plus ignorer. Les États doivent prendre leur responsabilité en dépassant les calculs stratégiques et procéder à l’élimination des programmes nucléaires menés à des fins militaires, pour n'en garder que les exploitations destinées à des activités civiles favorables au développement.

Pour ce faire, il faut dépasser les intérêts individualistes qui alimentent les politiques de relations extérieures pour établir une approche multilatérale de perception des dangers à travers le renforcement du traité de non-prolifération nucléaire, puis en assurant un contrôle plus efficace qui sanctionne les différents dépassements. Il s’agit, sans doute d’un effort considérable, mais c’est un sacrifice nécessaire pour la sécurité.

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Mehdi RAIS
Doctorant en Relations et Droit Internationaux à l'Université de Rabat (Maroc) et membre du Centre... En savoir plus sur cet auteur