L’Ossétie du Sud, dépendance du Kremlin dans le Caucase ?

Alexandre Predal
21 Août 2013



Il y a un an, une imposante statue de Staline a été (re)montée dans sa ville natale de Gori en Géorgie, à la faveur d’un mouvement spontané de la population locale. Comment expliquer que ce dictateur sanguinaire, responsable de la mort de millions de personnes, qui dépeça le Caucase afin de mieux l’asservir, soit aujourd’hui érigé en « grand homme » par, dit-on, presque neuf Géorgiens sur dix ?


Crédit Photo -- InterPressNews
Crédit Photo -- InterPressNews
Cela tient essentiellement de la situation géopolitique actuelle, empreinte d’une opposition commune entre la Russie et son « proche étranger », qui s’en verrait bien, lui, beaucoup plus éloigné. Ces tensions se sont cristallisées dans une petite république autonome géorgienne : l’Ossétie du Sud.

À l’origine province inventée de toutes pièces par Staline afin de mieux diviser et ainsi mieux régner sur une Géorgie rebelle, ce territoire - autoproclamé république indépendante, en 1990 - est le théâtre des oppositions incessantes entre les deux pays. Avec une population d'environ 100 000 habitants, composée pour ses deux tiers d’Ossètes, l’Ossétie du Sud n’est aujourd’hui reconnue que par une demi-douzaine de pays, parmi lesquels la Fédération de Russie. Ainsi fait-elle partie, avec l’Abkhazie et la Transnistrie, des États fantoches maintenus par la seule volonté et le seul portefeuille du Kremlin, saupoudrés de revendications nationalistes plus ou moins fondées.

En août 2008, à une invasion éclair de l’Ossétie du Sud par les troupes géorgiennes succède une contre-offensive tout aussi véloce de l’armée russe pour préserver l’intégrité territoriale de son alliée. Après cinq jours de combat, les deux parties signent un cessez-le-feu entérinant le statu quo. Ce dernier est toujours en vigueur. Qu’est-ce qui explique cet acharnement des deux protagonistes à ne pas faire de concessions pour un conflit aux enjeux minimes, en apparence ?

Des intérêts géopolitiques hérités de l’irrédentisme allogène

Crédit Carte -- Gabriel Jorby | LePoint.fr
Crédit Carte -- Gabriel Jorby | LePoint.fr
Défendre les Ossètes est pour les Russes un alibi intéressé, et non pas une cause humanitaire altruiste. En empêchant la Géorgie de garantir sa souveraineté sur l’ensemble d’un territoire dont l’histoire légitime pourtant l’unité, ils empêchent la république caucasienne qui leur est le plus hostile de prospérer. Ce n’est qu’après la guerre de Cinq Jours d’août 2008 que la Géorgie cessera tous pourparlers avec l’OTAN en vue d’une intégration.

Ils affirment de plus, par le biais d’une opération militaire orchestrée de main de maître, leur statut de puissance internationale, rompant ainsi le cycle de reculades diplomatiques successives entamé depuis l’effondrement de l’URSS. Enfin, leurs intérêts énergétiques dans la région sont importants : s’aliéner un carrefour stratégique entre les champs gaziers et pétrolifères de la Caspienne et la Mer Noire, porte d’entrée vers l’Europe, serait pour eux un Hiroshima diplomatique.

« Nous espérons tous que la Russie restera à nos côtés jusqu’au bout »

Tskhinvali en ruines, 2008 | Crédit Photo -- AFP
Tskhinvali en ruines, 2008 | Crédit Photo -- AFP
L’Ossétie du Sud est bel et bien l’obligée de la puissance russe. Mais l’amante est capricieuse et maintient la province fortement isolée : la frontière osséto-géorgienne est gardée par une garnison imposante de soldats russes, en violation de tous les traités établis jusqu’alors. Les liens familiaux entre Ossètes et Géorgiens sont coupés par la haine réciproque depuis deux décennies. Les deux communautés, Géorgiennes et Ossètes, ne partagent pas les mêmes routes, pas les mêmes réseaux de distribution d’électricité.

