Réfugiés syriens : l’abandon controversé des pétromonarchies du Golfe

Valentine Ouaki
29 Septembre 2015



À l’heure où des centaines de milliers de réfugiés syriens tentent toujours la montée vers l’Europe, et où l’Union européenne s’efforce malgré les divergences d’établir une politique cohérente face à cette crise humanitaire sans précédent, le silence des puissances pétrolières du Golfe et même leur refus d’accueillir les réfugiés syriens sur leur sol font polémique. Retour sur l’origine de cette réticence.


Détournement de la photo d’Aylan, échoué devant Doha, la capitale du Qatar
Détournement de la photo d’Aylan, échoué devant Doha, la capitale du Qatar
Face à ceux qui considèrent que l’aide humanitaire accordée par les gouvernements des États du Golfe est insuffisante, ces derniers se défendent en montrant qu’une aide financière conséquente est tout de même accordée aux réfugiés syriens par le biais d’ONG et de donations des Nations Unies. Depuis 2011, ces pays leur auraient fourni 900 millions de dollars. Il y a quelques jours, un journal libanais a dévoilé que l’Arabie Saoudite aurait proposé de financer la construction de 200 mosquées en Allemagne, pour permettre aux nouveaux arrivants syriens d’exercer leur culte dans le pays. Pourtant, mis à part ces aides et les liens linguistiques et religieux qu’ils partagent avec les populations syriennes, les pays du Golfe n’accueillent aucun réfugié. Ceux-ci sont contraints de s’entasser depuis 2011 dans des camps de réfugiés en Turquie, au Liban et en Jordanie, et commencent à affluer vers l’Europe de l’Ouest, notamment vers l’Allemagne, l’Angleterre, la France ou la Belgique.

L’inexistence du concept de réfugiés

Une des raisons pour lesquelles les pays du Golfe persique – dont l’Arabie Saoudite, le Koweït, le Bahreïn, le Qatar, les Émirats Arabes Unis et Oman font partie – ont décidé de fermer la porte aux réfugiés syriens, serait que le concept de réfugié est totalement absent de leur politique. Les États arabes du Golfe sont en effet entre les rares pays n’ayant pas signé la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951, document-clé ayant permis l’établissement de droits des réfugiés et d’obligations légales des États signataires. Les monarchies du Golfe n’ayant ainsi aucune obligation envers les réfugiés, elles ne réalisent pas de distinction entre les statuts de migrants, et n’accordent donc aucun traitement de faveur envers ceux ayant le statut de « réfugié » selon la convention, et les considèrent comme de simples « résidents ».

La peur d’un bouleversement de leur équilibre

La proportion d'étrangers dans la population des pays du Golfe atteint des niveaux inégalés par rapport au reste du monde. L’accroissement des revenus pétroliers a eu pour conséquence un recours massif à l’immigration de travail. Dans certains de ces pays, la population nationale est même devenue minoritaire. C’est le cas du Qatar et des Émirats Arabes Unis, pour lesquels la population étrangère représentait en 2010 près de 90 % de la population totale, ou encore au Koweït, avec une proportion de près de 70 % de la population totale. Les pays du Golfe connaissent ainsi déjà un équilibre démographique précaire et craignent d’être submergés par les réfugiés. 

La réticence à accueillir des réfugiés syriens sur leur sol serait aussi due à une peur que cet accueil d’Arabes politisés par le conflit syrien provoque l’importation d’idées subversives, et par conséquent des soulèvements dans des pays moins politisés tels que ceux du Golfe Persique. Les États du Golfe sont en effet les nations les plus stables de la région, et s’impliquer dans l’accueil de réfugiés pourrait mettre en péril cette stabilité. 

L’implication des pays du Golfe dans les affaires politiques de la Syrie – avec le financement et l’armement de groupes rebelles sunnites afin de déstabiliser le régime de Bachar El-Assad – les rend partisans, et l’accueil de réfugiés de Syrie pourrait fragiliser leur équilibre sécuritaire. Ils pourraient craindre l’infiltration de membres de l’État Islamique parmi les réfugiés syriens, et provoquer un accroissement des risques d’attentats terroristes sur leur sol.

Un système actuel de gestion des migrations qui fait polémique

Les États du Golfe accueillent déjà des travailleurs étrangers – la plupart en provenance d’Asie du Sud –, et ont également accueilli depuis 2011 quelque 500.000 Syriens en qualité de travailleurs immigrés. Mais la présence de Syriens parmi leurs immigrants est vue par certains comme une immigration purement économique, donc choisie. La condition pour avoir la possibilité d’entrer est de bénéficier d’un visa touristique ou d’un permis de travail, cependant des restrictions rendent leur obtention très difficile pour les Syriens. La protection des travailleurs immigrés sur place est aussi très mauvaise, notamment due au système de la « kafala » qui place ces personnes sous la domination totale de leur employeur, les empêchant ainsi de changer d’emploi avant la fin de leur contrat. Mais d’autres abus sont aussi dénoncés comme des cas de non-paiement des salaires, de confiscation des passeports ou encore de travail forcé. 

Pourtant, la situation économique de la région des pays du Golfe est très bonne, et accueillir plus d’immigrés n’affecterait en rien leur marché. D’après un rapport du World Economic Forum de 2014-2015, ces États se hissent en haut du classement en termes d’innovation, du marché de l’emploi ou de la santé. Ainsi, les Émirats Arabes Unis se situent à la 12ème place du classement, et le Qatar en 16ème position. Les ressources en hydrocarbures des pays du Golfe leur permettent de soutenir des initiatives économiques qui stabilisent la région. Ce sont devenus des acteurs incontournables de l’économie mondiale. 

Les puissances pétrolières du Golfe seraient aptes à recevoir un grand nombre de réfugiés. L’Arabie Saoudite accueille chaque année entre 2 et 4 millions de pèlerins à l’occasion du grand pèlerinage de La Mecque. Des tentes tout confort sont levées dans la cité de Mina sur près de 20 kilomètres carrés, et ce pendant seulement cinq jours. 

Installation de tentes à Mina en Arabie Saoudite pour accueillir les pèlerins de la Mecque. Crédit Akram S. Abahre
Installation de tentes à Mina en Arabie Saoudite pour accueillir les pèlerins de la Mecque. Crédit Akram S. Abahre
Malgré la possibilité d’un bouleversement de l’équilibre démographique, il n’y a aucune possibilité d’une saturation démographique dans les pays du Golfe. Ces régions restent en effet parmi les moins peuplées du monde. L’Arabie Saoudite en est l’exemple le plus frappant, avec une densité d’environ 14 personnes/km2, l'élevant au 169ème rang dans le classement mondial. 

Les réticences des monarchies pétrolières du Golfe semblent ainsi inadéquates au vu de leur capacité à accueillir des réfugiés syriens sur leur sol. Des pays arabes plus pauvres comme la Turquie, le Liban ou la Jordanie ont pour leur part accepté l’entrée de réfugiés. Devant la situation actuelle, il est devenu d’autant plus nécessaire que les pays du Golfe s’impliquent entièrement dans l’aide aux réfugiés syriens du fait de leur proximité avec la Syrie et des liens culturels qui les unissent, et ceci autrement qu’en leur fournissant une simple aide économique. 

Notez