Abkhazie : volonté d'indépendance et autonomie réduite

15 Janvier 2014



En quête de reconnaissance internationale, l'Abkhazie est tiraillée entre la Russie et la Géorgie. Sous perfusion russe, elle est un État de facto et permet à la Russie d'assurer ses intérêts dans la région alors que la Géorgie se rapproche de l'Union européenne.


© Reuters
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L’Abkhazie est un État de facto situé dans le nord du Caucase entre la Russie et la Géorgie. Après l’effondrement de l’Union soviétique, en 1991, l’Abkhazie proclame son indépendance, sans grand succès, et rentre en conflit direct avec la Géorgie qui ne souhaite lui accorder qu’une autonomie partielle. Ce manque de reconnaissance diplomatique pousse le jeune « État » dans les bras de la Russie qui, le 25 août 2008, reconnaît son indépendance. Une décision sans valeur juridique. 

Depuis, la Fédération justifie le positionnement de troupes militaires sur le territoire pour protéger la culture abkhaze. Une situation paradoxale quand on sait que Staline et Beria, un demi-siècle plus tôt, avaient œuvré pour la russification du territoire.

Une histoire singulière ou en trompe-l’œil ?

L’Abkhazie contemporaine dispose d’une superficie d’environ 8 600 km². Cette petite taille, d’autant plus en raison de la proximité des anciens empires russe et ottoman, a amené la population à s’allier ou coopérer avec d’autres puissances pour assurer sa survie. La position géographique favorable, proche de la Mer noire pour le commerce, jouissant d’un climat subtropical humide, a fait du pays un point de passage idéal pour le commerce, et ce, depuis le premier millénaire avant J-C. C’est cette position qui amènera, successivement, l’Abkhazie à participer aux Empires grec, romain, byzantin, géorgien, ottoman et, finalement, au 19e siècle, à intégrer l’Empire russe.

L’Abkhazie, après la chute de l’URSS, se retrouve sous « contrôle » ou plutôt sous « influence » de la Géorgie, et ce, malgré un souhait d’indépendance présent au sein de sa population. L’histoire aurait pu en rester là, une Abkhazie de petite taille, techniquement rattachée à la Géorgie, à l’autonomie partielle comme ce fut le cas lors du reste de son histoire. C’était sans compter sur l’expansion européenne et celle de la Communauté des États Indépendants (CEI).

Moscou courageux, mais pas inquiet

Le rapprochement de la Géorgie avec l’UE n’est pas sans inquiéter Moscou qui, pour protéger ses intérêts, use du souhait d’indépendance abkhaze afin de justifier une intervention, en 2008, pour positionner des troupes sur le territoire « géorgien ». L’Abkhazie, une nouvelle fois, change de camp et passe sous contrôle russe. Une Russie qui, contrairement à l’URSS, semble plus favorable à la protection et au développement d’une identité abkhaze, ce qui lui confère une assez bonne image sur fond de mauvais souvenir de russification. Cependant, la population abkhaze n’est pas aussi opportuniste et naïve que ne le laissent à penser nombre de médias. Les Abkhazes ont bien conscience que se déroule, une nouvelle fois, sur leur territoire, une lutte entre Russes et Européens. Les habitants restent très sceptiques sur la question de la protection de la culture nationale [la population russe représente plus de 11% des habitants, ndlr]. En ce sens, protéger l’Abkhazie, pour la Russie, revient également à protéger sa population hors de ses frontières, un argument présent lors de la campagne électorale du président russe Vladimir Poutine. C’est sans oublier les intérêts russes qui, objectivement, s’opposent à une extension de l’OTAN et de l’Union européenne dans le Caucase.
Vladimir Poutine et Sergueï Chamba (Premier ministre abkhaze) | Crédits Photo -- AFP/Alexey Druzhinin
Vladimir Poutine et Sergueï Chamba (Premier ministre abkhaze) | Crédits Photo -- AFP/Alexey Druzhinin

Déstabiliser la Géorgie, en positionnant à proximité des troupes militaires, c’est s’assurer d’avoir plus de poids sans la région. Enfin, l’économie abkhaze vit actuellement sous perfusion russe. Les fonds permettent au jeune « État » d’assurer sa survie en attendant le retour des visiteurs dans les stations balnéaires. Des touristes qui, majoritairement russes, s’ajouteront aux russophones sur place et devraient faire de la langue abkhaze, par influence du nombre, une longue secondaire. Tous ces éléments, auxquels on peut ajouter les intérêts pour le transit du gaz et du pétrole, alimentent le scepticisme des habitants et des politiques. L’histoire abkhaze est donc, logiquement, celle d’un peuple singulier à l’autonomie réduite. Une situation qui ne semble pas prête de changer au vu des intérêts russes ou, à contrario, de ceux de la Géorgie. L’indépendance abkhaze, partielle, en pleine période de confrontation entre appartenances des anciennes républiques soviétiques à la CEI ou à l’UE semble compromise.

Un territoire riche, oublié de l’Europe

L’Abkhazie n’est certainement pas la première destination qui vienne à l’esprit des Occidentaux. Dans le meilleur des cas, vous aurez peut-être la chance de tomber sur un membre de votre famille, curieux, qui ne manquera pas de vous rappeler les origines géorgiennes de Staline. Qu’à cela ne tienne, le petit « pays » regorge de lieux à découvrir, le tout dans un cadre quasi-idyllique !

La géographie abkhaze lui confère un climat agréable, propice à la culture du thé, du tabac, des oranges et, naturellement, du vin. Un vin de bonne qualité comme le Lykhny, qui ne manquera pas de surprendre les touristes adeptes d’œnologie. Cette richesse vinicole fait à la fois écho au passé du territoire et, naturellement, à son savoir-faire ancestral.

