Paraguay : un coup d'Etat passé inaperçu

22 Octobre 2012



Le 21 juin 2012, Ferdinando Lugo, président du Paraguay a été remplacé par son vice-président Federico Franco après le vote des députés. Un coup d’Etat institutionnel dénoncé par les pays voisins sur fond de conflit agraire entre agrobusiness et carperos, les « sans terres » du Paraguay.


Un coup d’Etat institutionnel

La destitution du président intervient une semaine après d’énièmes affrontements entre les carperos et la police qui ont fait 17 morts. Les députés reprochent au président de ne pas avoir réussi à rétablir la paix sociale ces dernières années, et même d’avoir attiser le conflit en défendant les revendications des paysans sans terres. Pour les observateurs des pays voisins, l’événement a servi de prétexte à l’aile libérale de la chambre de députés pour écarter du pouvoir un président aux politiques gênantes, à la veille des élections présidentielles qui doivent se dérouler début 2013.
Paraguay : un coup d'Etat passé inaperçu

Le vice-président Federico Franco du Partido Liberal Radical Autentico, désormais au pouvoir, n’est pas reconnu par ses voisins l’Argentine, le Brésil et la Bolivie qui ont exclu le pays du MERCOSUR, l’alliance économique de l’Amérique latine. Lugo était proche du président brésilien Lula. Ces détracteurs lui reprochaient ses liens avec Chavez et Evo Morales bien que sa politique en soit en réalité assez éloignée.

Ferdinando Lugo avait été élu président en 2008 en tant que candidat de l’Alliance Patriote pour le changement, alliance entre la gauche chrétienne et la droite libérale. Cette alliance, temporaire, visait à lutter contre le Partido Colorado, le parti au pouvoir depuis 61 ans, celui du président Stroessner qui a maintenu la dictature de 1954 à 1989. Lugo est une figure de l’opposition au régime de Stroessner, surnommé « l’évêque des pauvres » en raison de ses engagements politiques alors qu’il était évêque auprès des indigènes. En arrivant au pouvoir, il a promis une grande réforme agraire dans un pays où 90% des terres appartiennent à 2% de la population. Mais le partage du pouvoir avec la droite libérale et la faiblesse de l’État ont endigué les réformes. Seules 5% des terres ont été redistribuées. Les paysans déçus perdent espoir et patience. La tension monte, alimentée par des leaders paysans vindicatifs comme Victoriano López, incarcéré en mai.

Un conflit agraire qui dure

Cette crise politique est donc intrinsèquement liée à la crise agraire. La Paraguay, comme de nombreux pays d’Amérique latine a hérité d’un système agraire latifundiste, c’est-à-dire structuré par d’immenses propriétés aux mains des descendants européens exploitant la main-d’œuvre locale.

Aujourd’hui, il y a d’un côté les petits propriétaires et les carperos, « ceux qui vivent sous tente » littéralement. Ces derniers, d'origine indigène, vivent de la polyculture vivrière ou du petit élevage. D'autre part, les gros propriétaires font de l’agrobusiness et accaparent des terres arables pour la monoculture du soja, du blé et la plantation d’eucalyptus.

Le conflit agraire oppose les brasiguayos aux carperos. Les brasiguayos – ni brésiliens ni paraguayens - comme Tranquilo Favero sont des entrepreneurs brésiliens installés à la frontière paraguayenne en raison du moindre coût du foncier et des impôts. Les carperos sont surtout installés à l’est du pays dans les mêmes régions que les brasiguayos autour de Ñacunday. Ils se sont réunis en syndicats et occupent les terres illégalement pour leurs élevages. Ils revendiquent ces terres comme communes car tenues par l’Etat. Or, celui-ci a souvent revendu les terres aux grands propriétaires pendant la dictature. L’État n’arrive pas à surmonter le problème dans cette région de non-droit, peu peuplée, où le cadastre est immense.

Le Honduras avait subi en 2009 un coût de force similaire. On assiste à une « droitisation » du sud de l’Amérique latine, après la vague socialiste qui avait submergé le Cône sud avec la fin des dictatures dans les années 1990 et 2000. Le Chili, l’Uruguay et le Paraguay désormais. Cela n’augure rien de bon pour la réduction des inégalités sociales et foncières dans la région.

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Manon Duret
Rédactrice pour le Journal International, passionnée d'histoires et de géographie, je suis... En savoir plus sur cet auteur