Slovaquie : la controverse autour du monopole gazier SPP

3 Octobre 2013



Bientôt deux semaines qu’un seul sujet, un seul débat acharné, domine l'espace public en Slovaquie. La majorité socialiste a décidé de reprendre possession de l'entreprise-mère de SPP, le monopole stratégique de gaz naturel, privatisé par la droite, il y a de ça une décennie. Plus qu’un débat de fond idéologique, l’opposition est allée jusqu'à demander la destitution du Premier Ministre, Fico.


Crédits photo -- ISIFA
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En 2002, le gouvernement de droite Dzurinda I a décidé d'entreprendre la privatisation partielle de SPP, l'entreprise stratégique de transport, distribution et vente de gaz naturel. L'objectif déclaré était ainsi d'amortir la dette publique croissante, à cette époque. La gauche était par principe contre la vente même de 49 % de la propriété publique générant un profit quasi-automatiquement, vu sa position monopolistique. Depuis, de nombreuses accusations planent autour de cette décision : fraude, délit d'initié, et provisions. Finalement, la privatisation de SPP a été généralement considérée comme l'une des plus emblématique et traumatisante de la période sauvage de vente de patrimoine nationale à bas prix aux corporations étrangères.

Ce qui a le plus touché les citoyens ordinaires, c’est le prix du gaz. Même si l’État a gardé la majorité des parts de l'entreprise, la majorité au conseil exécutif est représentée par les nouveaux propriétaires. L'Institut pour la régulation des industries de réseau est devenu un instrument unique de la lutte contre l'intérêt primaire des propriétaires pour éviter de voir augmenter leur marge et donc générer plus de profit. Dans un contexte où le prix des matières premières n’a cessé d’augmenter, le prix du gaz s’est envolé au point de devenir l’un des plus hauts en Europe.

La politique sociale-démocrate de reprise

Avec la nouvelle majorité gouvernementale, et à l'occasion du changement de propriétaires, l’État a finalement décidé de reprendre le contrôle de l'entreprise-mère. Cette décision annoncée par M. Fico, début septembre, a donné suite à un débat virulent concernant les « pros and cons » d'une telle opération. La majorité socialiste a présenté cette mesure comme un pas logique et légitime avec leur conviction politique et économique. Étant donné que deux tiers de Slovaques perçoivent un salaire inférieur au salaire moyen (876 euros), le gaz représente une part importante du budget des foyers. Ainsi, la politique de reprise de SPP est-elle une politique populiste ou une politique « pour le peuple et par le peuple » ?

L'objectif affiché du gouvernement est donc de réguler les prix de manière plus efficace. L’institut pour la régulation des prix du gaz a pris des décisions comme la révision des prix à la baisse. Les propriétaires privés s’estiment léser considérant avoir perdu trop de profit (220 millions d’euros). Ce conflit a amené les propriétaires à mener un arbitrage contre la Slovaquie La privatisation a quand même rapporté 3,5 milliards d’euros en comptant seulement les dividendes sur toute la période.

La privatisation de propriété stratégique à grand profit demeure jugée comme un pêché originel de l'époque postcommuniste – une vraie « trahison de la patrie ». Surtout que suite à la privatisation, les prix réels de l'énergie en Slovaquie n’ont jamais été aussi élevés. A l’image de la Pologne ou de la Hongrie qui reprennent le contrôle de leurs monopoles énergétiques, la politique slovaque s'insère dans la tendance générale à affronter le passé.

Une nouvelle haute trahison économique ?

L'opposition de la droite s'est logiquement dressée contre une telle décision. Ici, les choses commencent à se compliquer. La droite accuse la gauche de favoriser, à travers la reprise de la part majoritaire de SPP, les intérêts des nouveaux propriétaires privés, un groupe financier prétendument proche au parti socialiste en pouvoir. Une accusation, difficile à prouver, mais qui est néanmoins devenue l'argument principal de la mise en accusation. Si l’État saisit la totalité de l'entreprise-mère, il n'y aura plus de perte ni d'ennuis et d'arbitrages pour les nouveaux propriétaires privés qui pourtant gardent les parts mineures dans les entreprises-filles à gros profit.

Les autres objections concernent notamment la question du prix et de l'efficacité de cette transaction. Le transfert de la part restante de la société SPP sera réalisé sous condition de la reprise d'une part de la dette de l'entreprise par l’État (120 millions d'euros). Mais l’État n'aura jamais assez de ressources pour racheter la totalité de l'entreprise comme le propose la droite, qui reste pourtant préoccupée par l'endettement publique.

Et puis, la dernière crainte majeure demeure la politisation de la gestion d'entreprise. La gauche a repris des parts de l’entreprise pour effectivement réguler les prix mais cette démarche s’inscrit aussi dans une logique pour plaire aux électeurs. Ce calcul politique laisse craindre une gestion non efficace et politisé du monopole. Tout ça, en générant la perte de l'entreprise-mère non-négligeable potentiellement et qui pourrait hypothétiquement aggraver la dette publique. Le Premier Ministre Fico espère que la renégociation du contrat de gaz avec GAZPROM, ainsi que les dividendes des parts à profit de l'entreprise suffiront à pallier la perte.

Une motion de censure « absurde »

Si le débat en restait là, il serait généralement considéré comme légitime du fait du clivage droite-gauche. La dynamique des événements a pris un tour différent. L'opposition a saisi sa chance après des mois de paralysie d'action, en tentant de faire passer une motion de censure contre le Premier Ministre Fico.

Tout le gouvernement a été appelé à rendre compte de son engagement à réaliser la politique économique socialiste. D'où le constat de nombreux commentateurs qu'il s'agissait d’une motion de censure absurde, « pénalisante » une décision au mieux discutable sur le plan idéologique, néanmoins légitime. Une motion de censure d'autant plus absurde qu'elle était vouée à l'échec vu le simple calcul de mathématique parlementaire et qui ne donnait aucune chance de succès. Toutefois, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit de l'instrument standard de l'opposition et du parlement en général, et qui donne l’occasion de discuter des décisions de l'exécutif. Après tout, la Slovaquie demeure encore la république parlementaire, où tout le pouvoir émane de la majorité au Parlement.

Le dénouement de l'affaire au Parlement s’est marqué par plusieurs incidents suscitant les questions sur la culture politique des élus. Dès le discours d'ouverture truffé d'insultes de M. Lipsic le ton de la session est donnée. Le Premier Ministre, après avoir expliqué ses actions, a appelé son parti SMER à quitter la salle. Après un tel début – l’ouverture agressive et l'obstruction de M.Fico – l’éventualité-même d'une confrontation quelque peu factuelle était perdue. Résultat, les parlementaires n’ont réussi à attirer l’attention médiatique que par leurs comportements et paroles indignes.

Le brouillard démagogique

Au lieu d'une confrontation d'idée et de discussion productive, l'essentiel du sujet n'a pas été clairement débattu et il demeure obscure pour la majorité de peuple. Les accusations du populisme et de la démagogie semblent justifiées. A gauche, un seul message hypnotique, mille fois répété par le premier-ministre, sera inculqué dans les esprit de ses électeurs – le prix de gaz ne va pas augmenter. Un message avec l'incidence potentiellement non négligeable vu la perspective des élections présidentielles qui approchent. A la droite, les ex-privatiseurs jusqu'ici accusés de « la plus grande trahison économique » de l'époque post-communiste accusent eux-mêmes la favorisation des intérêts privés, des intérêts d'oligarchie. Si on y ajoute la session indigne du Parlement, le dégoût et désintérêt du peuple vis-à-vis des élus n'est pas une surprise.

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