Serbie : Belgrade, à l’Est, le renouveau

Interrail, sur les traces du rideau de fer 4/6

12 Août 2013



Trois semaines, six villes. Après Prague, Cracovie, Bratislava et Budapest, nous voici à Belgrade, destination la plus à l’Est de notre périple. La « cité blanche » renaît de ses cendres après avoir attiré bien des convoitises. Impressions.


Crédits photo -- Laurène Perrussel-Morin | Le Journal International
Crédits photo -- Laurène Perrussel-Morin | Le Journal International
Interrail est l’occasion pour les étudiants baroudeurs de découvrir l’Europe en payant un ticket leur assurant un certain nombre de jours de voyages. J’ai profité de cette opportunité pour partir, avec une amie et seulement deux sacs à dos, faire un tour partiel de l’Europe centrale. Un voyage sur les traces de l’histoire du Vieux Continent qui nous a permis d’appréhender les différences entre des pays bien vite regroupés sous le terme de « pays d’Europe de l’Est ».

Une ville méditerranéenne

Arrivée au petit matin à Belgrade, capitale de la Serbie, après une nuit agitée dans le train : nous avons été contrôlées à plusieurs reprises par des policiers à la mine patibulaire qui frappaient à la porte de notre wagon-couchette avec insistance. Peu réveillées, nous déposons nos affaires dans une auberge de jeunesse étrangement calme. Seuls un Égyptien et une amie occupent une autre chambre : le dortoir est pour nous. Bravant la chaleur, nous partons à la découverte de la ville, dans laquelle il est facile de se sentir perdues : tout est écrit en serbe cyrillique.

Renforcée par le soleil de plomb, une ambiance méditerranéenne se fait sentir dans Belgrade. La capitale de la Serbie, qui a attisé les convoitises du fait de son caractère de trait d’union entre l’Europe centrale et les Balkans, a été conquise par quarante armées différentes au cours de son histoire. Parmi ces dernières, on compte l’armée ottomane qui, menée par Soliman le Magnifique, s’est confortablement installée à Belgrade de 1521 à 1830. Pendant tout notre séjour, j’avais l’impression d’entendre les klaxons incessants d’Istanbul en longeant les grandes avenues au trafic incessant et je m’amusais à reconnaître quelques mots de turc dans notre environnement.

Il est en effet facile de jouer au jeu des sept ressemblances en étudiant ces deux villes entre Orient et Occident. On peut citer à titre d’exemple la rakija, eau-de-vie créée par la distillation de jus de fruits fermentés que l’on trouve dans plusieurs pays de l’Est et qui n’est pas sans rappeler le raki turc. Alphonse de Lamartine s’était essayé à l’exercice dans Voyage en Orient, comparant Belgrade, alors qu’elle était encore turque, à Zemun, alors située en Hongrie : « La ville (Belgrade), semblable à toutes les villes turques, descend en rues étroites et tortueuses vers le fleuve. Semlin (Zemun), première ville de la Hongrie, brille de l’autre côté du Danube avec toute la magnificence d’une ville d’Europe ; les clochers s’élèvent en face des minarets ». Aujourd’hui, Zemun a été intégrée à Belgrade et contribue à la diversité de la capitale serbe.

Religions : l’unité dans la diversité

Quelques heures après notre arrivée, nous entrons dans une des églises orthodoxes de Belgrade. Les chrétiens serbes orthodoxes sont la principale communauté religieuse de Belgrade, qui ne compte aujourd’hui plus qu’une mosquée. La communauté juive, quant à elle, a été réduite à peau de chagrin depuis l’occupation de la ville par les nazis. C’est l’heure de la prière : nous nous faisons discrètes afin d’écouter les bouleversants chants grégoriens.

