"Pieta" : un potentiel gâché

Colomba Poinsignon
14 Avril 2013



Malgré son Lion d’or au festival de Venise, le film accumule les lourdeurs et les banalités qui annulent l’effet de quelques détails réussis.


"Pieta" : un potentiel gâché
Pieta de Kim Ki-duk aurait pu être un bon film. Le sujet s’y prêtait : un homme seul, engagé pour récupérer de l’argent auprès d’ouvriers endettés, qui les mutilent pour que l’assurance rembourse leurs dettes, la vengeance d’une mère éplorée, tout cela arrosé de préoccupations sociales et d’aura religieux. On s’attendait à une fresque sociale dans ce pays que nous connaissons peu, la Corée du Sud, à laquelle s’ajoutait une dimension universelle de bien contre le mal et de rédemption christique. À la place, nous avons un scénario figé qui se déroule selon les mécanismes lourds du héros mauvais qui devient gentil. Le Bien et le Mal sont d’emblée des thèmes du film, notamment par une violence ultra présente. Mais ces notions sont difficiles à aborder sans tomber dans le cliché manichéen du combat entre gentils et méchants, surtout si la lutte se fait au sein même d’un personnage. Le personnage principal, Kang-do, passe de l’un à l’autre sans raison, il nous apparaît tout en surface alors même que la mise en scène cherche à donner une profondeur christique à son évolution, sans qu’on ressente quoi que ce soit.

Et c’est bien là le problème majeur du film : on ne ressent rien alors que les cris, les larmes, les gémissements de douleur des personnages, omniprésents, sont là apparemment pour nous faire entrer en empathie avec leur souffrance. Le film oscille entre une violence gratuite, fortement suggérée et presque insupportable, des passages burlesques et des séquences d’émotion sans donner aucune cohérence à tout cela. Le mélange des genres et des styles est un art particulier que tout le monde ne peut maîtriser avec brio. Il déconcerte ici le spectateur et lui donne une distance critique sur cet enchevêtrement sans âme de formes cinématographiques. Le pire est peut-être cette musique qui démarre au moment où nous devons ressentir quelque chose. Sans charme, elle vient soutenir une image faible ou une scène sans intensité dramatique, manipulant le spectateur à qui on dit ainsi ce qu’il doit ressentir. On pourrait citer encore l’utilisation du zoom, comme pour faire cinéma documentaire ou cinéma direct, en plein milieu du film, sans qu’on retrouve cette forme ailleurs. Rien ne le justifie : il est là gratuitement, pour faire joli, pour donner de la force à une scène faible et attendue : on a un fils abandonné, une mère qui revient, il faut forcément un complexe d’Œdipe à un moment donné.

Pourtant, le film possède un potentiel énorme. Le montage de la rencontre entre Kang-do et sa mère est brusque, des points de vue inédits nous apparaissent et nous surprennent, c’est véritablement une scène chorégraphiée. Mais tout le reste du film est monté sans soin particulier, les cadres se réduisant à des têtes qui parlent et expriment leur situation par des phrases dont la seule valeur est d’être informative. De nombreux échos jalonnent pourtant le film, notamment avec la présence de gros plans qui viennent ponctuer la rédemption du personnage, avec un vrai travail sur les matières et les gestes précis. Mais le travail semble commencé et non abouti : la dernière scène est très belle mais les échos sont tellement brouillés par des dialogues inutiles et des scènes mélodramatiques redondantes, qu’elle n’a pas de force particulière. La dernière image, un camion qui s’éloigne sur une grande route vide répandant une trainée rouge (Kang-do se suicide en s’attachant au camion de la femme d’une de ses victimes), est parfaite, sauf que l’unité de tout le film derrière lui manque. Elle est froide alors qu’elle aurait pu être intense, comme le film dans son ensemble. On ne sait où se placer et rien ne ressort de cette incertitude : veut-on nous manipuler en nous montrant des gémissements et des larmes, veut-on nous faire ressentir la froideur de la rédemption de Kang-do par la vengeance d’une autre, ou veut-on symboliser l’immensité de l’amour d’une mère (pour son fils, puis pour le meurtrier indirect de son fils) ? Dans tous les cas, c’est un échec.

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