République tchèque : carte postale de Bohême

Prague et la Bohême du Sud

Iris Vigier
11 Décembre 2013



Pour parler de l'Europe centrale et de son histoire, Milan Kundera, célèbre auteur tchèque, évoquait un « Occident kidnappé ». Intriguée par ces possibles ressemblances et lasse de me contenter de préjugés, je me dirigeais donc vers la Tchéquie d'un pas décidé. Récit.


Crédits photo -- Marine Vigato/Le Journal International
Crédits photo -- Marine Vigato/Le Journal International
A ma grande surprise, ce pays est la cible d'un tourisme de masse. Malgré cela, Prague réussit encore à préserver des endroits véritablement typiques, laissant à chaque visiteur un goût d'inédit. Dans un cadre encore préservé, le reste de la République tchèque recèle de secrets pour qui veut bien s'aventurer à les découvrir. Derrière une capitale en constante ébullition se cache un pays qui m'a plu au premier coup d'œil. La Tchéquie fait évoluer sans conteste les préjugés sur l'Europe centrale et laisse un souvenir indélébile à quiconque la traverse.

Prague, chef d'œuvre historique et architectural

Crédits photo -- Marine Vigato/Le Journal International
Crédits photo -- Marine Vigato/Le Journal International
La beauté de Prague est perceptible dès l'entrée dans la « Ville Dorée ». La lueur de la brique rouge des toits se mêle aux vieilles pierres en se reflétant dans le fleuve Vltava qui divise la ville en deux. Une vingtaine de ponts parcourent ainsi Prague, permettant de passer d'une rive à l'autre en un instant. Le plus connu d'entre eux, le Pont Charles ou Karlův Most, véritable symbole de la ville, est le plus animé. Musiciens, chanteurs, caricaturistes et photographes se retrouvent sur ce lieu de passage incontournable pour les touristes. Les promeneurs qui cherchent à rejoindre le quartier de Malá Strana, qui borde le quartier du château, à la Vieille ville se joignent aussi à eux. En plein mois d'août, la foule y est dense et le passage parfois laborieux. Les touristes s'y pressent pour profiter d'une vue imprenable sur une grande partie de la capitale tchèque. S'y rendre la nuit permet d'avoir une vue spectaculaire du château éclairé.

De Malá Strana, je me rends sur la presqu'île de Kampa, séparée de la ville par un bras de la Vltava. Là-bas, je trouve encore deux passages obligés pour les touristes : le mur John Lennon, symbole de la résistance de la jeunesse tchèque au communisme, et le parc qui est l'occasion de chiller (comprendre se reposer, discuter avec des amis). Au delà des « attractions touristiques », Malá Strana a lui aussi son lot de surprises. Ainsi, on peut croiser la statue un peu kitch de l'ondin qui fume sa pipe sur la roue d'un moulin. Cette dernière est dissimulée derrière les centaines de cadenas accrochés sur la grille du pont, juste sur le chemin menant au mur John Lennon. On trouve aussi des bébés noirs au visage étrangement enfoncé et en forme de code barre qui se tiennent à quatre pattes. C'est l'œuvre de l'artiste contemporain tchèque le plus connu dans le pays : David Černý.

C'est aussi le quartier idéal pour trouver un hôtel ou une auberge. Très bien desservi, il donne parfois l'impression d'être un petit hameau calme à quelques mètres de l'agitation de la ville. Pendant les vacances d'été et d'hiver, la grande place de Kampa est utilisée pour des manifestations aussi diverses qu'un marché français pour le 14 juillet, des concerts ou un marché de Noël.

Non loin de Malá Strana, et accessible à pied, se trouve l'une des merveilles architecturales de la ville : le complexe du Château de Prague (Pražský hrad). Dominant l'ensemble de la capitale, ce château, construit sur la colline de Hradčany m'a permis de découvrir Prague sous un nouvel angle. Mes pas m'ont ensuite mené vers la magnifique Cathédrale Saint Guy (Katedrála svatého Víta) et j'ai pu passer devant la résidence officielle de Miloš Zeman, premier président de République tchèque élu au suffrage universel direct. La singularité de l'uniforme de la garde présidentielle m'a sauté  yeux. Contrairement aux tenues militaires de la garde d'autres pays, quand les Tchèques ont dû revoir leurs uniformes à la chute du communisme c'est Theodor Pištěk, ami de Havel et costumier pour le réalisateur Miloš Forman, qui fut chargé de créer les nouveaux uniformes. Avant de quitter le quartier, je décidai de m'aventurer dans la mystique Ruelle d'or (Zlatá Ulička). Source d'inspiration pour de nombreux artistes et artisans, cette rue aux maisons miniatures vaut réellement le détour.

