Venice Beach : une Californie entre muscles, skate et misère

13 Juin 2013



Venice Beach est un spot mythique pour tous les skateurs qui se respectent. Oasis balnéaire excentrique perdu à la pointe de l’immensité horizontale de Los Angeles, l’endroit est aussi le berceau incontournable d’une culture underground qui a su s’exporter aux 4 coins de la planète. Voyage au cœur d’une plage de légende qui a vu naître les plus grands.


© Stéphane Calvet - 2008
© Stéphane Calvet - 2008
Ce qui frappe d’emblée lorsque l’on s’aventure dans les ruelles aux alentours de la plage, c’est l’ambiance singulière qui y règne. Venice Beach est un îlot tranquille au milieu d’une marée urbaine de plus de 1290km carrés (soit 12 fois la taille de Paris). Venice est à Los Angeles ce que Camden est à Londres, un microcosme survolté qui réinvente chaque jour ses propres règles. L’endroit est d’ailleurs aussi coloré que son homologue punk londonien. Les façades criardes des bâtiments rectangulaires ont pour la plupart une histoire à raconter. On y trouve Jim Morrison, micro à la main et peint sur fond orange, nous regardant marcher nonchalamment vers la plage. Ces graffitis géants se succèdent dans un ballet sans fin.

L’œil se perd dans une saturation horizontale troublante. Au fur et à mesure de nos pas, on est happé par le degré d’originalité des lieux et de ceux qui les habitent. Le loufoque peut surgir n’importe quand et à n’importe quel coin de rue. A Venice, la notion de règle est beaucoup plus souple qu’ailleurs. Chacun est à peu près libre de faire ce qui lui plait, y compris le plus absurde ou le plus étrange. Cette absence de normes rigides est assez évidente lorsque l’on se promène le long de l’avenue Abbot Kinney, artère principale de Venice. De nombreuses devantures proposent des « diagnostics » boiteux pour usage médical de marijuana à tous ceux qui veulent bien s’y arrêter.

De l’autre coté de la rue, des artistes improvisés exposent à peu près tout ce qu’ils ont sous la main, tandis que d’autres se baladent nonchalamment avec leur serpent domestique autour du cou. Plus loin, on aperçoit des chiens en bikini rose, des punks en combinaison jaune fluo à pics. Des bodybuilders gonflés à l’extrême nous bousculent gentiment lorsque l’on avance pas assez vite. Car si l’on y fait attention, Venice est aussi le royaume du corps protéiné et tatoué. Sa salle de musculation à ciel ouvert peut se targuer d’être le temple spirituel d’une Californie obnubilée par le culte des apparences. Là-bas les silhouettes sont travaillées à l’extrême, les biceps deviennent des objets à exhiber. Les gros bras sont partout, et Venice oscille dangereusement entre culture et culturisme.


Crédit Photo -- usestangerines
Crédit Photo -- usestangerines
Mais en plus d’être loufoque et excessive, Venice est avant tout célèbre en tant que berceau historique de la culture skate, et du skate tout court. Le quartier est d’ailleurs toujours un haut lieu pour tous ceux qui pratiquent la discipline, et le bruit des planches est presque aussi présent que celui des vagues. Le skate Park de Venice est l’un des plus réputés au monde, et il suffit de s’y arrêter quelques minutes pour comprendre pourquoi. Si le spot fait rêver les adeptes de skate, il est aussi prisé par beaucoup de photographes en mal de photos de tricks aériens. Au delà de la technique, les skateurs de Venice se démarquent aussi par leur style. Ce sont eux et leurs prédécesseurs qui ont inspiré le mouvement culturel autour du skate que l’on connaît aujourd’hui. Ils ont forgé tous ses codes, et continuent de les faire évoluer. Ici encore l’apparence est primordiale. Pour skater à Venice il ne suffit pas de maîtriser des figures exceptionnelles, il faut savoir exhiber un style, donner aux touristes de quoi nourrir leurs propres fantasmes de l’Amérique.

Crédit Photo -- Paul Alvarez Jr.
Crédit Photo -- Paul Alvarez Jr.
Si Venice nous impressionne par son originalité, son culte du physique, et sa richesse culturelle, l’endroit se révèle aussi être une puissante allégorie. Elle nous met face à la complexité d’une Amérique à deux vitesses, où les premiers et seconds plans doivent souvent être observés en parallèle. Beaucoup de touristes omettent de poser leur regard au delà de ce qu’ils voient au premier coup d’œil. Ils s’en tiennent naïvement à la confortable carte postale californienne qu’ils ont toujours eu l’habitude de voir.

Pourtant lorsque l’on y prête plus d’attention, le quartier de Venice Beach est un véritable paradoxe, et sa plage peut se targuer d’être à la fois la vitrine et l’antithèse du rêve Californien. Au delà des devantures colorées et de la décomplexion assumée de ses habitants, la plage est aussi l’antichambre d’un déclassement social massif que l’Amérique aimerait bien cacher aux touristes qui se ruent vers les reliques de son Soft Power magnétique.

A Venice, derrière chaque palmier bordant l’avenue Abbot Kinney se cache un sans abri somnolant aux cotés de sa vie modestement empaquetée sur un chariot à roulettes. Ces déclassés sont là sous nos yeux, ils sont extrêmement nombreux. Ils vivotent à quelques mètres de l’idéal californien sans jamais vraiment y avoir touché. 20 % d’entre eux sont des vétérans de la Guerre du Vietnam que l’Etat américain n’a pas su aider alors qu’il était encore temps. Beaucoup sont là parce que le dernier centre d’aide local a été fermé. Ces marginaux sont avant tout les symptômes d’une Amérique qui laisse ses pauvres somnoler dans l’ombre de ses symboles. Une Amérique heureuse de toujours posséder le faste, l’édulcoré et l’excentrique nécessaires pour masquer ses cotés sombres.

Si Venice Beach est fascinante, c’est bel et bien parce qu’elle est le temple le plus symbolique de cette Amérique pleine de contradictions, eldorado culturel débridé pour les uns, et tombeau social pour les autres. C’est peut-être l’un des seuls endroits au monde où des sans domiciles fixes maigrichons se brossent les dents à quelques mètres de culturistes surdimensionnés.

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Laura Wojcik
Étudiante à Sciences Po Paris, rédactrice au Journal International, ex-Redac en chef @TheSundial,... En savoir plus sur cet auteur