Un choc de coopération avec l’Economie sociale et solidaire

28 Décembre 2012



Le 15 et 16 novembre dernier se tenait à Marseille le 35ème Congrès de la Confédération générale des Scop. Invité à clôturer l’événement, le ministre de l’Economie sociale et solidaire, Benoît Hamon, a suscité l’enthousiasme en déclarant qu’il fallait « un vrai choc de coopération ». Mais dans quel but ?


Un choc de coopération avec l’Economie sociale et solidaire
De plus en plus souvent, face aux faillites et aux délocalisations, des salariés se proposent de reprendre leur activité eux-mêmes et les succès se multiplient. Dernière en date, la victoire juridique des salariés de SET (Smart Equipment Technology), leader mondial pour les applications à infrarouge, témoigne d’un mouvement de fond dans la société en faveur des coopératives. La Cour d’appel de Chambéry a en effet approuvé la reprise sous forme de Scop*, arguant que le soutien de la majorité des salariés était un gage de succès et que le projet permettait de « maintenir une technologie de pointe […] entre les mains, non seulement d’une société française, mais, bien plus, de ceux qui en sont les inventeurs et développeurs à savoir les salariés de la société SET ». Cet événement, bien que peu médiatisé, tranche nettement avec les déboires du gouvernement français sur le cas des hauts-fourneaux de Florange. 

Ce n’est pas sans un clin d’œil au « choc de compétitivité » prôné par le rapport Louis Gallois que le ministre de l’Economie sociale et solidaire a affirmé au 35ème Congrès des Scop :

« Le gouvernement a de l’ambition pour les Scop. Nous voulons créer un vrai choc de coopération. Conformément aux souhaits des responsables de la Confédération générale des Scop, le gouvernement veut contribuer au doublement des Scop et à un passage de 40 000 à 100 000 salariés dans ce secteur dans les 5 années qui viennent. »

Et le ministre de décliner une série de mesures destinées à attaquer les obstacles juridiques, politiques et financiers auxquels font face les salariés désirant reprendre leur activité sous forme coopérative. On notera, pêle-mêle, la création d’un nouveau statut pour faciliter la reprise en Scop, qui permettra de manière temporaire aux salariés de disposer de la majorité des droits de vote sans pour autant détenir 50% du capital ; la mise en place d’un droit de préférence accordé aux salariés lorsque l’entreprise est cédée ; une action à l’égard des juges pour lever l’hostilité dont sont victimes les Scop au niveau des tribunaux de commerce. De même, 500 millions des 40 milliards d’euros destinés à la Banque publique d’investissement seront réservés à l’Economie sociale et solidaire (ESS). La liste n’est pas exhaustive. Pour en savoir plus, un site est dédié au 35ème Congrès des Scop.

Si l’on peut se féliciter d’une prise en compte sérieuse et active du secteur, une question, et non des moindres, subsiste : à quoi sert l’Economie sociale et solidaire ? Autrement dit, pourquoi mettre tant de moyens et d’énergie à dynamiser ce secteur ? Un petit retour historique peut nous aider à comprendre les enjeux. 

Deux conceptions de l’ESS se font face. La première, d’inspiration libérale, conçoit l’ESS comme un tiers secteur, venant pallier les imperfections du marché. La seconde défend une réelle ambition de transformation sociale et écologiste de la société. Pour illustrer cette opposition, les premières réflexions, au milieu du 19ème siècle, autour des banques coopératives sont évocatrices. Pour Léon Walras et Léon Say, les travailleurs devaient regrouper leur épargne pour être en mesure de concurrencer les capitalistes. Ainsi plus concurrentiel, le marché serait plus efficace. Ils lanceront à cette fin l’Association de crédit, de production et de consommation. Par ailleurs, c’est pour démontrer qu’une autre forme d’organisation de l’économie est possible que Jules Lechevalier et Pierre-Joseph Proudhon ont créé la Banque du Peuple. Les deux entreprises ont échoué.

L’ESS peut donc servir, au choix, de béquille à un Etat social en cours de démantèlement ou de point d’appui pour une transformation sociale – et désormais écologiste. 

Symbole de cette double dimension – réparatrice et émancipatrice – le projet des travailleurs de l’usine Fralib près de Marseille (fabrication de thés et d’infusions) : après l’annonce de la délocalisation par la groupe Unilever en septembre 2010, des salariés ont décidé de reprendre leur activité sous forme coopérative pour sauver leurs emplois. Dans ce cadre, ils ont été amenés à repenser le processus de production de manière plus responsable en faisant appel à des fournisseurs régionaux ou encore en réduisant autant que faire se peut l’usage de produits chimiques. Comme en Argentine, d’un mouvement initial de défense de l’emploi et des salaires, le projet devient porteur de propositions concrètes pour une autre économie (voir ici )

Il semblerait que Benoit Hamon, assisté par les bonzes de l’ESS, ait opté pour une ESS de réparation. Ainsi, dans un édito paru sur le site internet du labo de l’ESS, Think Tank dont il est le président, Claude Alphandéy avalise le pacte de compétitivité et par conséquent tout l’arrière-plan théorique qui va avec. C’est ne pas voir l’incompatibilité fondamentale entre un pacte de compétitivité s’attaquant au système de redistribution – les cotisations sociales sont transférées des employeurs à tous les consommateurs - et une économie portant l’idée de solidarité et de juste répartition des richesses. 

L’ESS est donc vue comme un facteur de sortie de crise, comme un réservoir d’emplois, mais sa capacité à remettre en cause le fonctionnement de notre économie et à proposer un autre modèle de société lui est déniée. Le choc coopératif du ministre risque paradoxalement d’anesthésier la capacité transformatrice de l’ESS.

* Les Sociétés coopératives et participatives (Scop) regroupent les Sociétés coopératives de production dont les salariés sont les associés majoritaires et les Sociétés coopératives d’intérêt collectif qui regroupent en tant qu’associés non seulement les salariés mais aussi les autres parties prenantes qui souhaitent s’impliquer dans le projet : collectivités territoriales, clients ou bénévoles par exemple.

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Journaliste spécialiste des questions économiques. En savoir plus sur cet auteur