Quand l’éthique des industriels mettra fin aux conflits en Afrique

8 Février 2013



Le Nord Kivu, région de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), est en proie depuis plusieurs années à un conflit entre des groupes rebelles et l’armée congolaise, avec en toile de fond l’exploitation des ressources minières de tantale et de cassitérite. Retour sur la campagne Raise Hope for Congo et son classement des entreprises de l’électronique, selon leur prise de conscience pour l’achat plus responsable de leurs matières premières.


M23 troops Bunagana, Al Jazeera, source: Flickr
M23 troops Bunagana, Al Jazeera, source: Flickr


En 2006 est créé le projet « Enough ! » (Assez !) aux Etats-Unis par deux experts du Center for American Progress, un think tank américain. Le but d’Enough ! est de mettre fin aux génocides et crimes contre l’Humanité et d’informer sur les atteintes aux droits de l’Homme au Soudan, Soudan du Sud, Congo, Somalie et autres régions d’Afrique touchées par l’Armée de résistance du seigneur (LRA), groupe de rebelles ougandais, dirigé par le très-recherché Joseph Kony.

Dans le cadre de ce projet a été lancée la campagne Raise Hope for Congo. Celle-ci est axée sur la défense des droits humains en République démocratique du Congo (RDC), et sur les moyens de mettre fin au conflit dans l’est du pays. Des recherches sont faites sur les exactions commises en RDC et des recommandations législatives sont proposées au gouvernement américain. 

L’autre but de cette campagne est de publier un classement des entreprises du monde de l’électronique, ayant une part de responsabilité dans le conflit engendré par l’exploitation des minerais dans les mines de l’est du pays. Ces entreprises sont impliquées dans l’achat de matières premières à des sous-traitants, telles que le tantale (servant notamment à la fabrication d’ordinateurs), dont l’argent récolté sert de base économique au conflit en RDC. Ainsi, le classement repose sur le concept de responsabilité sociale des entreprises (RSE), l’idée que celles-ci doivent être plus impliquées dans la chaîne d’approvisionnement de leurs produits et des matières premières utilisées, et changer leur comportement dans le respect des droits de l’Homme, du droit du travail, de l’environnement etc. 

Sortir nos gadgets du conflit

Le classement réalisé par Raise Hope for Congo a pour but d’informer les consommateurs et les pousser à effectuer des achats plus responsables. C’est la deuxième année qu’il est effectué. Il est intégré dans un rapport d’une dizaine de pages intitulé : « Taking conflict out of consumers gadgets. Company rankings on conflict minerals 2012 » (« supprimer le conflit des accessoires des consommateurs. Le classement des entreprises sur les minerais responsables de conflit en 2012 »). On y trouve les plus grandes entreprises de l’électronique, classées selon leurs efforts pour tracer l’origine des minerais utilisés dans la fabrication de leurs produits, auditer les sous-traitants, et acheter et investir dans des matières ne provenant pas de conflits. Ce « guide du consommateur » pointe du doigt le comportement de ces entreprises, montre si elles ont pris des résolutions envers des achats plus « responsables », et si elles cherchent à réduire leur rôle dans les conflits miniers (et ainsi aider à développer un commerce des minerais « propre »).

24 entreprises sont listées, appartenant à cinq secteurs : l’informatique (Apple, Microsoft, Dell, Acer…), la téléphonie (Samsung, Nokia, Motorola…), l’électronique de loisir (Panasonic, Philips…), la photographie (Canon, Nikon…), les jeux vidéo (Nintendo). Celles-ci sont classées selon trois catégories. La première met en avant celles qui ont pris des mesures pour « tracer et auditer leurs chaînes d’approvisionnement, ont contribué à [modifier] certains aspects de la législation (…), ont commencé à aider le Congo à développer un commerce propre », et dont l’acquisition de matières premières provenant du commerce dit propre se fait à 30% ou plus. Au nombre de 13, deux seulement atteignent plus de 50%, et sont pionnières en la matière : ce sont les premières entreprises à avoir pris conscience du rôle des industriels dans des conflits en Afrique, dans une démarche de responsabilité sociale.

Entre 11 et 29%, six entreprises ont commencé à chercher d’où provenaient leurs matières premières, mais leurs efforts ne sont pas significatifs. À moins de 10%, en bas du classement, ces cinq entreprises n’ont fait que très peu voire rien pour améliorer leurs pratiques. La dernière du classement, du monde des consoles de jeux vidéo, qui y fait son entrée cette année, est à 0%.

D’autres entreprises concernées qui ne figurent pas dans le classement sont citées dans le rapport, car utilisant ce genre de matières premières mais n’ayant pas fait ou pas suffisamment d’efforts dans le domaine. Elles font notamment partie du monde de l’automobile, de l’aéronautique, de la joaillerie, et des mines. Le rapport se termine avec une liste de six recommandations pour les industriels, et les critères sélectionnés pour effectuer le classement.

Grâce aux efforts des industriels, les membres du projet Enough relève que les revenus des mines détournés par les groupes de rebelles au Nord Kivu, notamment le mouvement M23 formé au Rwanda, ont baissé. Le but à terme est de développer, grâce à l’aide d’un groupe d’industriels, une chaîne d’approvisionnement sûre, où les minerais vendus ne proviendraient que de mines non illégales et dont les revenus n’alimenteraient pas le conflit en RDC.

« Enough ! » n’est pas le seul projet ayant travaillé sur cette problématique : Greenpeace publie le classement des appareils électroniques verts, et Newsweek celui des entreprises vertes.


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Laura-Lise Reymond
Ex-responsable du pôle traduction et rédactrice à ses heures perdues. En savoir plus sur cet auteur