Si, comme le dit le Ministre des Affaires Etrangères ossète « la reconnaissance de l'indépendance de l'Ossétie du Sud par la Fédération de Russie a créé un sentiment de sécurité, l’Ossétie » a pourtant sacrifié sa liberté interne sur l’autel de cette protection externe.

L’ingérence ostensible du Kremlin dans les affaires intérieures du territoire a provoqué une crise politique inédite en novembre 2011. La défaite à 44 % des suffrages au second tour de l’élection présidentielle du candidat dit « du Kremlin » est invalidée par la Cour Suprême qui interdit au vainqueur, Alla Djioïeva, de se représenter. Un compromis offrant la fonction de vice-Premier ministre à l’opposante est trouvé de justesse. Si la protection externe de l’Ossétie du Sud semble assurée, sa situation interne montre elle de nombreux signes de faiblesse.

Du point de vue économique, c’est la « diplomatie du rouble » qui prévaut. La Russie a ouvert sa monnaie et son Union Douanière à la république sécessionniste. L’administration ne parvient subvenir aux besoins de sa population, immenses suite aux destructions de 2008, que grâce aux subsides russes, qui représentent environ 1 700 € par an et par tête, soit dix fois le salaire mensuel moyen. Dans les rues de Tskhinvali tourne un dicton ironisant sur la perfusion russe qui maintient l’Ossétie dans un état quasi-létal : « Aide-toi et la Russie t’aidera ».

En vertu d’une clause héritée de l’éclatement de l’Union Soviétique, 70 % de la population ossète dispose d’un passeport russe. La législation fédérative russe proclame le distinguo entre citoyenneté et nationalité, ainsi que le droit aux anciens peuples membres de l’URSS d’acquérir la nationalité russe dans l’hypothèse où ils refuseraient celle de leur nouveau pays d’accueil. La mobilité individuelle est ainsi grandement facilitée vers l’autre territoire de la minorité ossète, la région autonome de la Fédération de Russie : l’Ossétie du Nord.

Et c’est là que le bât blesse : la revendication numéro un de la minorité ossète est l’unification des deux territoires au sein d’une République indépendante. Demande à laquelle Moscou ne peut, bien entendu, pas accéder. Ainsi la minorité ossète n’est-elle qu’un prétexte pour un pays qui n’a eu de cesse de prouver son très relatif attachement au « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

Et c’est ainsi que Staline, petit Père des Peuples dont le père était ossète, toujours considéré avec une sorte de bienveillance morbide par la majorité des Russes et des Caucasiens devint, 60 ans après sa mort, le cheval de Troie d’une politique impérialiste de nouveau pleinement assumée par Moscou.

Caucase, The Big Picture | Crédit Carte – Jean Radvanyi / Inalco Paris
Caucase, The Big Picture | Crédit Carte – Jean Radvanyi / Inalco Paris

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1.Posté par Giga le 23/08/2013 01:02
b[Tout est juste, sauf
neuf Géorgiens sur dix
, c'est une énorme faute! La grande majorité des géorgiens haïssent Stalin! C'est une honte, qu'il soit géorgien, il n'a fait que du mal à la Géorgie, et le peuple en est conscient!]b Lest autres points sont assez justes! :D Si la petite erreur pouvait être modifié...

2.Posté par Ramaz Paresashvili le 28/08/2013 00:14
Dear Sir,

Thank you for the interesting article. But I have to ask you to check the information about the nationality of Stalin's father. I've read and heard that he was Armenian, Russian, Ossetian, Jew, and etc. As I know as historian, his family name Jugashvili derives from old Georgian "juga" - bronze, or from a village Jugaani in east Georgia. Actually it does not meter who was he by born, as he neglected any sense of national identity, but I''ll be thankful if you send me any true information related to his father's (Besarion or Beso) nationality.

Sincerely,

Ramaz Paresashvili

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