Suède : tollé général après l'acquittement d'un viol collectif

Elodie Pradet
30 Octobre 2013



Le 27 septembre 2013, six jeunes suédois ont été acquittés pour une affaire de viol collectif par la Cour d'Appel de Svea à Stockholm. La victime est une adolescente de 15 ans. L'acquittement de grande envergure et la non-recevabilité du cas par la Cour Suprême suédoise ont déclenché de vives réactions citoyennes dans tout le pays. Décryptage.


Crédit photo --- Göran Segeholm / riksdagen.se
Crédit photo --- Göran Segeholm / riksdagen.se
L'affaire date du 2 mars 2013. Ce soir-là, deux adolescentes se joignent à une fête à Tensta dans la banlieue de Stockholm. Ivres à la fin de la soirée, une des jeunes filles, 15 ans, âge de la majorité sexuelle en Suède, a un rapport sexuel avec un des garçons de la soirée dans une chambre. S'ensuit une histoire de viol collectif présumé. Six garçons inconnus entre 15 et 17 ans seraient rentrés un par un dans la chambre. L'affaire de viol aggravé est condamnée par le tribunal de première instance (Tingsrätter) de Solna durant l'été 2013. Huit garçons sont arrêtés, six sont poursuivis. Quatre avoueront la relation sexuelle, mais nieront l'infraction. Le tribunal de Solna prononce une condamnation pour viol aggravé pour cinq d'entre eux, le dernier écope d'une tentative de viol aggravé pour avoir fourni les autres garçons en préservatifs.

L'appel de la décision mène à l'acquittement général le 27 septembre 2013. L'affaire a lieu quatre mois avant le changement de la loi suédoise sur le viol. L'ancien texte de loi assume que la victime doit avoir été dans un état d'impuissance. Désormais, depuis le 1er juillet 2013, il est question d'une « position très vulnérable ». « Cette relation sexuelle était peut-être contre sa volonté expresse, mais si ce n'est pas de l'exploitation d'un état de détresse, ceci n'est pas un viol », déclare le juge Sven Jonson. L'avocat de la jeune fille de 15 ans, Magnus Eriksson explique au Svenska Dagbladet qu'elle « sentait la peur de la mort », la jeune fille déclare avoir dit non à plusieurs reprises en se rhabillant.

« Il est évident qu'une fille de 15 ans ne veut pas coucher avec six hommes inconnus dans une pièce fermée à clé », déclare Magnus Eriksson. À la fin du mois de septembre, les réseaux sociaux ainsi que les sites de la presse suédoise se remplissent peu à peu de critiques acerbes du procès et de vifs commentaires. Le tollé est général. La Suède ne comprend pas que l'on puisse acquitter six garçons sous prétexte qu'une loi n'était pas encore en vigueur à la date de l'événement. Le 1er octobre, les Femen manifestent devant la Cour d'Appel de Svea, scandant « Cessez de légaliser le viol ». Une pétition est lancée sur le site namninsamling.se. « Nous exigeons maintenant que le procureur prenne l'affaire devant la Cour Suprême pour un nouveau procès ». Elle recueille presque 50 000 signatures. Martin Marmgren, un policier tenant un blog, publie son point de vue sur magasinetparagraf.se. Il connaît l'affaire. Il s'est occupé des interrogatoires de la victime et des suspects. Comme beaucoup de Suédois, le policier demande une nouvelle formule de consentement éclairé dans la loi.

La loi n'existe plus, la Cour Suprême n'a pas à statuer

Crédit Photo --- Olivier Gee | The Local
Crédit Photo --- Olivier Gee | The Local
D'un autre côté, le président de l'Association du Barreau se prononce contre un nouveau changement : « Du moins pas avant qu'il ne soit possible de voir comment le nouveau changement fonctionne », rapporte le président Bengt Ivarsson au Svenska Dagbladet. Le 14 octobre, la non-recevabilité du cas à la Cour Suprême tombe : il manque des raisons valables. Les procureurs Caroline From et Jenny Clemendtson ont fait appel de cette décision devant la Högsta domstolen (Cour Suprême suédoise). Cependant, la procureur Marie-Louise Eskilstorp explique que l'affaire ne contient aucun motif d'appel à la Cour Suprême. Le texte de loi correspondant à la date de l'affaire judiciaire a été appliqué, l'acquittement restera tel quel. Les appels à la Cour Suprême sont recevables uniquement en cas d'importance pour la gestion de l'application de la loi (dispense de précédent), ou dans le cas d'une omission grave ou d'une faute lourde (dispensation extraordinaire). La loi n'existe plus, la Cour Suprême n'a donc pas à statuer sur le cas.

« Je sais que le fait que le tribunal conclut que personne ne peut être déclaré coupable ne signifie pas qu'aucun crime n'a été commis », rajoute Martin Marmgren dans un post sur son blog. Les rebondissements de l'affaire et la protestation de la population auront au moins servi à mettre en lumière un problème lourd de terminologie dans les termes de la loi. La Suède est dans les chiffres le pays au plus grand nombre de viols par an. Mais c'est aussi le pays qui a réussi en 10 ans à briser le tabou de la plainte pour viol. Le nombre de plaintes a été multiplié par quatre en 10 ans, d'après les chiffres de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime. Le viol en Suède est défini comme toute pénétration orale, anale ou vaginale, avec une partie du corps ou un objet ainsi que tous les actes sexuels forcés, sans pénétration.

Sur le papier, il semble donc que la protection des droits de la femme s'améliore. Cependant, même avec la nouvelle définition de juillet 2013, des inquiétudes demeurent. La journaliste suédoise Katarina Wennstam déclare dans un réquisitoire du 2 octobre sur le site Aftonbladet que des arguments tels que « les hommes sont comme ça » sont encore communs dans les tribunaux. « Ce comportement n'a rien à voir avec la masculinité, et il est temps que nous commencions à protester sérieusement contre cette image de l'homme ». Son article intitulé « Cessez de supposer que les hommes sont stupides » est un excellent indice d'une société progressiste où les féministes cherchent une place légitime à tout prix.

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