Russie / USA : nouvelle guerre froide autour de l'adoption

Anastasia Apukhtina
21 Mai 2013



Avec la loi Dima Iakovlev, la Russie cherche à empêcher l'adoption d'enfants russes par des couples américains. Si les orphelins sont très nombreux dans le pays de Poutine, les finances publiques et le patriotisme empêchent ces enfants d'accéder à une vie meilleure.


Crédit Photo -- Reuters
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Le 28 décembre, le président russe Vladimir Poutine a signé la loi qui est une réponse politique à la « loi Magnitski », qui interdit aux Américains d'adopter des enfants russes. La loi Magnitski prive de visas les 18 fonctionnaires russes qui, selon les Etats-Unis, sont coupables de la mort du juriste Sergueï Magnitski dans une prison russe.
 
La loi dite « Dima Iakovlev », entrée en vigueur le 1er janvier 2013, contient aussi 18 personnes impliquées dans la violation des droits humains, selon la Russie. Elle prévoit l'interdiction de l'adoption d'orphelins russes par les citoyens, pas seulement les Américains, mais plus généralement originaires de tout pays qui viole le droit russe. Elle interdit également l'activité des ONG russes financées par l'étranger et qui pourraient constituer une menace pour les intérêts russes.

L'Etat a essayé de faire de Dima Iakovlev, un enfant russe de deux ans décédé en 2008 aux États-Unis à cause de l'inadvertance de ses parents adoptifs, un symbole de maltraitance des orphelins russes par les Américains. Entre 1992 et 2012, les Etats-Unis ont adopté environ 60 000 enfants. On connaît aujourd'hui 20 cas de décès. Et on reproche ces morts aux Américains, en oubliant le nombre d’enfants qui souffrent de crimes en Russie chaque année. La loi américaine a été élaborée pendant plusieurs mois. La loi russe en 18 jours. Elle a donc l'air d'être plutôt une vengeance subite qu'un acte réfléchi.

Une accumulation de chiffres difficilement vérifiables

Les médias sont criblés des données statistiques difficile à vérifier. Il n'existe pas de statistiques complètes sur le nombre d'orphelins en Russie. En mars 2013, le vice-premier ministre, Olga Golodets, a annoncé que le nombre d'orphelins en Russie atteignait jusqu'à 118 000 personnes. Le 26 mars, le ministère de l'Éducation et de la Science a publié un document en ligne, annonçant un chiffre encore plus grand : 122 351. En 2012, la tendance est à la baisse : en 2012 on a enregistré 74 724 enfants orphelins, contre 82 177 en 2011 et 93 806 en 2010.

Le nombre d'enfants adoptés a aussi diminué. En 2012, 58 824 enfants ont trouvé de l'aide en Russie, et seulement 2 604 ont été adoptés à l'étranger. 6 565 orphelins ont été adoptés en Russie. Mais l'adoption n'est pas le seul type d'aide possible : 37 300 ont été placés sous tutelle gratuitement, tandis que 15 000 ont été placés sous tutelle indemnisée, ce qui permet à la famille d'obtenir des subventions. Les États-Unis ont adopté 646 enfants, l'Italie 762, l'Espagne 502... Bien sûr, c'est beaucoup moins que les chiffres russes. Mais puisque le chiffre total de 122 351 d'enfants privés de soins parentaux demeure important, pourquoi empêcher les Etats-Unis d'adopter ces enfants ? 

Un système rigide

Aujourd'hui, on trouve presque 2 000 orphelinats en Russie. Leur nombre a beaucoup augmenté depuis la guerre, quand beaucoup d'enfants se sont retrouvés dans la rue sans parents ou sans père pour nourrir la famille. Ce n'est que dans les années 1940 que la recherche a commencé à montrer le côté sombre de ces orphelinats, néfastes pour le développement des enfants. En plus des maladies qui s'y développent, l'idéologie relative à l'éducation collective coïncide bien au système de foyers pour enfants en URSS.

Ce système reste très peu flexible. Trop d'enfants se font interner dans des asiles. Il n'y a pas assez de places pour les enfants ayant des difficultés d'apprentissage et du retard mental léger (tandis que la plupart des élèves d'orphelinats ont une certaine forme d'arriération mentale, faute de manque d'attention et de soin). Les enfants atteints de paralysie cérébrale et moteur, eux aussi, se retrouvent dans ces endroits inadaptés.

Aujourd'hui, alors que la société devient de moins en moins indifférente à la question des orphelinats, les internats sont plus ouverts à la presse et aux bénévoles. Cela représente une forme de contrôle publique – il devient plus difficile de cacher la vie dans l'orphelinat – mais c'est surtout une forme d'interaction avec le monde extérieur pour les enfants. Les bénévoles dans les internats sont nécessaires non seulement pour donner des performances et apporter des vêtements : chaque enfant a besoin de contacts personnels réguliers avec un adulte, qui sont très réduits dans les conditions d'internat. Faire des choses ensemble – jouer, parler, faire des devoirs régulièrement – lui permet de développer des acquis communicatifs. Compte tenu du nombre d'orphelinats en Russie, il est évident qu'il y a du travail pour tout le monde : pour des familles qui veulent adopter ou parrainer un enfant, pour des bénévoles, pour les Russes et pour les étrangers. Il paraitrait que tout type d'aide devrait être la bienvenue.

La petite monnaie de l'Etat

La première raison de la résistance des autorités russes est liée à l'argent. L'Etat donne des subventions pour chaque orphelin, et il n'est pas rare que l'argent destiné à un enfant se retrouve dans la poche de quelqu'un qui travaille au sein de l'internat. Les orphelinats sont corrompus comme beaucoup d'autres choses en Russie. On parle non seulement des petits vols de nourriture et de vêtements dans les orphelinats, mais aussi des fraudes plus remarquables avec le logement d'orphelins : selon la loi, chaque orphelin a le droit à un appartement, mais en réalité dans beaucoup de régions c'est devenu un business où l'appartement peut être vendu, loué ou occupé par des fonctionnaires municipaux ou l'administration des internats.

L'adoption est devenue une source de financement pour les familles ; l'Etat prévoit également des subventions pour les familles qui adoptent. Certaines familles prennent donc 2, 3, voire 4 enfants pour obtenir plus d'argent. Inutile de dire que la qualité de vie d'un enfant adopté dans ces cas-là n'est pas garantie. Les Américains, quant à eux, doivent payer jusqu'à 30 000 dollars  pour l'adoption d'un enfant russe et attendre plusieurs années.

La deuxième raison résulte d'un certain patriotisme, ajoutée à la méfiance anti-américaine, qui frise la paranoïa et qui prend ses racines à l'époque soviétique. On nous propose d'être contents avec l'idée que même s'ils meurent dans les orphelinats, au moins ils restent en Russie.

La troisième raison est politique. L'orgueil de la Russie a été touché par la loi Magnitski, et on a décidé de frapper en réponse. C'est pourquoi la loi de Dima Iakovlev est souvent appelée la loi anti-Magnitski. Il ne semble pas juste que les enfants deviennent la petite monnaie de l'Etat dans ces jeux politiques.

Il y a quelques jours, le 17 mai, la Douma a voté contre le projet de loi, élaborée sur la base de la pétition qui a collecté plus de 140 000 signatures contre la loi Dima Iakovlev sur le site de Novaya gazeta. Apparemment, il est très difficile pour le système d'admettre ses erreurs. 

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