Pérou : les anciens présidents dans la tourmente

Sylvain Godoc, correspondant à Lima, et Alonso Flores
11 Novembre 2013



Les trois anciens présidents du Pérou, Fujimori, Toledo et Garcia font parler d’eux, et pas forcément pour les meilleures raisons. Dans un pays où la confiance en les dirigeants se perd, les scandales judiciaires n’aident pas à redorer l’image que les Péruviens se font de la politique. Analyse.


Alejandro Toledo et Alan García | Crédits Photo -- Presidencia Perú
Alejandro Toledo et Alan García | Crédits Photo -- Presidencia Perú
Les journaux péruviens se délectent. Chaque jour ou presque, le choix de la Une est à faire entre trois visages : Alberto Fujimori, Alejandro Toledo ou Alan Garcia.

Alberto Fujimori, oscar du meilleur acteur

Président du 28 juillet 1990 au 22 novembre 2000, il se présente à ses différentes convocations judiciaires tel une victime, un pauvre hère mal coiffé, à la tenue mal ajustée et portant avec peine son appareil à tension. Le procès actuel lui sert de vitrine, alors qu’il purge déjà 25 ans de prison pour crimes contre l’humanité. Une vitrine pour obtenir l’indulgence des juges ? Peut être. Toutefois, l’objectif principal de la manœuvre serait plutôt d’apitoyer les citoyens péruviens, encore nombreux à le soutenir et à demander sa remise en liberté. Preuve en est de l’influence persistante du fujimorisme dans le jeu politique péruvien : la présence de la fille d’Alberto, Keiko Fujimori, au second tour de l’élection présidentielle 2011. Le mauvais état santé d’Alberto Fujimori peut être remis en doute lorsque les images des caméras de surveillance de son hôpital le montre en train de s’énerver avec force contre une infirmière.

Cet énième procès qu’Alberto Fujimori veut transformer en grand théâtre est celui des Journaux Chicha. Il lui est reproché d’avoir détourné 122 millions de sols (soit 43 millions de dollars) durant ses deux mandats afin de pouvoir contrôler le contenu des journaux à sensation « El Chino », « El Men », « El Tio », « La Chuchi », « El Mañanero », « Más » et « El Chato ». Le but de la manœuvre aurait consisté à attaquer ses rivales politiques avec un moyen de pression, une presse, en apparence seulement, indépendante. Bien que le jugement soit sans cesse reporté pour « raisons médicales », le procureur a sollicité 8 ans de prisons et une réparation civile d’1 million de dollars.

Alejandro Toledo, l’homme des contradictions

Président du 28 Juillet 2001 au 28 Juillet 2006, l’homme fort de Perú Posible, Alejandro Toledo, paraît n’avoir plus toute sa tête. Ses déclarations successives dans l’affaire Ecoteva sont pleines de contradictions. Qu’est ce que le cas Ecoteva ? La belle mère de Toledo, Eva Fernenburg, a créé une entreprise l’an dernier dénommée Ecoteva, sur le sol costa-ricain avec un fond de 17 millions de dollars venant d’après ses dires de Yosef Maiman, un entrepreneur israélo-péruvien ami de la famille. Avec cette compagnie, Mme Fernenburg a acheté deux propriétés : une maison à 3,8 millions de dollars et des bureaux à 882.000 dollars. Les fonds de cette entreprise ont également permis de payer les hypothèques de deux maisons appartenant à l’ex président Toledo. Entendu par le pouvoir judiciaire et par la commission fiscale, il est mis en examen pour enrichissement illicite.

Dans cette affaire, beaucoup de questions restent sans réponse. Et l’ex président Toledo ne fait rien pour nous éclairer avec ses déclarations confuses à propos de l’achat de la maison à 3,8 millions de dollars par sa belle-mère. Dans un premier temps, il a assuré que la maison avait été « acquise grâce à l’argent de toute une vie ». Une fois l’existence d’Ecoteva révélée, il a soutenu que Yossef Maiman avait prêté de l’argent à sa belle-mère s’excluant des négociations. Enfin, continuant à nier un quelconque lien avec Ecoteva, il a admis qu’il a fait office d’agent immobilier auprès de Yossef Maiman pour lui trouver des maisons « comme possibilités d’investissement ».