Prague dispose d'un réseau de transports extrêmement bien fourni, et pourtant rien ne vaut une bonne marche pour s'aventurer à la découverte des ruelles de la ville. Ici à un pas d'une artère répertoriée par les guides touristiques et fréquentée par la masse des touristes, une minuscule rue déserte abritera une galerie de photographies, un café au calme avec des prix abordables, un petit parc...

La ville aux cents clochers

Crédits photo -- Marine Vigato/Le Journal International
Crédits photo -- Marine Vigato/Le Journal International
En arrivant à Prague, je fus surprise par le nombre d'édifices religieux. La Tchèquie n'est-elle pas le pays d'Europe où l'athéisme est le plus répandu ? La vieille ville regorge d'églises baroques, témoignant du rôle de Prague dans la contre-reforme catholique au XVIe siècle. Après mes visites, je me suis rapprochée d'une centaine d'autres voyageurs en face de l'Horloge astronomique pour attendre que sonne l'heure. Au grand dam des pragois, cette dernière s'anime et cela donne lieu à de grands rassemblements de touristes prêts à attendre plus de vingt minutes que sonne l'heure pile. Pas forcement le sentiment le plus agréable mais il faut au moins l'avoir vu une fois !

De passage dans la vieille ville, un petit tour par la place Venceslas s'imposait. Désormais considérée comme les Champs Élysées tchèques, cette place a une forte valeur symbolique. C'est sur cette dernière qu'étaient organisés les premiers grands rassemblements de la Révolution de Velours. C'est aussi là qu'Havel prononça plusieurs de ses discours. Néanmoins, j'ai rapidement remarqué qu'en soirée cette place et les environs se transforment en haut lieu de la prostitution pragoise. Le plus grand « cabaret » de Prague, le Darling, ne se trouve qu'à quelques mètres. La police tchèque, semblant consciente du problème, s'est donc installée dans les alentours. Néanmoins, c'est paradoxalement un nouveau bordel qui loue les étages supérieurs de l'hôtel de police. De quoi laisser perplexe.

Prague, la Belle de nuit

Une fois la nuit tombée, Prague, la ville historique, se fait étonnamment oublier pour devenir une véritable capitale de la fête. Comme me l'avaient certifié mes amis tchèques, c'est du côté de la vieille ville que la plupart des activités nocturnes se déroulent. Au delà du Klub Karlovy lázně, la plus grande boite de nuit d'Europe centrale que l'on ne présente plus, il est possible de trouver de nombreux lieux pour faire la fête. Dans une ambiance décontractée du Popo Cafe Petl, j'ai pu boire une bière pour une poignée de couronnes seulement.

À quelques pas de là, la rue Dlouhá rassemble un très grand nombre de lieux nocturnes. Les bars James Dean et Harley's nous plongent respectivement en plein cœur des années 1950 et 90. En se baladant dans les quartiers étudiants tels que Žižkov, il est aussi possible de trouver des lieux surprenants et moins chers que les bars que l'on rencontre dans le centre. C'est par exemple le cas de Big Lebowski où j’ai payé le prix que j'estimais juste pour ma consommation.

Bien que l'autre rive soit moins connue pour sa vie nocturne, j'ai malgré tout décidé de m'y rendre. Ainsi, le Bluelight bar, qui se trouve à proximité du Parlement, m'a permis de prendre un verre en compagnie d'hommes politiques tchèques venus se détendre après leur journée de travail. Amateurs d'art, vous pourrez rencontrer des artistes pragois comme David Černý en vous rendant à Mlýn, un bar situé dans un moulin de Malá Strana.. Et si, comme moi, la faim se fait sentir vers quatre heures du matin, pas de panique, la plupart des fast-foods sont ouverts toute la nuit et ne coûtent quasiment rien.

La Bohême du Sud, une région à ne pas manquer

Grâce au très bon réseau de bus et de train, il est aisé de découvrir le reste de la Tchèquie depuis Prague sans se ruiner. J'ai pour ma part choisi de me rendre en Bohème du Sud, considérée comme la région la plus belle du pays. Elle est aussi connue pour ses nombreux châteaux et ses petits villages de style « baroque rustique ».
 
