Voyage en plein désert de Nubie

Chronique d'un tour du monde

20 Juin 2013



Pour rejoindre l’Égypte depuis le Soudan, l'unique passage est celui emprunté par un ferry qui traverse le lac Nasser, alors qu'il existe plus de mille kilomètres de frontière terrestre entre les deux pays. Depuis Khartoum, l'itinéraire qui va me mener sur les rives du lac Nasser traverse le désert de Nubie.


Désert de Nubie - Crédit Photo -- Audrey Sérandour
Désert de Nubie - Crédit Photo -- Audrey Sérandour
À Khartoum, au confluent du Nil Blanc et du Nil Bleu, Midhart nous aide à organiser la traversée du lac Nasser. Afin de rallier Aswan, en Égypte, notre véhicule doit être transporté sur une barge depuis Wadi Halfa. Celle-ci est affrétée spécialement, et n'entreprend le voyage que lorsqu'il y a suffisamment de personnes intéressées pour la louer. Midhart nous met donc en contact avec d'autres voyageurs qui souhaitent également se rendre en Égypte. Nous retrouvons ainsi un couple d'Allemands déjà rencontré en Éthiopie, et faisons connaissance avec l'équipage d'un véhicule de tour-opérateur. Seuls les chauffeurs étant autorisés à bord de la barge, les passagers, eux, doivent emprunter un ferry.

Le départ est prévu dans une semaine de Wadi Halfa. Pour se rendre dans cette petite ville depuis Khartoum, il y a deux itinéraires possibles : une route qui longe le Nil ou la traversée du désert nubien. Le couple d'Allemands a décidé d'emprunter le premier, tandis que nous choisissons le second. Il est temps de quitter la capitale. Midhart enfourche son vélo et pédale jusqu'aux portes de la ville pour nous indiquer le chemin. Le sourire aux lèvres, il nous offre du thé d'Hibiscus avant de nous laisser partir. À présent nous voici seuls. De Khartoum à Wadi Halfa, le sable s'étend sur près de mille kilomètres : le désert de Nubie.

Voyage en plein désert de Nubie

L'expérience du silence

Le goudron s'efface à mesure que les kilomètres défilent au compteur, laissant place au sable, qui devient de plus en plus fin. Les habitations se font rares, les arbres disparaissent du paysage. Nous passons à proximité des pyramides de Méroé, dissimulées dans les dunes. En cette fin de ramadan, les Soudanais se sont retrouvés pour faire la fête et rares sont ceux qui ont décidé d'affronter les heures de piste dans le désert. Nous croisons de moins en moins de véhicules. Peu à peu, le mot « désert » prend tout son sens, s'impose, silencieusement.

Me voici dans le désert de Nubie, pour trois jours de traversée. Trois jours, cela semble si court. Pourtant, le souvenir que j'en ai ne s'inscrit pas dans le temps, mais dans l'espace. Une vaste étendue de sable, parsemée de rochers sombres. Une immensité dans laquelle l'unique point de repère est la voie ferrée, rectiligne, qui guide notre chemin vers le nord. Avec cette notion de temps oublié, les jours paraissent durer une éternité.

Le soir au bivouac, alors que le soleil se couche tranquillement, je m'allonge sur un rocher pour écouter. Pour l'écouter. C'est la première fois que je fais l'expérience d'un silence aussi assourdissant. Ce silence n'est pas vide, n'est pas calme, il se ressent comme on ressent la chaleur du soleil ou le picotement des grains de sable.

« J'ai toujours aimé le désert. On s'assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n'entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence... », disait Antoine de Saint-Exupéry, dans Le Petit Prince, publié en 1943.

C'est ce rayonnement invisible, propre aux déserts, qui les rend si attachants. Car sans arbre, pas de bruissement de feuilles. Sans oiseau, point de gazouillement. Sans homme, aucun fond sonore. Simplement le silence, total.

Crédit Photo -- Audrey Sérandour
Crédit Photo -- Audrey Sérandour

Un fil rouge qui mène vers Wadi Halfa

La voie de chemin de fer qui relie Khartoum à Wadi Halfa est notre unique compagnon de voyage. Elle semble s'étirer à l'infini, balayée par le sable, ponctuée de postes de contrôle. Outre les traces d'une activité passée, ces phares du désert sont aujourd'hui des lieux où trouver de l'eau en cas de problème. En cette période particulière de fin du ramadan, aucun train ne vient perturber le calme du désert nubien. Cependant, malgré l'inactivité, certaines gares sont occupées par quelques hommes, qui n'ont rien à surveiller mais offrent volontiers le thé aux voyageurs.

Le troisième jour, dans le flou de l'horizon, j'aperçois quelques arbres et un minaret : Wadi Halfa ! Habitués à l'immensité du désert de Nubie, mes yeux mettent du temps à discerner les habitations. Elles sont basses, d'un brun très clair qui se fond dans le paysage. Polie par le sable, la ville marque la fin de la ligne ferroviaire, ainsi que la fin de notre traversée du désert. C'est ici que les marchandises sont transférées du rail au ferry, pour une seconde traversée : celle du lac Nasser. Et c'est également ici que nous retrouvons les deux autres équipages de voyageurs qui se rendent en Égypte. C'est Mazar, le frère de Midhart, qui va nous guider dans les dernières démarches avant l'embarquement.

Mazar a l'habitude de recevoir des voyageurs à Wadi Halfa, point de passage obligé pour quiconque souhaite parcourir l'Afrique de l'Est par la route. Pourquoi cette contrainte, alors qu'il existe une route longeant le lac ? Les explications ne sont pas visibles sur une simple carte géographique de la région, mais sont d'ordre géopolitique. En effet, obliger les voyageurs à emprunter la voie du lac Nasser permet de contrôler l'immigration subsaharienne.

Lac Nasser - Crédit Photo -- Audrey Sérandour
Lac Nasser - Crédit Photo -- Audrey Sérandour

Le lac Nasser, dernière traversée de la frontière nubienne

De Wadi Halfa, au Soudan à Aswan, en Égypte, le lac Nasser s'étire sur près de 400 kilomètres. La barge sur laquelle sont transportés les trois camions de voyageurs européens mettra trois jours pour arriver à destination. Le ferry de passagers est plus rapide, il n'a besoin que de deux jours et une nuit de navigation. Une expédition qui laisse des souvenirs marquants. Partager sa cabine avec des rats, supporter le bruit des moteurs, ne pas prêter attention à l'hygiène plus que douteuse des toilettes... Ces quelques détails, mêlés à une ambiance mouvementée, font partie du voyage. Tout comme cette femme au corps gravement brûlé, qui se rend en Égypte pour se faire soigner.

Sur le pont supérieur, familles, animaux et bagages en tout genre occupent le moindre espace disponible. Les heures défilent au rythme des prières et de la musique diffusée en permanence par de vieux haut-parleurs qui grésillent. À la tombée de la nuit, le ferry passe à proximité des temples d'Abu Simbel, dressés sur la rive gauche du lac. Je contemple le site illuminé, tandis que notre embarcation poursuit son chemin. Demain nous atteindrons le barrage d'Aswan, et attendrons l'arrivée de la barge pour poursuivre notre route vers le nord. Il me tarde de découvrir la Haute-Égypte, avec ses temples et ses mythes.

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Audrey Sérandour
Étudiante en science politique à Lyon 2, ancienne rédactrice en chef de la gazette étudiante... En savoir plus sur cet auteur