Whitey Bulger, dernier roi de Boston

15 Août 2013



Vestige d’une époque où la mafia n’était pas encore l’ombre d’elle-même, James « Whitey » Bulger a été reconnu coupable de 31 des 32 chefs d’accusations dont il est inculpé, dont 11 meurtres, après 5 jours de délibération. En attendant la peine qui sera communiquée le 13 novembre prochain, retour sur l’histoire de « Bulger King ».


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Dans la vie on ne nous donne rien… c’est à nous de prendre », lance Franck Costello dans Les infiltrés. Whitey Bulger aurait pu être l’auteur de cette citation. Le parrain de Boston a inspiré le personnage de Jack Nicholson sous toutes ses formes. Et sans caricature.

Meurtres, drogues, racket, le jeune Bulger de South Boston débute sa carrière criminelle dès l’âge de quatorze ans, alors qu’il se fait arrêté pour la première fois. En mars 1956, le caïd des quartiers désœuvrés se voit condamner à 25 ans de prison. Mais la chance irlandaise est avec lui. Il est libéré après seulement neuf ans d’enfermement, grâce à son statut de cobaye volontaire pour la CIA, sur des drogues infligées aux détenus en échange de remise de peine. À sa sortie, le petit malfrat est devenu grand. Pendant ses neuf années de prison, Bulger s’est constitué un réseau, tel une pieuvre déployant ses tentacules.


Un pouvoir au prix de la dénonciation

Alors que son frère se hisse dans la sphère politique, Whitey devient l’homme de main de Donald Killeen, à l’époque seigneur des bas fonds de Boston. Arrive le moment que James Bugler attendait : une guerre des gangs éclate, entraînant l’avènement de certains, et la mort pour d’autres. Pour Bulger, le trône est tout proche. Donald Killeen meurt assassiné, le 13 mai 1972, mettant fin au conflit.

Winter Hill Gang. C’est avec ce gang que commence l’hégémonie de Whitey Bulger. Trafic de drogues, d’armes, attaques à main armée, le gangster est à sa pleine puissance. Un gangster à l’image dure et cruelle, qui réussit à tirer parti de son ennemi premier : le FBI. Un personnage qui, comme évoqué précédemment, a inspiré le rôle de Franck Costello, jusque dans sa collaboration avec le FBI. Durant les années 70, afin de pouvoir administrer la ville en maître et en faire un « havre de paix », le gangster dénonce les gangs rivaux auprès des G-men. Il donnera, entre autres, des informations sur la New England Mob, gang rival du Winter Hill, à une époque où le FBI faisait du crime organisé sa priorité.

Une collaboration qui lui permettra de s’infiltrer au sein des forces de l’ordre de la ville, mais surtout de « sauver sa peau ». En 1994, il réussit à duper le FBI après avoir été informé par John Connolly, ancien agent à la retraite. C’est le début de seize années de cavale avec, comme un Robin des Bois des temps modernes, l’honneur de figurer parmi les dix 10 criminels les plus recherchés par le FBI.

Une cavale aux airs de vacances

Pendant sa cavale, l’homme est aux côtés de sa femme, Catherine Greig, qui sera également interpellée. Whitey avait une maîtresse depuis trente ans. Teresa Stanley, qui a raconté son histoire avec le malfrat au Daily Beast. Elle travaillera avec les autorités, découvrant ainsi les crimes de son amant. L’histoire prend fin. « Comment pouvez-vous dire qu’une personne vous a aimé alors qu’elle vous a déçu, qu’elle a vécu une double vie et vous a humilié devant tout le monde ? »

Un amour qui cessera en 2011. Retraité, le gangster vivait au troisième étage d’une résidence aisée, au bord de l’océan pacifique à Santa Monica, en Californie. C’est une ancienne miss islandaise qui a fait tomber le couple. L’ex-miss, âgée de 57 ans, a reconnu ses voisins en tombant par hasard sur un spot de la chaîne CNN. Après un appel téléphonique, l’insulaire met fin à la cavale de l’ancien mafieux.


« Il n'a pas encore dit son dernier mot »

Le procès, énormément médiatisé, a été troublé par la mort de Stephen Rakes, témoin clef pour l’accusation dont le corps a été retrouvé sans vie mi-juillet. Le témoin était chargé de raconter le racket subit par Bulger, durant les années 80. Victime de la violence de Bulger, il laissa son commerce au malfrat et à son gang et parti, bagage à la main. Selon le Boston Herald, il aurait été victime d’un empoisonnement au cyanure de potassium, mis par une personne à qui il devait « une importante somme d’argent ».



A gauche, Stephen Rakes peu de temps avant son meurtre - Crédits photo -- BRIAN SNYDER/REUTERS
A gauche, Stephen Rakes peu de temps avant son meurtre - Crédits photo -- BRIAN SNYDER/REUTERS
Étrangement, Rakes s’était juré de faire tomber le parrain de Boston, « Je serai très satisfait quand il sera en prison et qu'il n'en sortira plus jamais », avait-il déclaré l'année dernière en parlant de Whitey Bulger. Il avait attendu des décennies avant de témoigner contre lui, en l'accusant d'avoir volé la propriété de son magasin d'alcool. La police parle de suicide, mais les familles des victimes ne restent pas dupes, « Stippo ne se serait pas tué. En aucun cas. Il attendait de pouvoir comparaître à la barre. Il m'avait dit qu'il allait jeter un pavé dans la mare, quelque chose qui allait faire sensation ».

A 83 ans, James Bulger se bat seul contre pas moins de 63 témoins, dont Stephen Flemmi, ancien complice du condamné, qui ose expliquer certains détails qui ont construit la légende Bulger : pour s'assurer que les cadavres ne puissent pas être identifiés, il arrachait les dents de ses victimes. En attendant, l’auteur des faits nie toute accusation, impliquant même le FBI avec lui pour s’assurer une victoire. Selon Whithey, l’agence lui aurait garanti une immunité. Reste un point essentiel : il n’admet pas sa collaboration avec les fédéraux.

Certains habitants ont vu James « Whitey » Bulger comme un nettoyeur des rues, gardien de la sécurité en faisant tomber les gangs un à un, en imposant son pouvoir pour régner sur Boston. Alors, gangster ou bienfaiteur ? Stephen Rakes, mort au combat face à son ennemi juré, compris, bien avant sa mort, la fin de l’histoire : « Il reste quelques personnes à South Boston pour croire que c'était un chic type. Mais il n'y en a plus beaucoup de vivants pour le dire. »





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Geoffrey Saint-Joanis
ex-Rédacteur en chef du Journal International, accro à l'histoire des monarchies européennes, aux... En savoir plus sur cet auteur