Ouganda : climat tendu à l’approche des élections

Noé Michalon
31 Janvier 2016



Dans la nuit fraîche de Kampala, les regards sont rivés vers les discours du président sortant Yoweri Museveni, projetés sur les murs et diffusés à la radio. La campagne bat son plein, à presque deux semaines du jour J. Le 18 février prochain, le chef de l’État tentera de prolonger de cinq ans ses trois décennies passées au pouvoir. A l’instar des deux précédentes élections ouvertes au multipartisme, la tension augmente au fur et à mesure que les meetings se tiennent.


Crédit Noé Michalon
Crédit Noé Michalon
Dans les discours comme dans les actes, l’escalade dans les provocations et les démonstrations se succèdent, alors que les sept candidats de l’opposition croient de plus en plus fermement à l’hypothèse d’un second tour. Ce serait une première dans l’histoire du pays, qui n’a connu aucune alternance non-violente depuis l’indépendance en 1962. Alors que les scrutins de 2011 et 2006 avaient mené à plusieurs manifestations de supporters de l’opposant Kizza Besigye, contestant sa défaite au premier tour, tout se passe comme si la majorité en place cherchait à décourager tout Ougandais de battre le pavé.

Une présence militaire importante

En créant une force de « Crime preventers », c’est d’abord une véritable police bis qui a été instaurée par le gouvernement l’an dernier, officiellement pour lutter contre l’insécurité en période électorale. Liés au National Revolutionary Movement (NRM, parti au pouvoir) selon Human Right Watch, qui dénonce leur existence, ces para-policiers non-rémunérés, reçoivent une formation sécuritaire et sont armés de bâtons, bien que le camp Museveni se défende de vouloir créer une milice. Avec un objectif de 30 personnes par village, près d’un million et demi de personnes seraient recrutées pour renforcer la sécurité du pays, militarisant un peu plus les rues ougandaises où la présence de militaires et de compagnies de sécurité privée est déjà forte. Certaines déclarations, aujourd’hui contestées, prêtaient même au chef de la police nationale, Kale Kayihura, la volonté de distribuer des armes à feu aux crime preventers.


D’autres événements contribuent à rendre un peu plus étouffante l’atmosphère de la campagne. Compagnon de route du Président lors de la guerre civile qui l’a porté au pouvoir en 1986, le général David Tinyefunza, désormais dissident, s’est fait emprisonner samedi, sans motif public. Critique du pouvoir, proche de l’opposition, celui que l’on surnomme « sejusa » (« je ne regrette rien » en luganda, la langue de la région de Kampala) avait déjà passé un an en exil au Royaume Uni après avoir dénoncé le projet de M. Museveni de se faire succéder par son fils.

Des difficultés à dialoguer

Premier Ministre jusqu’en 2014, l’actuel opposant Amama Mbabazi dénonce aussi plusieurs tentatives d’intimidation. Depuis décembre, son chef de la sécurité est emprisonné. Il est accusé d’avoir attaqué des militants du parti au pouvoir et certaines sources affirment même qu’il serait mort, tandis que le camp présidentiel suspecte l’ancien bras droit passé à l’opposition d’avoir sa propre milice. De fait, des échauffourées éclatent fréquemment entre les partisans des camps de l’opposition et de la majorité, tandis que la lutte se poursuit sur d’autres tableaux. « Nos sources de financement, en Ouganda comme à l’international, sont taries par le camp du président, il devient très difficile de mener la campagne que nous avions prévue », déplore un membre de l’équipe du candidat sous couvert d’anonymat. Le budget de campagne du camp présidentiel est douze fois supérieur à celui de tous ses concurrents réunis. En retard dans les sondages, M. Mbabazi lui-même n’est pas avare en déclarations tapageuses et a déclaré début janvier qu’un coup d’État pourrait bien arriver si le président sortant truquait les élections.

Crédit Clara Wright avec l'accord de CrossWorlds
Crédit Clara Wright avec l'accord de CrossWorlds
Le dialogue entre les sept candidats de l’opposition et le pouvoir est d’autant plus rompu que le premier débat présidentiel de l’histoire du pays a eu lieu sans le chef de l’État, qui a parlé « d’une discussion pour écoliers ». Ses contempteurs n’hésitent plus à le qualifier de « peureux dictateur », comme l’a déclaré le principal challenger, Kizza Besigye, deuxième dans les sondages. Ces sondages donnent M. Museveni gagnant avec un score entre 51 et 71% au premier tour. Pour sa quatrième candidature, l'ancien médecin de son rival subit plusieurs pressions. Assigné à résidence brièvement par la police, il est fréquemment empêché de rejoindre certaines villes pour organiser ses meetings.

Faute d’unité sur le programme à suivre, ces outsiders se déchirent. Longtemps d’accord sur une candidature unique de l’opposition, MM. Besigye et Mbabazi ont finalement échoué à faire parler l’opposition d’une seule voix. Au-delà même des tentatives d’intimidation et malgré d’imposants meetings dans le pays pour chacun des camps en présence, le désamour des Ougandais pour leur classe politique semble plus élevé que jamais : respectivement âgés de 60, 67 et 72 ans, les trois principaux candidats représentent encore la génération arrivée au pouvoir en 1986. Une éternité, quand on s’aperçoit que près de 80% des Ougandais ont moins de 30 ans et n’ont connu que ces cadres au pouvoir comme dans l’opposition.

Jeudi 18 février, de 5 à 14 heures, suivez le live tweet du premier tour par Le Journal International.

Notez