Ukraine : le président contesté pour sa gestion de la lutte anti-corruption

Fabrice Deprez
4 Novembre 2015



Près d’une centaine de personnes se sont rassemblées samedi 31 octobre devant l’immense maison du président ukrainien Petro Poroshenko pour dénoncer sa politique anti-corruption, jugée inefficace et même complaisante. Les manifestants, qui arboraient notamment des slogans « Poroshenko couvre la corruption ! », dénonçaient en particulier l’action du Procureur Général d’Ukraine, un proche du président accusé de saboter les réformes anti-corruption.


Crédit DR
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Alors que la popularité du chef de l’Etat n’a cessé de décroître depuis son élection, la société civile ainsi que plusieurs chancelleries étrangères s’inquiètent de l’absence de véritables changements dans le domaine. Le même jour, l’arrestation d’un homme politique opposé à Poroshenko a de plus ravivé les craintes d’une justice politisée.

Le Procureur Général au cœur de la polémique

« Le Procureur Général a complètement perdu le sens des réalités. Shokin devient fou, et dangereux pour l’Ukraine ». Sur son compte Facebook, Daria Kaleniouk, dirigeante de l’ONG anticorruption ANTAC, ne mâche pas ses mots. Avec d’autres organisations, elle a participé à la manifestation devant la résidence de Poroshenko. Car si le Procureur Général est accusé de saboter les réformes (notamment en refusant de nommer un procureur anti-corruption, condition sine-qua-non pour obtenir le régime de visa libre entre l’UE et l’Ukraine), le président ukrainien est la première cible : c’est lui qui a nommé Shokin à ce poste, les deux hommes travaillant ensemble depuis plusieurs années. C’est aussi lui qui refuse aujourd’hui de rappeler le Procureur à l’ordre, malgré les demandes répétés de la société civile.

L’agacement envers la mauvaise volonté dont ferait preuve le Président à l’égard de son Procureur Général dépasse le cadre des activistes ukrainiens. Une semaine auparavant, l’ambassadeur de l’Union Européenne en Ukraine avait fait parvenir à la présidence une lettre s’inquiétant du manque de progrès des mesures anti-corruption, et réclamant le renvoi de 4 procureurs proche de Shokin. L’action du procureur Général, prévenait la lettre, pourrait mettre en péril non seulement l’assouplissement du régime de visa entre UE et Ukraine mais aussi, d’après le journal « Oukraïnskaya Pravda », « l’assistance financière de la part de l’UE ».

La question du Procureur anti-corruption, qui sera spécifiquement chargé de traduire en justice les cas de « haute corruption », notamment ceux impliquant des officiels, est au cœur des querelles. Il représente en effet l’une des réformes les plus attendues aussi bien par la population ukrainienne, qui continue de considérer la corruption comme l’un des principaux problèmes du pays, que par les bailleurs de fonds internationaux. Mais la nomination de ce procureur est l’objet d’intenses tractations politiques : les 4 procureurs dont l’ambassadeur de l’UE réclame le renvoi font ainsi partie du comité chargé de nommer le nouveau Procureur anti-corruption. Or, affirment des activistes ukrainiens, le président Poroshenko chercherait avant tout à placer un homme fidèle à ce poste stratégique.

"Poroshokin : le visage de la corruption" - Crédit DR
"Poroshokin : le visage de la corruption" - Crédit DR
« Nous pensons que Poroshenko veut se servir de Shokin pour nommer le Procureur Anti-Corruption […], mais aussi d’autres cadres à des postes importants, et nous suspectons que ces nominations seront politisées et conduiront au retour d’officiels corrompus » a ainsi déclaré au Journal International Ivan Presniakov, qui travaille pour l’ONG anti-corruption ANTAC.

La crainte d’une politisation de la justice]

Au-delà des freins posés par certains dans l’administration présidentielle à la poursuite des réformes, la crainte est aussi celle d’un maintien par Poroshenko d’un système ou la justice n’est qu’un outil au service de l’exécutif.

L’arrestation le 31 octobre de Guennadi Korban lors d’une impressionnante opération des services de sécurité ukrainiens a ainsi été largement interprétée comme une action avant tout politique. Korban, qui était jusqu’à alors le candidat du parti patriote « Oukrop » à la mairie de Kiev, n’est certes pas connu pour être un personnage particulièrement recommandable : sa fortune de 25 millions de dollars (d’après le magazine ukrainien « Novoye Vremia »), il l’aurait notamment gagné grâce à des rederstvo, le nom donné en Russie et en Ukraine aux appropriations illégales et souvent violentes d’entreprises. Mais Korban est surtout connu pour être le bras droit d’Igor Kolomoïsky, 2ème homme le plus riche d’Ukraine et actuellement ennemi juré du président Poroshenko. De fait, cette arrestation, qui survient juste après le premier tour des élections locales, ressemble pour beaucoup à une opération politique visant à réduire l’influence de Kolomoïsky.

« Tôt ou tard, Korban aurait été arrêté, ce n’était qu’une question de temps » tempère néanmoins Vladimir Fesenko, politologue ukrainien « Ce n’est pas l’arrestation en soi qui est politique, c’est le fait que cette arrestation ait été faite précisément à ce moment ».

Reste que, d’après Ivan Presniakov, « les seuls politiciens de haut-niveau inquiétés pour des affaires de corruption sont ceux qui sont en opposition avec le Président ». Près de deux ans après la révolution du Maïdan, la question de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et la justice reste donc plus que jamais d’actualité.

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