La capitale administrative, České Budějovice n'est pas forcement le lieu où il faut s'attarder. Je me suis néanmoins arrêtée pour manger sur la jolie place Přemysl Otakar. J'en ai alors profité pour gouter au Kofola, substitut du Coca-Cola crée par les communistes pour remplacer la « boisson capitaliste ». Cette sorte de limonade aux plantes, peu à peu oubliée après la Révolution de Velours, revient aujourd'hui à la mode parmi les jeunes ou les nostalgiques. Servie en pression, elle était généralement donnée à boire aux enfants pour accompagner leurs parents qui buvaient une bière.
 
Forte de cette expérience, je suis partie à la découverte de la Bohême du Sud et de ses nombreux châteaux. Les deux édifices qui ont particulièrement retenu mon attention fut ceux de Český Krumlov et Hluboka, châteaux ayant tous deux appartenus à la famille Schwarzenberg. 

Paysages pittoresques et châteaux tchèques à perte de vue

Le premier que j'ai visité se trouve dans une ville au caractère saisissant classée au patrimoine de l'UNESCO. Désormais, plus personne n'y vit et l'ensemble des bâtiments est dédié au tourisme. Cela n'enlève pourtant rien au charme de cette petite ville entourée par la Vlatva que les plus sportifs parcourent en kayak. Aussi surprenant que cela puisse paraître, à l'entrée du château, les douves abritent des ours. Selon le folklore, ces derniers viendraient rappeler le lien de parenté que s'étaient inventés les propriétaires tchèques avec la puissante famille italienne des Orsini pour étendre leur pouvoir. Krumlov fascine aussi par son côté mystique. On raconte, en effet, qu'une Dame Blanche protectrice errerait dans le château. Cette dernière ne serait autre que Perchta de Rožmberk, une des reines mal aimées de la grande dynastie de Bohême. Il se murmure par ailleurs qu'elle serait apparue plusieurs fois au sein du château.

A quelques kilomètres de là, le château d'Hluboka n'attendait plus que moi. Arrivant malheureusement trop tard pour le visiter, je pus malgré tout admirer sa façade extérieure et ses somptueux jardins. D'un style néo-gothique et d'une austérité remarquable, il ne ressemblait en rien aux châteaux que j'avais pu voir jusque-là.
Le château d'Hluboka | Crédits photo -- Marine Vigato/Le Journal International
Le château d'Hluboka | Crédits photo -- Marine Vigato/Le Journal International

J'ai finalement décidé de terminer mon périple par la ville de Tábor. Si en y pénétrant, l'atmosphère m'a rappelé un tranquille village de province, la grande statue de Jan Žižka trônant sur la place centrale m'évoqua rapidement le rôle clef de la ville durant la Révolution Hussite qui secoua l'Europe au XVe siècle.

Le soir de mon arrivée nous étions mercredi et comme chaque mercredi d'Été, un concert gratuit était donné. Le coucher de soleil mélangé à la musique traditionnelle transformait la ville. Les femmes dansaient pieds nus au milieu de la place, entrainant avec elles quelques enfants prêts à se donner en spectacle au public dont je faisais partie. Les sourires y étaient moins rares qu'à Prague et les habitants, toujours une bière à la main, semblaient plus enclins à se laisser aller.

Néanmoins, je me rendis compte que Tábor cachait un côté un peu plus sombre que ce que mes premières impressions m'avaient laissé entrevoir. Comme dans beaucoup de villes en République Tchèque, la fracture sociale est très nette entre les Tchèques et la minorité Rom. Ces derniers sont quasiment exclus de la vie sociale et vivent souvent en marge de la ville. Ainsi, à Tabor, ces derniers habitent majoritairement dans un quartier surnommé Fišlovka, que j'ai pu traverser, et n'en sortent que très rarement. Les propriétaires tchèques ont souvent déserté leur maison pour en acheter une autre un peu plus loin et les quartiers Roms se transforment souvent en véritables ghettos. Ainsi, la méfiance et la violence ont tendance à s'accentuer. Cela a récemment conduit à plusieurs manifestations anti-roms dans l'ensemble de la Bohème du Sud et à un climat social très austère.

Ambivalente et surprenante, la République Tchèque ne demande qu'à être (re)découverte. Son histoire et sa beauté, trop souvent masquées par le voile sombre du communisme, me rendaient, au départ, relativement sceptique quant à son potentiel touristique. C'est toutefois surprise et émerveillée que je reviens de mon premier voyage en Česká Republika.

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