Russie : orage sur la chaîne indépendante Dojd

Ekaterina Agafonova
11 Février 2014



En Russie l’unique chaîne de télévision indépendante Dojd est menacée de fermeture suite à une question incorrecte posée dans une émission du 26 janvier. Le pouvoir n’a pas raté l’occasion de se servir de cette maladresse.


© AFP
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Le 26 janvier 2014, la journée de la commémoration de la fin du blocus de Leningrad (Saint-Pétersbourg) ils étaient trois sur le plateau de l’émission hebdomadaire de la chaîne Dojd (en français : pluie) Les Dilettantes. Deux présentateurs et l’écrivain Victor Erofeev évoquaient les horreurs de cette période tragique. Pendant 3 ans, le siège de cette ville a entraîné des milliers de morts parmi les civils. Puis le sondage a été lancé. La question posée avait un air provocateur, « Aurait-il fallu céder Leningrad aux nazis pour éviter des milliers de morts parmi ses habitants ? ».

Une maladresse rédactionnelle qui n’a pas échappé à l’attention des députés du Conseil législatif de Saint-Pétersbourg qui ont annoncé le dépôt d’une plainte auprès du procureur général. L’un d’entre eux, Alexeï Makarov, cité par la chaîne, a même appelé ce sondage « la diversion provocatrice qui ciblait avant tout les cerveaux du public le plus important - les jeunes ». Dans la lettre au procureur, les députés ont demandé d’appliquer les sanctions les plus sévères à l’encontre de la chaîne tout en envisageant son éventuelle fermeture.

Le ministre de la Culture Vladimir Medinsky n’a pas voulu retenir ses émotions. Sur sa page Twitter il a publié la capture d’écran avec le sondage accompagnée du commentaire : « Je ne sais pas quoi dire. Ce ne sont pas des humains, ils sont inhumains ». Dmitri Peskov, attaché de presse de Vladimir Poutine, a précisé à un journaliste de la chaîne que le média « a dépassé toutes les limites morales » - ceci en précisant discrètement qu’il donnait son opinion en tant que spectateur ordinaire et pas en tant que porte-parole du président.

« La télévision indépendante en Russie est menacée d’extermination »

Il a fallu pourtant peu de temps pour comprendre que ces menaces ne se sont pas fait attendre. Quelques jours plus tard, plusieurs cablo-opérateurs ont annoncé l’arrêt de la diffusion de Dojd. Créée en 2010, cette chaîne n’a jamais été diffusée par satellite, mais a été lancée comme un projet de la télévision web en libre accès. Le coup a été rude pour le média. En septembre 2013, la chaîne avait changé sa stratégie économique en passant à la diffusion payante aussi sur internet.

La situation a atteint le plus haut degré de tension quand le plus grand cablo-opérateur, Trikolor TV, qui appartient à l’entreprise nationale de diffusion satellite et dont la clientèle compte près de 10 millions de ménages, a annoncé l’exclusion de Dojd de son bouquet à partir du 10 février. En réaction, Dojd a publié un communiqué titré « La télévision indépendante en Russie est menacée d’extermination » se disant victime de la poursuite « systématique et déterminée ».

« La chaîne ne pourra pas exister sans le budget publicitaire, et évidemment, nous n’aurons pas d’annonceurs si nous n’avons pas d’audiences suffisantes », explique la rédactrice en chef de Dojd, Natalia Sindeeva. Néanmoins sa position reste ferme : la fermeture de la chaîne est impensable. « Nous sommes sûrs que les opérateurs ont subi des pressions. De la part de qui? Nous ne possédons pas, bien évidemment, d’informations précises sur le sujet, nous ne pouvons pas donner des noms ou expliquer les raisons exactes », confirme l’investisseur de la chaîne Alexandr Vinokurov.

L’illogisme du pouvoir

Les Jeux olympiques, était-ils vraiment un prétexte pour la libéralisation de la politique en Russie ? « Vous voulez me demander si Vladimir Poutine est clément ? Ma réponse est - non! Quelqu’un va boycotter les Jeux olympiques à Sotchi? Et alors ? Poutine s’en fout tout simplement : dans les années 1980 les Etats-Unis ont boycotté les JO à Moscou, la Russie a boycotté les JO à Los Angeles [en 1984, ndlr] », tranche le journaliste du quotidien Moskovski komsomolets, Alexandr Minkine. Son journal a étalement subi les pressions en décembre 2013 après la publication d’un pamphlet adressé à Vladimir Poutine.

Pour Elena Servettaz, journaliste russo-française et auteur du livre Why Europe Needs a Magnitsky Law : Should the EU follow the US ? (Pourquoi l’Europe a-t-elle besoin de la loi Magnitsky : l’Union européenne devrait-elle suivre les Etats-Unis ?), il est impossible de relier les décisions de pouvoir prises à la veille des Jeux olympiques, notamment la libération des prisonniers politiques (Pussy Riot et Mikhaïl Khodorkovsky), l’amnistie de plus de 20 000 prisonniers et cette pression sur les médias. « Parfois il est difficile d’employer le mot «logique» quand il s’agit des certains événements liés au pouvoir en Russie », indique la journaliste.

Le moment a été néanmoins bien choisi. « L’indépendance éditoriale de la chaîne a toujours irrité le pouvoir. Mais c’est plus facile de lancer la poursuite maintenant plutôt qu’au moment où la chaîne fait le direct de Maïdan [Place d’Indépendance à Kiev, ndlr] ou au moment du procès sur Navalny. Parce que sinon le caractère politique serait trop évident, et dans la société, l’arrêt de sa diffusion aurait été soutenu par très peu de personnes », conclut Elena Servettaz. Comment expliquer la poursuite de Dojd qui n’a été entamée que maintenant ? Alexandr Minkine tranche : « Il y’a forcément des raisons cachées, mais elles n’ont rien à voir avec les Jeux olympiques ».

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1.Posté par Dmitri Joukof le 11/02/2014 21:12
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