De ces déclarations ont surgi de multiples doutes sur la provenance de l’argent. Toledo affirme que ses premières versions « n’étaient pas contradictoires mais juste un manque d’information », demandant au Pérou « milles excuses du plus profond de son cœur » tout en se défendant d’avoir agi contre la loi. Sa femme, l’anthropologue belge Elian Karp, est elle aussi interrogée par les mêmes instances. En face de la Commission déclarant de manière pédante, elle provoque : « Si vous ne me comprenez pas [mes propos], je peux demander un traducteur ou nous pouvons écouter votre français et on verra comment vous vous débrouillez ».

Alan Garcia, le présumé ami des narcotrafiquants

Président à deux reprises, à la fin des années 1980, puis en 2006, le dirigeant de l’APRA péruvien navigue lui aussi en eaux troubles, bien que plus claires que son homologue Fujimori. Alan Garcia est accusé par la Mega-Commission d’enquête d’avoir accordé des grâces présidentielles, à tour de bras durant son second mandat, négociées autour de 5 à 10 mille dollars par année de moins en prison, peu importe le délit. Le ministère de la Justice aurait ainsi amnistié des groupes entiers de personnes du jour au lendemain. De nombreux narcotrafiquants en auraient profité grâce à leurs réseaux et leurs grandes ressources financières.

Carlos Butrón Dos Santos, aussi appelé « Brasil », avait en premier lieu témoigné en ce sens. Or, il clame maintenant devant les caméras qu’il a été manipulé. Lisant à chaque intervention le même papier, il affirme désormais avoir subi la pression de Sergio Tejada, congressiste et président de la Mega-Commission. « Brasil » évoque même avoir reçu des menaces de mort afin qu’il témoigne contre Alan Garcia. De l’autre coté, Guillermo Chanján, avocat d’un témoin contre Alan Garcia, affirme avoir reçu une offre de 250.000 dollars pour acheter son silence et la rétractation de son client sur ses dénonciations. Cette offre aurait été émise par Aurelio Pastor, ministre de la Justice durant le mandat d’Alan Garcia. Qui croire dans ce grand cirque politique ?

Le régime péruvien en perte de confiance

En attendant les dénouements de ces deux ultimes affaires, un problème structurel du régime présidentiel péruvien peut être soulevé: celui des Commissions d’enquête du Congrès. Aux Etats-Unis, régime présidentiel, ces Commissions sont monnaie courante et servent à juger les dirigeants en place. Au Pérou, le seul texte qui les codifie est la vieille Constitution de 1993, écrite du temps de la quasi-dictature fujimoriste. Fujimori voulait s’en servir comme moyen de contrôle politique pour éliminer ses adversaires. « Paradoxalement, les commissions parlementaires font partie du système présidentiel. Dans ce sens, elles ressemblent souvent à un outil politique contre l’adversaire du moment de la part des gouvernements. Cependant, elles réalisent, dans le cadre de d’une plus grande pluralité politique et d’une surmédiatisation, des enquêtes vis à vis d’acteurs politiques puissants, notamment d’anciens présidents qui ne sont pas dénoncés ou enquêtés par le système judiciaire », nous explique Morgan Quero, professeur chercheur actuellement en poste à la PUCP de Lima. Les contours de la mise en application de ces commissions sont flous.

Et ses jugements ne sont qu’un avis consultatif. Cela permet à Toledo ou Garcia de contester une autorité du Congrès qui, de jure, n’existe pas et qui, de facto, a du mal à s’imposer.

Ces affaires contribuent de plus en plus à décrédibiliser la scène politique péruvienne. Une véritable paranoïa est en train de naître et certains congressistes parlent de proposer une loi obligeant le président sortant à rester 1 an sur le sol péruvien, le temps qu’une Commission d’Enquête examine son mandat. Garantie d’un bon fonctionnement démocratique, la confiance, déjà fortement entamée, continue de se briser, c’est tout le système qui pourrait en pâtir et les conséquences seraient alors imprévisibles. Au-delà des spéculations, le 4 Novembre, Ollanta Humala, le président actuel, a reconnu l’évidence : toutes ces affaires mettant en cause des anciens présidents ne donnent évidemment pas une bonne image du Pérou sur la scène internationale.

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