Turquie-Syrie : mise en perspective des tensions actuelles

Simon Bouchet, correspondant à Istanbul
11 Février 2013



L’installation de missiles à la frontière turco-syrienne par l’OTAN est venue matérialiser la semaine dernière les nombreuses tensions apparues ces derniers mois entre la Turquie et la Syrie.


Turquie-Syrie : mise en perspective des tensions actuelles
Les motifs d’affrontement entre la Turquie et la Syrie se sont multipliés depuis l’éclatement de la guerre civile syrienne : accueil de réfugiés syriens sur le sol turc, soutien d’Ankara à la rébellion, ou encore tirs de l’aviation syrienne sur des villages turcs frontaliers. Les tensions actuelles ne sauraient pourtant être présentées seulement comme une conséquence logique de la seule crise syrienne : elles s’inscrivent dans une histoire particulière de relations entre deux Etats, deux régions, et dans un redéploiement stratégique de la diplomatie turque.

Une histoire conflictuelle

L’opposition entre Ankara et Damas est d’abord un héritage de l’Empire ottoman. Après la Première Guerre mondiale, qui avait vu une majorité de populations arabes de l’empire « trahir » l’autorité du Sultan, l’Empire ottoman se disloquait. La Turquie, sous l’impulsion de Mustapha Kemal « Atatürk », était alors fondée sur le principe de nationalisme ethnique. Cette rupture avec la culture ottomane, multiethnique et multi-religieuse, contribuait ainsi au renforcement d’un clivage entre deux peuples, qui allaient s’opposer dans la région : les Turcs et les Arabes.

Turquie-Syrie : mise en perspective des tensions actuelles
La Syrie, Etat né en 1946 et voisin de la Turquie (près de 800 km de frontière commune), est, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’adversaire arabe le plus virulent de la Turquie. En cause : la région d’Alexandrette, réclamée par les Syriens, ou encore les accords conclus en 1955 entre Ankara et Washington, lesquels ont fait apparaître la Turquie comme l’instrument des Etats-Unis au Proche et Moyen-Orient, idée encore répandue aujourd’hui. 

Les tensions ont ensuite été nourries par la problématique de l’eau. La construction de barrages turcs sur l’Euphrate, fleuve qui parcourt la Turquie puis la Syrie, est ainsi devenue, dès les années 1970, un sujet de friction entre les deux Etats. Motif du mécontentement syrien : les barrages réduisaient le débit du fleuve et appauvrissaient les ressources en eau de la Syrie. 

Le soutien de Damas à la guérilla kurde du PKK a ensuite fini de brouiller les voisins.

Dans ce contexte, les relations avec le monde arabe et la Syrie sont devenues pour Ankara une préoccupation majeure, et un redéploiement stratégique s’est avéré nécessaire.

Le redéploiement stratégique vers le monde arabe : une nouvelle diplomatie turque ?

La nouvelle stratégie diplomatique turque à l’égard du monde arabe est souvent présentée comme une conséquence de l’arrivée au pouvoir en 2002 de l’AKP [Parti pour la justice et le développement], issu de l’islam politique. Si quelques changements ont certes été observés, la politique extérieure actuelle de l’Etat turc trouve pourtant ses racines dans une option diplomatique choisie dès les années 1980 et motivée par des préoccupations anciennes.

Le cadre des relations entre la Syrie et la Turquie n’a donc guère évolué ces dernières années, chacun portant une attention extrême à l’autre. Le degré d’hostilité entre les deux Etats a par contre connu diverses phases, fluctuant entre entente relativement cordiale (opposition des deux Etats à la guerre en Irak, accord de libre-échange, abolition des visas…) et opposition quasi-frontale (soutien d’Ankara à la révolte syrienne et départ exigé de Bachar al-Assad).

Une mise en perspective historique permet ici de rendre compte de façon plus pertinente des tensions actuelles.
Le caractère majeur des relations avec la Syrie et les intérêts turcs en jeu explique en effet le rôle de la Turquie dans la crise syrienne. Après avoir enjoint à Bachar al-Assad de réformer le régime et espéré par ce biais une sortie de crise, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan a changé de discours : pensant le pouvoir syrien condamné, il a trouvé dans le soutien à la rébellion le moyen de se positionner auprès de la future élite politique syrienne.

Une analyse historique permet également de relativiser la portée des événements récents : les tensions entre les deux Etats ont été nombreuses dans l’histoire, et la phase actuelle tend plus vers un rapprochement entre les deux Etats que vers une scission irréversible.

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