En face de l’église, le restaurant traditionnel « ? » ou « Znak Pitanja » nous attend pour un petit-déjeuner tardif à base de pain plat et de yahourt. Construite en 1823 et ouverte trois ans plus tard, cette « kafana » fait partie des plus vieux établissements de la ville. Une guide nous expliquera plus tard que le rez-de-chaussée était initialement réservé aux chevaux qui, grâce à la chaleur de leur corps, réchauffaient l’étage supérieur. À son ouverture, la kafana a été baptisée d’après l’église qu’elle jouxtait. Mais cette décision ayant heurté les orthodoxes, il a fallu en choisir un nouveau. Une pancarte marquée d’un point d’interrogation, supposée être provisoire, a été placée à l’entrée de la taverne. Depuis, la kafana a conservé la pancarte qui lui a donné son nom.

Quelques jours plus tard, nous découvrons la plus grande église orthodoxe de Serbie, la cathédrale Saint-Sava, située au sommet de la colline de Vracar, tellement plate qu’elle ressemble à une plaine. En travaux depuis 1939, la cathédrale a vu sa construction interrompue par l’invasion de la ville par les nazis en 1941 puis par Tito lorsque la ville faisait partie de la Yougoslavie. Elle ressemble aujourd’hui aux églises orthodoxes, pour certaines reconverties en mosquées, dans des villes comme Istanbul. Le quartier a été épargné par les bombardements de l’OTAN lors la guerre du Kosovo en 1999, mais l’intérieur de l’église est toujours à nu. L’histoire semble s’être figée dans la plupart des monuments de Belgrade. Les cicatrices et les traces de balles font partie des bâtiments.

Belgrade, belle de nuit

La nuit est tombée sur Belgrade. Nous nous promenons dans la rue Skadarska, également appelée Skadarlija. Malgré son côté attrape-touristes et ses serveurs rabatteurs, il est agréable d’y flâner au milieu des kafanas en écoutant la musique traditionnelle jouée de table en table.

La tradition veut que chaque table demande son morceau préféré. Il est ensuite d’usage de donner un pourboire aux musiciens en le glissant dans la trompette, entre les cordes de l’accordéon, ou en le collant sur le visage trempé de sueur du musicien enthousiaste. Le musicien ne garde ensuite le billet que si celui-ci est resté collé jusqu’à la fin du morceau. Ancien quartier tzigane, Skadarlija est traditionnellement considéré comme le quartier bohème de Belgrade, bien qu’il se soit embourgeoisé aujourd’hui, à l’image de Montmartre. Un panneau, placé au milieu de la rue principale, indique les principaux quartiers bohèmes du monde. Une des pancartes montre le ciel en indiquant la lune.



Crédits photo -- Laurène Perrussel-Morin | Le Journal International
Crédits photo -- Laurène Perrussel-Morin | Le Journal International
Nous traversons le quartier pour admirer le coucher de soleil sur le Kalemegdan, le plus grand parc de la forteresse de la ville qui entoure les anciens remparts. Dans un coin, des vieux jouent aux échecs. Les amoureux des bancs publics s’embrassent dans chaque recoin du parc. Dès que le soleil commence à descendre, la lumière change. Nous nous installons en haut des remparts, et observons le confluent de la Save et du Danube qui se trouve à nos pieds. L’impression de calme qui se dégage de ce paysage contraste étrangement avec le nom du Kalemegdan, qui vient des mots turcs « kale » (la forteresse) et « meydan » (le combat). En rentrant, nous décidons d’aller boire un verre dans l’unique restaurant devant lequel nous sommes passées ce soir-là, après avoir dépassé le quartier de Skadarlija. Ce n’est que le lendemain que nous apprendrons que ce restaurant est un des rares vestiges de la Première Guerre mondiale. Caché entre les barres d’immeubles, il accueille des amis et des familles venus manger de très bons plats pour peu cher.

Nous repartons à contre-cœur le lendemain matin pour découvrir la dernière ville de notre périple. Belgrade, ville qui peine à se reconstruire, n’en est que plus riche culturellement et historiquement parlant. Les carnets de voyage sur les genoux, je consigne les découvertes marquantes de ces trois journées qui ont passé comme un éclair. Un trajet de plus de dix heures nous attend pour traverser les Balkans afin d’aller à Ljubljana, capitale de la Slovénie.


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Laurène Perrussel-Morin
Ex-correspondante du Journal International à Berlin puis à Istanbul. Etudiante à Sciences Po Lyon... En savoir plus sur cet auteur