Qui plus est, une rapide visite de la capitale, Soukhoumi, permettra aux plus sceptiques de prendre conscience de la richesse cachée du jeune « État ». La ville, depuis la fin de la guerre de 2008, affiche une croissance démographique et une hétérogénéité culturelle et linguistique importante. Les anciennes stations balnéaires, autrefois prisées par les citoyens soviétiques, reviennent progressivement à la mode auprès des citoyens russes. Les touristes trouveront à proximité le gouffre de Krubera-Voronja, le plus profond du monde, ainsi que d’anciens sites médiévaux, c’est le cas de Nouvel Athos et de son monastère.

Cette richesse est justement problématique. Les Européens de l’Ouest, en raison de la distance qui les sépare de la Géorgie et de l’Abkhazie, ont progressivement oublié cette partie de leur héritage. Une situation paradoxale et contraignante car les Russes, depuis plusieurs années, semblent être les seuls à apporter un soutien pour le développement économique et politique. Cette influence d’un seul pays donne naissance à une mauvaise perception des Occidentaux et, tristement, fait progressivement disparaître la culture du pays qui s’adapte pour correspondre aux intérêts russes et ne dispose d’aucun autre partenaire international aussi puissant avec qui dialoguer.

La reconnaissance diplomatique : à quel prix ?

Pour résumer, le territoire abkhaze est riche en histoire, en ressources naturelles et tiraillé entre Russie et Géorgie. Se pose alors la question épineuse de la reconnaissance diplomatique et de ses avantages. Jusqu’à présent, l’Abkhazie est toujours considérée comme un État de facto (à l’image de la Transnistrie, de l’Ossétie du Sud ou encore du Haut-Karabakh).

Pourtant, celui-ci dispose d’une singularité plus palpable si on le compare à la Transnistrie. À titre d’exemple, l’Abkhazie dispose de sa propre langue, bien distincte des autres. Il en est de même sur le plan international, le pays dispose d’une reconnaissance officielle par la Russie (qui ne fait pas de même avec tous les États de facto), le Nicaragua, le Venezuela, Nauru et Tuvalu. A noter que si la reconnaissance diplomatique est souhaitée par la population, elle n’en reste pas moins à double tranchant.

La reconnaissance d’un nouvel État, d’aussi petite taille, inclut nombre de problématiques. La première, celle de la subsistance économique, comme dit précédemment, dépend fortement des investissements russes sur le territoire. Un rapport de force inégal sur le plan économique et linguistique qui amènerait à la concentration des activités dans le secteur touristique, rendant le pays dépendant des touristes. Cette omniprésence des Russes dans la vie quotidienne n’est pas sans conséquence sur la langue d’apprentissage dans les écoles et universités, le double affichage dans les lieux publics et le déséquilibre des revenus qui amènerait certainement le pays à voir le nombre de résidents russes vivant sur son sol national à augmenter. La reconnaissance amènerait également à la question de la normalisation des relations avec le voisin géorgien et à celle de l’affiliation nationale des Abkhazes résidents en Géorgie et inversement, une question problématique, car une large partie de la population, sur le sol national, n’a pas d’origines abkhazes…

Enfin, la reconnaissance amènerait à un choix important lourd de conséquences pour la Russie : le rapprochement de la Géorgie avec l’Union européenne et l’OTAN. Si l’Abkhazie dispose d’une reconnaissance, nul doute que la Géorgie, dans l’incapacité de retrouver ce qu’elle considère comme son territoire national, décidera de se rapprocher de l’Union européenne. Jusqu’à présent, la non-reconnaissance internationale, pour la Russie, fait de l’Abkhazie un formidable outil de pression sur la Géorgie lors des discussions sur son avenir européen. Une normalisation et une reconnaissance internationale ne laisseraient plus la même marge de manœuvre à l’armée russe. Il est également probable que la Géorgie, comme peuvent en témoigner les récentes élections, décide d’entamer un rapprochement avec l’OTAN et les États-Unis. La reconnaissance diplomatique, en ce sens, poserait problème pour les habitants vivants de chaque côté de la « frontière » et accentuerait les tensions dans la région et l’Abkhazie, une nouvelle fois, ne servirait ni plus ni moins les intérêts de la Russie face à ceux de l’Union européenne, laissant peu d’autonomie réelle aux dirigeants abkhazes.

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Michael LAMBERT
Jeune chercheur européen passant la majorité de son temps libre entre les bibliothèques et les... En savoir plus sur cet auteur



1.Posté par Cédric83 le 16/01/2014 01:04
Merci, il est rare, voire très rare, de lire des articles d'une telle qualité sur ce sujet !

2.Posté par Henri Gélu le 18/01/2014 23:48
L'auteur présente le dilemne de l'indépendance comme un choix interne à l'Abkhazie, et la Russie comme une puissance bienveillante
venant au secours de d'un territoire voisin délaissé. Mais la réalité est que pour la majorité des Etats de la planète, l'Abkhazie fait partie
de la Géorgie. La Russie est intervenue en Abkhazie sous le prétexte d'une "agression" géorgienne en Ossétie du sud, autre région
de la Géorgie, comme s'il ne s'agissait pas d'une affaire interne à cet Etat voisin. L'histoire de l'expansionnisme russe et de la russification
des régions périphériques incite plutôt à voir dans la situation actuelle le résultat des efforts de Moscou pour étendre comme toujours son influence
au-delà des frontières reconnues de la Russie.

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